Les trois vérités indéniables de l´œuvre de Leonardo Padura

Partager cet article facebook linkedin email

"Quand Leonardo Padura était un étudiant de la Faculté des Arts et des Lettres "de l´Université de La Havane, vers la seconde moitié des années 1970, je ne "m’imaginais pas que son œuvre littéraire lui apporterait tant de prix et de "reconnaissances. Aujourd´hui, après avoir remporté de nombreux prix dans "différents pays, il reçoit le plus élevé attribué par le sien aux écrivains : le "Prix National de Littérature."

Par : Enrique Sainz | Source : La Jiribilla | 10 , Mars 2013

PRIX NATIONAL DE LITTERATURE !

{{}}

Ces prix génère toujours des chuchotements et des commentaires : que Juan a une œuvre plus vaste, que Pedro a marqué une époque, que cet autre car il est très âgé et malade. Parfois les raisons ne sont pas très valables, mais parfois si. Il s’agit de l’œuvre de toute une vie, même si ce trajet n´est pas encore très dilaté, comme dans ce cas, car notre lauréat d’aujourd´hui fêtera son 58e anniversaire cette année.

Cette reconnaissance n´est pas un prix à l’ancienneté ni aux vertus civiques ni une aide pour résoudre les problèmes financiers ou familiales d´un auteur. Leonardo Padura le reçoit parce qu´il a réussi à façonner une œuvre bien construite, solide, forte, avec des personnages qui sont entrés dans l’imaginaire populaire, un mérite en rien dédaignable. En considérant ses livres, nous ne sommes pas devant un écrivain complaisant qui a fait une recherche sur ce que voulaient lire ses concitoyens pour ensuite s´asseoir afin de tisser les histoires désirées.

Il n´écrit pas pour le marché, mais le grand public de Cuba et à l´étranger cherche ses textes avec une véritable avidité, remplit des grandes salles pour écouter ses conférences ou des lectures de ses récits, cherche ses titres plus récents avec persistance. Pourquoi ? Je pense que c´est dû tout d´abord à la clarté de sa prose et aussi à sa construction des environnements et des actions, au tracé des conduites et à la construction de ce que nous pourrions appeler un destin argumentaire qui est le moteur de l´histoire racontée vers un final, l´aboutissement de la vie des hommes et des femmes qui ont nourri les scènes de ses récits.

À ses débuts on ne pouvait pas prévoir qu´il susciterait un tel enthousiasme.

Son premier livre : Con la espada y con la pluma. Comentarios al Inca Garcilaso de la Vega (1984), une thèse pour obtenir son diplôme de philologie, fait avec sa prose réfléchie et nous ne pensions pas qu’elle dériverait vers des magnifiques romans et des chroniques journalistiques de grande qualité. Ce travail académique a affiné ses pouvoirs d´observation, a réveillé sa conscience vers les détails et a affilé son style afin que le texte dise précisément ce que demandait l’œuvre de l´auteur traité, car il parlait d´une personnalité de la culture latino-américaine que les spécialistes avaient observé avec plus ou moins de succès. Il ne s´agissait pas d’inventer ou de voir les choses d´une façon arbitraire, mais d’interpréter depuis les limites déjà reconnues puis mettre quelque chose de soi.

Cette relation étroite entre l´essai et le récit a aidé Leonardo Padura à voir les différents éléments de la réalité de ses romans avec un soin d´une grande importance pour l´intégration de ses histoires. Avec cette approche de Garcilaso, il a appris à regarder un personnage au sein de ses propres caractéristiques, un soin que nous retrouverons plus tard dans ses personnages fictifs, dans Heredia et ceux qui rempliront les pages de El hombre que a amaba los perros, sa plus riche et ambitieuse œuvre, un roman fort que nous lisons presque sans pause car il nous absorbe d’une façon incontrôlable, même si nous savons à l´avance ce qui va se passer.

