La troisième intervention des États-Unis à Cuba

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« Un soulèvement noir organisé à Cuba en mai 1912 par les Indépendants de couleur, prit des proportions telles que, le 23 mai, le Département de la marine dépêcha des troupes à la Base navale des États-Unis, dans la baie de Guantanamo ».

LE SOULÈVEMENT DES INDÉPENDANTS DE COULEUR

par Gabriel MOLINA FRANCHOSSI

Pour Granma International en français

IL y eut trois interventions militaires des États-Unis à Cuba, et non pas deux, comme on l’admet parfois. Le contre-amiral M.E. Murphy reconnaît dans The History on Guantanamo Bay, 1494-1964, que « le soulèvement noir de 1912 amena les États-Unis à intervenir de nouveau à Cuba, cette fois par la province d’Oriente ».

Le 20 mai 1912, le Parti indépendant de couleur (PIC) avait organisé un soulèvement armé, plus symbolique que réel, qui servit de prétexte au déclenchement du massacre de plus de 3 000 Cubains, noirs et métis. Les membres du PIC demandaient l’abrogation de la Loi Morua, qui interdisait la légalisation de partis politiques noirs, et étaient engagés aux côtés d’autres secteurs de la société pour la suppression de la discrimination contre les non-Blancs instaurée précisément par l’occupant nord-américain.

Sous le prétexte de protéger leurs citoyens et leurs biens, comme lors de la deuxième intervention de 1906, la dénommé 1e Brigade provisoire fut organisée sous le commandement du colonel Lincoln Karmany, et stationnée dans la baie de Guantanamo. Le quartier général de la base dépêcha plusieurs détachements ayant pour mission d’ « occuper et de défendre les points stratégiques ».

LE FRUIT MÛR

La véritable raison de ces interventions et du blocus qui est actuellement exercé contre notre pays est consignée dans de nombreux documents officiels des États-Unis. John Quincy Adams, secrétaire d’État du président Monroe, parlait en 1823 de « l’inévitable annexion de Cuba », en affirmant que l’Île finirait par tomber entre les mains des États-Unis, que le moment viendrait où il suffirait de tendre la main pour cueillir le fruit mûr…

Le président William Mckinley estima que le fruit était suffisamment mûr en 1898, et décida de lancer la première intervention militaire contre notre pays afin de ravir la victoire à l’Armée de libération de nos « mambises » sur une armée espagnole épuisée par les trois guerres que la métropole avait été contrainte de livrer en trente ans.

Dès le début des protestations organisées par les membres du PIC, des partisans de l’occupation et de l’annexion de l’Île comme Knox, secrétaire à la Guerre sous le gouvernement du président William Taft ; Arthur Beaupré, ministre des États-Unis à Cuba, et Frank Steinhart, président de la Havana Central Railroad Co., se mobilisèrent et firent pression pour obtenir l’intervention et protéger leurs intérêts. Le 1er mai, Beaupré proposa à son gouvernement d’envoyer à Cuba un navire chargé de marines.

Quant à Taft, il envoya un ultimatum au gouvernement cubain, menaçant d’intervenir si le mouvement n’était pas rapidement jugulé par le président José Miguel Gomez, qui pour des raisons électorales essayait de venir à bout des protestations par des moyens pacifiques.

Face à ces menaces, Gomez répondit qu’il avait pris « toutes les mesures qui s’imposaient pour mettre un terme au soulèvement » et qu’il ne jugeait « pas nécessaire une intervention ».

Cependant, la brigade du colonel Lincoln Karmany, composée de 69 officiers et de 2 008 effectifs, fut rassemblée à Norfolk, en Virginie, tout comme le 1er Régiment formé de 29 officiers et de 756 hommes, sous le commandement du colonel George Barnet, qui embarqua le 23 mai à bord de l’USS Prairie et de l’USS Paducah, et arriva à Guantanamo 5 jours plus tard, le 28 mai. Ils y resteraient jusqu’au mois d’août.

Le 25 mai, le deuxième régiment composé de 40 officiers et de 1 252 hommes, placé sous les ordres du colonel James E. Mahoney, voyagea à bord de l’US Atlantic Fleet et débarqua début juin dans la baie de Guantanamo.

Le 11 juin 1912, le détachement de marines de l’USS Ohio, sous le commandement du capitaine R.C. Hooker, à bord de l’USS Eagle, fut transféré de la baie de Nipe à celle de Guantanamo, où il débarqua le 12.

Un autre détachement composé de 27 hommes de l’USS Nashville, et autant d’effectifs de l’USS Paducah, aux ordres du lieutenant E.P. Finney, débarqua à Preston, dans la baie de Nipe, et voyagea par chemin de fer jusqu’aux mines de la Spanish American Iron Works, à Woodfred, à Cuba, pour protéger les propriétés nord-américaines.

Les effectifs des États-Unis occupèrent plusieurs villes et villages près de Santiago de Cuba. Des troupes de la Brigade furent envoyées à Guantanamo, Soledad, Los Canos et San Antonio, entre autres localités.

Avec le soutien de ces troupes d’occupation, l’armée nationale « blanche » – les Noirs étant exclus des unités de combat – créée par les États-Unis, était suffisamment puissante pour écraser le soulèvement.

La révolte avait commencé le 20 mai, jour du 10e anniversaire de la déclaration de la République néocoloniale occupée par l’armée des États-Unis, dans le cadre d’une sorte de transaction face à la ferme opposition des officiers et des troupes mambises à une annexion au voisin du Nord. Les protestations du PIC à Pinar del Rio, La Havane, Matanzas et Las Villas furent rapidement réprimées. Mais le mouvement continua avec une vigueur accrue dans l’est du pays, sous la direction d’officiers de l’armée cubaine de libération comme le général Pedro Ivonet, et le lieutenant Evaristo Estenoz, dans les villes de Santiago de Cuba, Guantanamo, Holguin, El Cobre, Alto Songo et San Luis.

La répression sanglante, marquée par les assassinats d’Ivonet et d’Estenoz, dura deux mois, et fut menée sous les ordres du général José de Jesus Monteagudo, les forces des gardes champêtres, de l’armée nationale et des volontaires, qui comptèrent une vingtaine de morts dans leurs rangs.

LES INTERVENTIONS DANS LA CARAÏBE DEPUIS GUANTANAMO

À partir de février 1913, le colonel Lincoln Karmany put une nouvelle fois diposer d’une grande unité à Guantanamo : la 2e Brigade provisoire, composée de 72 officiers et de 2 100 hommes. En 1915, cette unité fut dépêchée vers Haïti, qui fut envahie, pour une occupation qui allait durer jusqu’en 1932.

La période allant de 1915 à 1918 allait maintenir les marines très occupés à Guantanamo. Toute une série d’actions furent lancées en Haïti, en République dominicaine, ainsi que la « Sugar intervention » à Cuba. La compagnie No 24, qui faisait partie de la garnison permanente de la Base navale, fut dépêchée en Haïti le 29 juillet 1915. Des interventions plus ou moins importantes furent menées un peu partout en Amérique latine.

Dans sa lettre à son ami mexicain Manuel Mercado, notre Héros national José Marti était on ne peut plus visionnaire lorsqu’il signalait : «  Je suis chaque jour en danger de donner ma vie pour mon pays et pour mon devoir, d’empêcher à temps par l’indépendance de Cuba que les États-Unis ne s’étendent dans les Antilles et ne s’abattent, avec ce surcroît de force, sur nos terres d’Amérique. Tout ce que j’ai fait jusqu’à ce jour et ferai n’a pas d’autre but. »