Prostitution à CUBA (1959-2011)

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Une étude de Dominique GAY-SYLVESTRE
Professeur des Universités (civilisation hispano-américaine)
Directrice EA DYNADIV/FRED

Responsable réseau Amérique latine Europe Caraïbes (ALEC)
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, LIMOGES, France

Publiée en ligne le 20 décembre 2012

RESUME DE L’ETUDE ...

La prostitution est éradiquée à Cuba, à l’issue d’une intense campagne de réhabilitation des prostituées. L’évolution de la société cubaine, l’incorporation massive des femmes au travail, les difficultés politiques et économiques que traverse l’île, font surgir des comportements nouveaux. Aggravés par l’effondrement du bloc socialiste, ils vont à l’encontre des structures familiales traditionnelles.µ
Des cubaines qui recherchent une ultime solution pour améliorer leur niveau de vie et celui de leur famille ont recours au jneterismo. Tolérée, dans un premier temps, par les autorités cubaines, cette nouvelle forme de prostitution s’adapte aux changements sociaux et s’ajuste aux caprices des touristes qui arrivent en masse sur l’île, en quête d’exotisme et de sensations défendues. Un marché du sexe fait son apparition : ses réseaux touchent les secteurs les plus inattendus de la société cubaine.

Le début de l’étude ...

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« En 1959 tout a changé d’un seul coup et pour tous… le pays a changé… » raconte, des années plus tard, à La Havane, Elsa Contreras, alias Fleur de Lotus :
« les rebelles ont gagné la guerre et Batista a quitté Cuba, ce que tout le monde voulait dailleurs… tout cela ne m’a pas beaucoup touchée parce que plusieurs filles étaient disposées à continuer à travailler avec moi et je me disais : ils ont beau faire toute cette révolution, s’il y a une affaire qui va continuer à marcher c’est bien la prostitution. ... » (Padura, 2006 : 323).

Mais, dans la capitale, les quartiers Colón, La Vitoria, San Isidro, La Vía Blanca, haut lieux de la prostitution, sont en ébullition. Il se murmure que la Révolution sera implacable avec les prostituées, qu’elles seront fusillées, qu’elles iront en prison ou seront envoyées dans des fermes de redressement. D’autres assurent, au contraire, que le nouveau gouvernement sera comme le précédent et que rien ne changera vraiment.

Il n’empêche… bon nombre de tenanciers préfère prendre la fuite vers la Floride voisine, abandonnant leurs maisons aux filles, qui, n’ayant plus à partager leurs bénéfices avec eux, travaillent désormais pour leur propre compte. Avec l’arrivée des barbudos, les rues de la capitale, désertées les derniers mois de la dictature de Batista, reprennent vie. Certes, à la différence d’autrefois, il n’y a pas la queue à la porte des maisons closes, mais les « filles » gagnent mieux leur vie.

Or, dès février 1959, alors qu’il s’adresse aux ouvriers de la compagnie Shell, Fidel Castro met l’accent sur la douloureuse réalité vécue par une partie de la population cubaine :

Vous savez tous la tragédie qu’affronte la femme et celle qu’affronte le Noir. Ce sont deux secteurs qui connaissent la discrimination. On parle, par exemple de discrimination sexuelle, du nombre de femmes que l’on essaie d’exploiter et de ce que l’on considère les femmes comme un objet de plaisir plus que comme une figure sociale, capable d’être au même niveau que l’homme… (Gay-Sylvestre, 2006 : 65).

Cuba ne peut plus être cette « île de tous les délices » (Valle, 2010 : 189), lieu de débauche privilégié d’un certain tourisme, nord-américain en particulier. La prostitution est désormais une « maladie sociale curable » que la Révolution se doit d’éradiquer si elle veut être conséquente et crédible.

Un mois après le meeting avec les ouvriers de la Shell, une « Police de tourisme » est chargée de contrôler les touristes masculins qui arrivent seuls sur l’île. Puis, un contrôle sanitaire, systématique, des prostituées exerçant dans les maisons closes est instauré. Si elles ne souffrent pas de maladies vénériennes, qu’elles sont en bonne santé, on leur délivre un carnet de santé et elles peuvent poursuivre leur activité.

Ces mesures, très mal vécues par les prostituées, s’accompagnent d’une série d’interdictions (alcool, drogue) et d’une réglementation très rigoureuse des horaires d’ouverture des maisons de tolérance, restreignant ainsi leur activité.
Dans le même temps, des mesures prophylactiques identiques sont appliquées aux « fleurs de macadam ».

Les contrôles aux postes de police s’intensifient. Il devient clair qu’une campagne contre les « vices et fléaux » de la société capitaliste (FMC, 1988 : 9) est amorcée car :
« il faut donner naissance à une nouvelle femme, la femme de la société socialiste. Libérée de l’esclavage domestique et du poids des préjugés du passé, elle doit jouir de tous les droits et s’incorporer pleinement à la production » (Gay-Sylvestre, 2006 : 90).

Lire la suite : http://epublications.unilim.fr/revues/dire/295