Nous voyons pleinement Trotsky et Ramón Mercader, nous arrivons à les connaître dans leur dimension humaine comme si nous lisions une chronique d´un témoin qui leur ont parlé et ont participé à leurs dialogues et à leurs peurs, à leurs projets et à leurs frustrations. Dans cette vaste narration, nous nous mouvons également dans une période historique particulièrement sombre, une expérience intime que chaque lecteur assumera depuis lui-même. Nous entrons à la fois dans les descriptions que le romancier nous donne des espaces et dans les conversations, les nuances des faits que les forces de répression élaborent pour punir la désobéissance et les divergences. L´homme harcelé et persécuté, victime à la fin de la violence d´un fanatique, nous communique ses peurs et l’horreur qu’il ressent alors qu’il fuit et qu’il se cache, alors qu’il vit avec sa famille et qu’il attend la mort à laquelle il se sait condamné.

Dans La novela de mi vida nous nous retrouvons une nouvelle fois devant un homme singulier, le poète cubain José María Heredia, plongé dans l´Histoire comme ses jeunes compatriotes qui, dans les années 1970, ont vu changé le cours de leur vie à cause des intolérances dont ils ne pouvaient pas échapper, des forces qui allaient au-delà de leurs décisions. L´intrigue se tisse sur trois plans ou époques d’une telle manière qu´il n´y a pas de vides ou de moments inutiles dans le récit. L’action flue avec une grande cohérence et les moments s’entrelacent pour atteindre une narration des faits jusqu´à la fin de l´ouvrage, rempli de détails du grand dynamisme, avec des personnages aux profils et aux traits généraux parfaitement connus, comme une histoire unique qui s’intègre au passage des décennies.

Nous nous sentons dans ces espaces et dans les conflits de ces hommes et ces femmes comme dans notre réalité quotidienne, même si les circonstances d´aujourd´hui sont différentes de celles-ci. Une époque de notre histoire et plus encore : une des formes de notre destin national est dans ces pages travaillées très soigneusement, construites ligne après ligne, comme si se construisait notre propre vie. Un personnage réel comme Heredia, ayant des nuances si riches et une si grande importance dans le processus de construction de la nationalité cubaine, d´une existence paradigmatique dans le conflit séculaire entre l´individu, le Pouvoir et les soifs de Liberté et de Justice, est assumé par le narrateur dans toute son humanité, avec ses grandeurs et ses faiblesses, un exercice créatif qui donne à ce roman un rang très spécial au sein de la littérature cubaine des cinquante dernières années.

La qualité de ses œuvres précédentes, avec les personnages qui remplissent ces récits, étaient les antécédents essentielles de ces deux romans majeurs de Leonardo Padura. Comme précédent décisif se trouve sa lecture des œuvres d’Alejo Carpentier, un narrateur exemplaire, duquel notre plus récent Prix National a appris les grandes leçons quant au traitement des environnements, des descriptions et de la conception du temps de l´action. Sa connaissance de l’œuvre de ce maître de la langue s’est ancrée très profondément, comme on peut l’apprécier dans son livre Un camino de medio siglo : Carpentier y la narrativa de lo real maravilloso (1994), la culmination de deux autres de ses approches quant à son savoir-faire : Colón, Carpentier, la mano, el arpa y la sombra (1989) et Lo real maravilloso : creación y realidad (1989).

Et l’œuvre des contes de Leonardo Padura ? Et ses proses journalistiques  ?

Il a également construit une œuvre très riche dans ces sphères que les lecteurs cherchent avec persistance afin d´écouter une autre voix ce qu’ils veulent savoir et connaître. La totalité de ce corpus de proses dissemblables réellement extraordinaire nous offre trois vérités indéniables : la première, nous sommes en présence d´une écriture que nous remercions tous pour sa précision, son naturel, son pouvoir d´aimantation ; la seconde, l´auteur est profondément préoccupé par son pays et ses concitoyens, par les problèmes de la réalité nationale, et la troisième, dans ses textes nous avons non seulement ses qualités, mais aussi les témoignages de ses valeurs éthiques et du travail acharné de ce travailleur infatigable de la culture et pour la culture. Nous attendons avec impatience son prochain roman pour nous y plonger avec un grand plaisir.

Ainsi qu’il offre ses remerciements pour la remise de cette reconnaissance pour sa carrière littéraire, nous le remercions pour ses nombreux livres, articles, entrevues, prix, pour son travail en faveur du pays et pour l´enrichissement de ses lecteurs et nous le remercions également pour sa simplicité, sa cubanité et son amitié.