Polémique autour d’une oeuvre attribuée à Jean-Baptiste Vermay...

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L´attribution du Portrait de la famille Manrique de Lara au peintre Jean Baptiste Vermay est aussi historique que la polémique qu’elle a suscitée parmi les critiques et les historiens. La vérité est que le manque d´informations concernant sa production et ses différences ou ses évidentes avances formelles et techniques, qui la distinguent de tout ce qui a été peint par des peintres autodidactes populaires de notre époque coloniale, a rendu impossible de démontrer une forte tradition familiale non sustentée.

La polémique d´une attribution : Le Portrait de la Famille Manrique de Lara

Auteur : Boris Morejón Vega | Source : Lettres de Cuba | 28 , Avril 2013

Ce portrait se trouve parmi les œuvres de Vermay exposées dans la salle de peinture coloniale du Musée National des Beaux-arts, c’est une œuvre pittoresque qui, même si elle montre bien des innovations telles que l´introduction du groupe familial de ce genre, la captation du milieu aristocratique de la société havanaise de cette époque, mettant l´accent sur les vêtements, la vaisselle, les meubles, les rideaux et la balustrade en fer forgé comme un indicateur de progrès, elle entre en contradiction avec d´autres œuvres de ce peintre quant aux déficiences du dessin et de sa facture en sens général.

Selon les spécialistes, dans le Portrait de l´Homme, signée et datée en 1819, ou les peintures réalisées pour le Templete, on peut apprécier la maîtrise de la technique du portrait avec les caractéristiques néo-classiques, en raison de sa formation comme un disciple de David. Ces avis mettent en doute l´attribution du Portrait de la Famille Manrique de Lara à ce peintre.

Mais si le portrait n´est pas signé, d´où vient cette attribution ? Pour les œuvres qui ne sont pas signées et celles dont il n’y a aucun document validant leur appartenance à la production picturale d´un artiste déterminé, les musées emploient la méthode dite d’Attribution, permettant d´attribuer une œuvre à un auteur ou à une école à partir de l´analyse visuelle et stylistique, l´étude historiographique et l’analyse du matériel (1).

Ainsi, en 1971, l’œuvre a été incluse dans la salle permanente comme peinte par Vermay, où elle est restée jusqu´à ce jour, car elle présente les caractéristiques néo-classiques et parce que l’attribution est antérieure à son arrivée au Musée en 1967.

En faisant une analyse de l’œuvre on perçoit que les différents des historiens sur sa paternité commencent dès qu’elle a été exposée au public pour la première fois en avril 1940, lors de l´exposition « 300 ans d’art à Cuba », qui a eu lieu dans l´Université de La Havane.

Pour cette exposition, qui proposait les œuvres les plus représentatives du mouvement artistique à Cuba depuis sa création jusqu´à cette date, les données de l´œuvre ont été apportées par la famille du peintre Cundo Bermúdez, les anciens propriétaires, qui ont assuré que les portraiturés étaient leurs ancêtres et que le tableau avait été peint en 1812 par Jean Baptiste Vermay, le premier directeur de San Alejandro (2).

Toutefois, dans les remarques du catalogue apparaît la précision suivante : « Désireux d’exprimer des doutes quant à certaines dates figurant dans le catalogue sous chaque nom et encore plus en ce qui concerne le moment de la production de chaque œuvre… Les mille difficultés que l’on a parvenu à vaincre avec le temps et la rareté des données disponibles ont empêchés d´avoir une plus grande précision. La disposition chronologique des œuvres dans les salons, malgré la grande attention qu´elles ont mérite, ne peut être prise que comme une approximation » (3).

Il n´y a pas de documents précis sur les activités de ce peintre français avant son arrivée à Cuba, en revanche, dans la bibliographie de Vermay on sait qu’il est arrivé à La Havane à la fin de l´année 1815 et qu’il a apporté une liste de ses œuvres dans laquelle ce portrait ne figurait pas (4). Des données qui mettent en question l´année 1812 comme date d´achèvement de l’œuvre.

D’autre part, dans une relation des œuvres de Jean Baptiste Vermay, écrite par Sabine Faivre D´Arcier, biographe du peintre, apparaît que le portrait a été peint en 1833 (5) ; donc il serait l’une de ses dernières œuvres à Cuba, coïncidant avec l´année de sa mort. Cette date est d´un grand intérêt car elle apparaît pour la première fois dans la bibliographie. Cette information provient-elle d’un certain document testimoniale ou est-ce une appréciation ?

