L’actualité des provinces

La Province de La Havane (I)

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Peu de gens savent que depuis la réforme de 2010 les limites de la Province de La Havane se confondent avec celles de la capitale. Les touristes ne connaissent généralement que le quartier de la Vieille Havane, certes magnifiquement restauré sous la houlette du Bureau de l’Historien de la Ville, Eusebio Leal Splenger, qui tenait à y préserver par ailleurs une vraie vie de quartier. Au mieux, ils ont aussi vu la Promenade du Prado, le Capitole, le Malecón, l’Hotel Nacional et le Tropicana, mais ils n’ont qu’une faible idée de ce que sont réellement la capitale et la Province de la Havane dans leur globalité. Un article très documenté de la plateforme collaborative cubaine Ecured complètera très utilement l’information de tous ceux qui souhaitent aller au-delà des clichés touristiques et se faire une idée plus précise de la réalité cubaine. Voici la première partie, historique, de ce long article.

Pascale Hébert

La Havane, Ecured, article traduit par Pascale Hébert

La Havane –autrefois nommée Ville de La Havane- est l’actuelle ville capitale de la République de Cuba et en même temps l’une des seize provinces cubaines. La Havane est la ville la plus peuplée de Cuba et de toute la zone caraïbe insulaire, avec une population supérieure aux deux millions d’habitants.

Le territoire de la capitale occupe le seizième rang des provinces en superficie avec 726,75 kilomètres carrés, représentant 0,7 % de la superficie totale du pays.

Fondée au printemps 1514, plus au sud, sous le nom de San Cristóbal de La Habana, La Havane est le centre principal de l’activité politique, économique et socioculturelle de la nation puisqu’elle est le siège des instances gouvernementales et du Parti Communiste Cubain ainsi que des principales institutions culturelles et scientifiques du pays.

Conformément à une loi votée en août 2010 par l’Assemblée Nationale de Cuba, cette province reprend le nom de La Havane, par élimination officielle de la dénomination de « Ville », devenue inutile depuis la disparition de la province homonyme, approuvée par cette même loi. La ville est divisée administrativement en 15 communes.

La tradition reconnaît comme date de fondation le 16 novembre 1519, lorsque le conquérant espagnol Diego Velázquez –au nom des rois d’Espagne— établit son troisième et définitif emplacement, celui que nous connaissons. En 2019, elle a atteint le 500ème anniversaire de sa fondation.

Développée à partir du noyau de population d’origine, La Havane résulte de la fusion de localités dissemblables. D’après les données fournies par le Bureau National des Statistiques (ONE), la province compte 49 quartiers, 329 « repartos »(districts) et 36 « asentamientos poblacionales » (groupements de population), soit un total de 414 unités spatiales ou de localités officiellement reconnues.

En 1982, son centre historique a été déclaré Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO.

La Havane a été choisie le 7 décembre 2014 à Dubaï, dans le cadre de l’initiative New7WondersCities comme l’une des sept villes « merveille du monde » parce qu’elle représente la diversité globale de la société urbaine.

Etymologie. Sa dénomination vient de la fusion entre le nom du Saint choisi comme Patron (San Cristóbal) et le nom sous lequel ont été connus ses premiers emplacements : Habana. Bien qu’il existe plusieurs hypothèses sur l’origine de ce nom, la plus couramment admise est qu’il vient du nom d’un cacique taíno appelé Habanaguex, qui contrôlait la zone de son premier emplacement.

Histoire. Sur la Place d’Armes, qui fut à l’époque coloniale le centre de la vie officielle et publique de La Havane, se dresse un monument appelé le Templete (Petit Temple). Sur sa colonne commémorative il y a une inscription en latin […]

A cet endroit il y avait un fromager et c’est sous son ombre que fut célébrée la première messe et que le Cabildo (Conseil Municipal) reçut la garde et la surveillance des droits et privilèges de la ville de La Havane, selon l’usage et la coutume des lois du royaume de Castille. La colonne commémorative de la fondation de la ville fut érigée par le gouverneur Don Francisco Cagigal de la Vega en 1754, lorsque le fromager arriva en fin de vie.