Le portrait a été exhibé une nouvelle fois lors de l´exposition « La peinture coloniale à Cuba », dans le Capitole National entre mars et avril 1950, où elle apparaît comme : Jean Baptiste Vermay, Portrait de la Famille Manrique de Lara, Collection Segundo Bermúdez (6). Guy Pérez Cisneros, en se référant à l’œuvre dans le catalogue de la collection, souligne : « … la perspective reste plate, la couleur pauvre, le dessin sec ; mais au moins nous n´avons pas ici l’ennuyeux style de gala. Le peintre a fait un pas vers la simplicité, la sensibilité et vers une expressivité beaucoup plus profonde que les tableaux du Templete.

On peut même voir le perroquet du vieil homme au visage très grave comme une légère intention de couleur locale… ». Dans ces mots nous pouvons apprécier comment l´auteur dresse un bilan détaillé des valeurs plastique et esthétiques de l’œuvre, mais il ne questionne pas sa paternité, contrairement, il l’a compare avec un portrait naïf, la classant en outre comme « une œuvre artistique assez pauvres, mais riches dans les intentions de la culture ».

En 1983, le peintre Jorge Rigol fait une analyse où il questionne cette attribution, proposant que ce portrait « … a été traditionnellement attribué à Vermay. Je ne connais aucun document qui l’atteste, ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas… il y a une tradition familiale transmise de génération en génération… ». Il nous montre aussi ses doutes en soulignant les différences notables entre cette œuvre et les deux autres exposées dans la salle du Musée National : Portrait de l´Homme, signée et datée en 1819 et Portrait du Capitaine Général Francisco Dionisio Vives (attribué) ; concluant ainsi : « Si on ne réalise pas une investigation exhaustive il sera pratiquement impossible d´armer ce puzzle » (7).

L´absence de preuve pour éclairer la paternité de l’œuvre a soutenu par conséquence la réaffirmation de cette tradition familiale et, en 1968, elle a été éditée sur un timbre postal de Correos de Cuba comme appartenant à Vermay, en commémoration du 150e anniversaire de l´École de San Alejandro (8).

Récemment, en 2010, Ramón Cabrera Salort, avec un regard depuis l´enseignement artistique, a qualifié la paternité du Portrait de la Famille Manrique de Lara comme une énigme non résolue, faisant valoir : « … il est difficile que cette œuvre puisse révéler une solide formation académique et la reconnaissance de son auteur comme un disciple de David. En contraste manifeste… il y a aussi un portrait d’un gentilhomme attribué à Vermay, qui montre la maîtrise la plus dépurée de la technique du portrait. Toutes les œuvres soulignées sont-elles de Vermay ? » (9).

Toutes ces opinions ont comme dénominateur commun que les éléments formels appréciables dans l’œuvre ne correspondent pas avec la peinture de Vermay, mais jusqu’à ce jour, les approximations réalisées afin de clarifier sa paternité ont seulement pris en considération l´analyse visuelle, laissant l´étude matérielle suggérée comme une nécessité.

Compte tenu de l´importance de ce portrait pour la connaissance de l´évolution de notre peinture coloniale, le Musée National des Beaux-arts effectue un travail d´expertise visant à expliquer cette attribution à partir de la correspondance entre l´étude historico-artistique et l´analyse matériel de l’œuvre.

Depuis le point de vue matériel on obtiendra une information sur la composition chimique des pigments employés, des liants, de la base de préparation et elle pourra être comparée avec d´autres œuvres peintes ou attribuées à Vermay. Actuellement on étudie les résultats des analyses effectuées sur des microéchantillons et on coordonne l´étude des parties avec la photographie infrarouge et aux rayons X, pour connaître le dessin sous-jacent et le mode d´exécution.

Bibliographie

Bannatyne-Alvarez, Ana Maria. Cundo Bermúdez. Cuban-American Endowment For The Arts, INC. Miami, Florida. 2000

Cabrera Salort, Ramon. La mirada de una isla despierta : dos siglos de arte y enseñanza de Cuba. Faculté des Arts Plastiques de l´Institut Supérieur de l’Art (ISA). La Havane, 2010. http://Dialnet.unirioja.es/servlet/fichero_articulo?Codigo=3235627 & order = 0. Révisé le 29 septembre 2011.
Calcines, Argel. En busca del aura perdida. Revue Opus Habana, année 1. N ° 1, 1995, pp. 10-13

http://www.habanaelegante.com/Winter2004/Templete.html. Révisé le 9 septembre 2011
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Faivre d´Arcier, Sabine. Vermay Mensajero de las Luces. Casa de Altos Estudios Don Fernando Ortiz. Maison d’édition Imagen Contemporánea, La Havane. 2004.