Mais avant la fondation de La Havane sur son site actuel, la ville avait eu, entre 1514 et 1519, au moins deux emplacements différents : celui de 1514 qui, sur l’une des premières cartes de Cuba, celle de Paolo Forlano de 1584, situe la ville à l’embouchure du fleuve Onicaxinal, juste aux abords de la Plage Mayabeque, sur la côte sud de Cuba et un autre emplacement à La Chorrera, qui est aujourd’hui dans le quartier du Vedado, près du fleuve Almendares, que les indiens appelaient Casiguaguas, où les fondateurs essayèrent de retenir les eaux. D’ailleurs on conserve encore de nos jours les murs de contention de cet ouvrage hydraulique, le plus ancien des Caraïbes.

Et le dernier emplacement, celui que commémore le Templete comme sixième ville fondée par le royaume d’Espagne sur l’île de Cuba, fut appelé San Cristóbal de La Habana par Pánfilo de Narváez.

Sur certaines cartes et écrits de l’époque de la conquête, on mentionne un port militaire, stratégique pour la Couronne d’Espagne, dénommé Carenas, que certains historiens ont voulu assimiler à la baie de La Havane, ce qui, de fait, pourrait bien être le cas étant donné sa situation, sa sûreté et son entrée cachée qui passait inaperçue pour qui ne la connaissait pas en détail. Plus tard, La Havane devint un chantier naval très important et célèbre par la qualité des bois qu’il utilisait et par l’habilité de ses artisans et de ses charpentiers de marine. D’ailleurs c’est là que fut construit le Santísima Trinidad, un navire insigne de la Marine de Guerre espagnole.

Le 10 juillet 1555, le pirate Jacques de Sores attaqua et prit d’assaut La Havane après avoir assiégé un jour entier les défenseurs de la forteresse primitive dont le gouverneur avait lâchement fui vers le site voisin de Guanabacoa. Le pirate resta là jusqu’au 5 août et, fâché de la misérable rançon qu’on lui avait donnée, il incendia la ville et déroba tout ce qu’il put. On raconte qu’il alluma le brasier avec les archives municipales et les autres documents existants. De fait, il ne reste aucune référence écrite des premières années de La Havane et on ne conserve que les archives municipales à partir de 1556.

La Havane resurgit plusieurs fois des décombres et des cendres auxquels la réduisirent de temps à autre les pirates et corsaires français pendant la première moitié du XVIème siècle, jusqu’à ce qu’en 1561 la Couronne décidât que la ville serait le point de ralliement des navires espagnols en provenance des colonies américaines, avant d’entreprendre la traversée de l’océan ; c’est la raison pour laquelle on construisit des défenses militaires à l’entrée de la baie de La Havane et à des endroits stratégiques, réussissant ainsi à en faire la ville la mieux défendue du Nouveau Monde.

L’or et l’argent, la laine d’alpaga des Andes, les émeraudes de Colombie, l’acajou de Cuba et du Guatemala, les cuirs de La Guajira, les épices, le bois de teinture de Campêche, le maïs, les pommes de terre, le manioc, le cacao étaient les matières premières qui arrivaient par voilier au port le mieux protégé d’Amérique, entre mars et août, pour former les grands convois qui, sous la vigilance des navires de guerre, partiraient le jour dit en direction de l’Espagne.

Avec eux, des milliers de marins, de fonctionnaires, de colons, de commerçants, d’aventuriers arrivaient dans la ville naissante, qui s’agrandissait, à partir du port, à un rythme vertigineux.

Le 20 décembre de l’an 1592, Philippe II concéda à La Havane le litre de « Ville », vingt-neuf ans après que le gouverneur de Cuba y eut transféré sa résidence officielle depuis Santiago de Cuba, jusqu’alors siège du gouvernement de l’île.

L’importance stratégique de La Havane et les richesses qui y arrivaient et en repartaient faisait d’elle un objectif convoité par les pirates et par les galions porteurs de lettres de course des puissances ennemies de la Couronne d’Espagne.

La Havane est fortifiée pendant le XVIIème siècle sur ordre des rois qui la définissent comme « Clé du Nouveau Monde et Rempart des Indes Occidentales ». Dans le même temps, la ville se construit avec le matériau le plus abondant de l’île : le bois, qui donne à l’architecture de l’époque un charme particulier, combiné aux styles élégants importés de la Péninsule Ibérique et, très singulièrement, des Canaries.

En 1649, une épidémie de peste arrivée de Cartagena de Indias, en Colombie, décime un tiers de la population havanaise. Le 30 novembre 1665, la reine, doña Mariana d’Autriche, veuve de Philippe IV, officialise l’ancien blason de Cuba, qui avait comme symboles les trois premiers châteaux de la ville : celui de la Real Fuerza, celui des Tres Santos Reyes del Morro et celui de San Salvador de la Punta, sous la forme de trois tours d’argent sur fond bleu. En outre, une clé d’or symbolise le titre de « Clé du Nouveau Monde », conféré depuis longtemps à la ville.

Pendant le XVIIème siècle, la ville s’embellit de constructions monumentales civiles et religieuses. On érige le Couvent de San Agustín, on termine de château du Morro, et on construit l’ermitage de l’Humilladero, la fontaine de La Dorotea de la Luna à La Chorrera, l’église du San Angel Custodio, l’hôpital de San Lázaro, le monastère de Santa Teresa, le couvent de San Felipe Neri, et en 1728 on fonde l’Université Royale et Pontificale de San Jerónimo dans le couvent de San Juan de Letrán.

Escudo de La Habana
Couvent de San Felipe Neri

Au milieu du XVIIIème siècle, La Havane a plus de 70 000 habitants. Le 6 juin 1762, à l’aube, apparaît une impressionnante escadre britannique avec plus de 50 navires et 14 000 hommes.

En prenant possession de la ville, les Anglais avaient aussi capturé la flotte espagnole qui était restée coincée dans la baie de La Havane, composée de neuf navires de ligne de 74 et de 64 canons, en plus de 25 navires marchands chargés de toutes sortes de denrées, de trois millions de pesos appartenant à la Compagnie Royale et de grandes quantités de denrées emmagasinées dans la Ville . Sir Georges Keppel la gouverna durant onze mois, jusqu’au milieu de 1763, date à laquelle les Britanniques rendirent La Havane aux Espagnols, en échange de la Floride. C’est à cette époque que remontent la liberté du commerce et la liberté de culte.

En 1763 on commença la construction de la Forteresse de San Carlos de la Cabaña, la plus grande jamais construite par l’Espagne au Nouveau Monde, qui renforça le système défensif de La Havane après l’occupation anglaise. Les travaux durèrent plus de onze ans avec un coût si énorme pour son temps que l’on dit que Charles III, Roi d’Espagne, se pencha à la fenêtre de son palais avec une longue-vue pour qu’on lui indique où se trouvait une construction aussi chère. Sa position privilégiée en faisait un bastion imprenable. Elle disposait d’un grand nombre de canons, fondus à Barcelone au XVIIIème siècle, qui gardent toujours symboliquement l’entrée de la baie de La Havane.

En 1774 on effectue le premier recensement officiel de Cuba : 171 670 habitants, dont 44 333 sont des esclaves. Entre 1789 et 1790 on divise en deux le diocèse de Cuba : on érige en cathédrale l’Eglise Majeure de La Havane tandis que l’ancienne mitre reste à Santiago de Cuba. Six ans plus tard, le 15 janvier 1796, arrivent à La Havane les restes de Christophe Colomb en provenance de Saint Domingue (capitale de l’actuelle République Dominicaine).