Galerie d´Art Cubain. Musée National. Palais des Beaux-arts. La Havane, 1964. Catalogue.

García Hernández, Greta. Expertizaje de un cuadro atribuido a Amadeo Modigliani. Conservation de l´Art Contemporain, 8e Journées. Musée Nacional “Centro de Arte Reina Sofia”. Madrid, février 2007.

Gómez González, María Luisa. Examen científico aplicado a la conservación de obras de arte. Éd. Cátedra. Madrid, 1998.

Guide de la Galerie d´Art de Musée National de Cuba. Patronato de Bellas Artes y Museos. La Havane, 1955. Catalogue.

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Marias, Fernando. Teoría de Arte II. Maison d’édition Historia 16, Información e Historia, S.L. Madrid, 1996.

Nuñez Gutiérrez, Miguel Luis. Salas del Museo Nacional de Cuba. Palais des Beaux-arts. Maison d’édition Letras Cubanas. La Havane, 1990. Catalogue.
Primera Exposición Retrospectiva. Association des Peintres et des Sculpteurs. La Havane. Novembre 1922. Catalogue
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Pérez Cisneros, Guy. Características de la evolución de la pintura en Cuba. Ministère de l´Éducation. La Havane, 1959.

R. Bermudez, Jorge. De Gutenberg a Landaluze. Maison d’édition Letras Cubanas. La Havane, 1990.

Revue Opus Habana. El legado de Vermay. Vol I, Nº 4, 1997, pp 31-38. http://www.opushabana.cu/index. Révisé le 9 septembre 2011.

Rigol, Jorge. Apuntes sobre la pintura y el grabado en Cuba. Maison d’édition Pueblo y Educación. La Havane. 1989.

Rigol, Jorge. Pintura Cubana. Musée National de Cuba. Peinture. Maison d’édition Letras Cubanas. La Havane, 1978. Catalogue.

Rodriguez Morey Antonio. Diccionario de Artistas Plásticos de Cuba. Non publié, écrit entre 1940-60.

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Torres-Cuevas, Eduardo. Obispo de Espada. Collection Biblioteca de Clásicos Cubanos, Nº 4. Maison des Hautes Études Don Fernando Ortiz. Maison Imagen Contemporánea, La Havane, 2002.

300 Años de Arte en Cuba. Université de La Havane. Avril 1940. Catalogue.
Valderrama, Esteban. La pintura y la escultura en Cuba. La Escuela Nacional de Bellas Artes San Alejandro. La Havane, Cuba. 1952.

Notes
1 - Marías, Fernando. Teoría de Arte II. Maison d’édition Historia 16, Información e Historia, S.L. Madrid, 1996
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2 - Bannatyne-Alvarez, Ana Maria. Cundo Bermúdez. Cuban-American Endowment For The Arts, INC. Miami, Florida. 2000

3 - 300 Años de Arte en Cuba. Université de La Havane. Avril 1940. Catalogue.

4 - Torres-Cuevas, Eduardo. Obispo de Espada. Collection Biblioteca de Clásicos Cubanos, Nº 4. Maison des Hautes Études Don Fernando Ortiz. Maison Imagen Contemporánea, La Havane, 2002.

5 – Faivre d´Arcier, Sabine. Vermay Mensajero de las Luces. Casa de Altos Estudios Don Fernando Ortiz. Maison d’édition Imagen Contemporánea, La Havane. 2004.

6 - La pintura colonial en Cuba. Exposition dans le Capitole National. La Havane, 4 mars-4 avril 1950. Catalogue.

7 - Rigol, Jorge. Apuntes sobre la pintura y el grabado en Cuba. Maison d’édition Pueblo y Educación. La Havane. 1989
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8 - Bannatyne-Alvarez, Ana Maria. Cundo Bermúdez. Cuban-American Endowment For The Arts, INC. Miami, Florida. 2000

9 – Cabrera Salort, Ramon. La mirada de una isla despierta : dos siglos de arte y enseñanza de Cuba. Faculté des Arts Plastiques de l´Institut Supérieur de l’Art (ISA). La Havane, 2010.