Etant donné que l’Espagne n’avait plus le monopole du commerce, La Havane devint une ville plus florissante, et en 1819 c’était un port franc. Le luxe et la volupté s’y installèrent. Les boutiques offraient le dernier cri de la mode, les théâtres accueillaient les meilleurs acteurs du moment, la bourgeoisie enrichie faisait construire de splendides demeures avec des colonnes, on parlait du « Paris des Antilles ».

Au début du XIXème siècle le naturaliste allemand Alexandre de Humboldt arriva à La Havane et il fut impressionné par la vitalité du port havanais. En l’an 1837, on inaugure le premier tronçon de chemin de fer, de 50 km, entre La Havane et Güines, qui est utilisé pour le transport du sucre depuis la vallée de l’Ariguanabo jusqu’au port de la ville. Ainsi, l’Espagne devient le cinquième pays du monde à posséder un chemin de fer (puisque Cuba appartenait à cette époque à l’Espagne) et le premier pays hispanophone.

Tout au long du siècle, La Havane s’enrichit de centres culturels, comme le Théâtre Tacón, l’un des plus luxueux du monde, le Liceo Artistique et Littéraire, le Théâtre Coliseo. Garibaldi la visite sous le nom de Giuseppe Pani et les conspirations de patriotes indépendantistes s’y succèdent en même temps que l’autorité de la Couronne les réprime et les étouffe.

Vers la décennie de 1850, le développement de l’industrie sucrière, le chemin de fer, l’industrie du tabac, entre autres, produisirent une économie puissante qui fit de Cuba un pays immensément riche. Dans la décennie de 1860, Cuba était plus riche que jamais et La Havane fut le vivant reflet de cette richesse et de cette prospérité. En 1863, les murailles de la ville furent abattues pour que l’on puisse agrandir la cité et construire de nouveaux et splendides édifices. A la fin du XIXème siècle, les classes aisées se déplacèrent vers l’élégant quartier du Vedado, avec ses nombreuses maisons de campagne et ses petits palais.

A la fin du XIXème siècle, La Havane, après deux guerres d’indépendance lancées par les patriotes cubains, vit les derniers moments de la colonisation espagnole en Amérique, qui se ferma définitivement lorsque le cuirassé nord-américain Maine fut coulé dans son port, donnant ainsi aux Etats-Unis le prétexte pour envahir l’île et empêcher son indépendance. Le changement de siècle se déroula à La Havane, et par conséquent à Cuba, sous l’occupation et le gouvernement des Etats-Unis.

Sous l’influence nord-américaine, la ville s’agrandit et s’enrichit de nombreux édifices dans les années 30, lorsque l’on construisit de somptueux hôtels, des casinos et de splendides clubs nocturnes. Les meilleurs exemples de ces constructions sont le Focsa, le Habana Libre et l’Hotel Nacional.

Hotel National de Cuba

Santos Traficante tenait les rênes du Sans-Souci, Meyer Lanski dirigeait le Riviera, Lucky Luciano le Nacional. C’est là que la mafia nord-américaine tenait ses réunions au sommet tandis que les bidonvilles qui ceinturaient la ville s’agrandissaient rapidement. La Havane était devenue la capitale du jeu et de la corruption.

Depuis le triomphe de la Révolution en 1959, on a fait procéder à de grandes transformations sociales, principalement en ce qui concerne l’éducation, la santé publique, les services, la construction de logements sociaux et d’édifices officiels.

Un vaste réseau de centres d’enseignement garantit l’accès de tous les citoyens aux services d’éducation les plus complets jusqu’au niveau universitaire. Il en est de même pour les services de santé.

Beaucoup de ces transformations se reflètent dans les constructions postérieures à 1959. Tel est le cas de l’Hôpital Hermanos Ameijeiras, des Ecoles d’Art de Cubanacán et de l’Hôtel Meliá Cohiba.

Depuis quelques années, le centre historique de La Havane, déclaré monument national par le Gouvernement Cubain en 1976 et Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO en 1982, fait l’objet d’importantes restaurations réalisées par une équipe d’historiens et d’architectes dirigés par le Bureau de l’Historien de La Havane, Eusebio Leal Spengler, chargé des travaux de rénovation.