Le Petit Prince de Saint Exupéry et les Marionnettes cubaines !

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Un article publié dans "LETTRES DE CUBA" de Juin 2013

Par Mario García Portela

Traduit par Alain de Cullant

L’écrivain français Antoine de Saint-Exupéry n’aurais jamais imaginé que son œuvre littéraire Le Petit Prince continuerait à inspirer des cinéastes, des peintres, des chorégraphes, des musiciens et des dramaturges soixante-dix ans après le 6 avril 1943.

Retrouver l’esprit de l’enfance a été l’appel lancé par le pilote, né à Lyon (la ville natale de la marionnette Guignol créée par Laurent Mourguet vers 1808), par le biais de l’enfant vivant sur l’astéroïde B 612 avec une rose belle et vaniteuse, mais avec la fragilité propre de toutes les fleurs.

La poésie et l’humanisme transitent par cette œuvre intemporelle, qui a été à plusieurs reprises un motif d’inspiration du théâtre national et international. Récemment, j’ai reçu la nouvelle d’un nouveau montage réalisé en Espagne par le théâtre Silfo, avec une direction de l’éminent metteur en scène argentin Claudio Hochman, qui a offert un atelier de mise en scène à Matanzas, Cuba, en 2010.

Plus de 250 traductions et plus de 1000 éditions du célèbre conte sont en compétition avec la quantité de spectacles présentés dans le monde chaque jours, sur les planches ou dans le retable, avec les acteurs en chair et en os ou ceux de toile, de papier et de carton.

À Cuba, celle qui s’est aventurée pour la première fois avec une mise en scène de marionnettes qui signalait « On voit bien seulement avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux », a été Carucha Camejo, la partie féminine du trio fondateur du Théâtre National de Guignol.

L’élégante actrice, présentatrice, marionnettiste et dramaturge avait déjà travaillé sur des projets tels que El flautista prodigioso, de Robert Browning ; Alelé, basé sur le personnage d’une ronde populaire traditionnelle ; La boîte de joujoux, un ballet pour poupées du compositeur Claude Debussy ; et Cendrillon, sa version du célèbre conte de Perrault, étrennée en 1964, toutes dirigés à six mains avec les deux Pepe.

Il n’est pas surprenant qu’elle ait choisi le célèbre texte d’Antoine de Saint-Exupéry, pour ses débuts, en avril 1965, comme directrice artistique en solitaire d’une œuvre avec des marionnettes pour les enfants.

Elle a réalisé l’adaptation théâtrale alors que les dessins des figures, des silhouettes et des masques étaient la création de son frère Pepe, qui a travaillé les costumes avec le très jeune Armando Morales, qui partage également la distribution et le mouvement avec le talentueux marionnettiste et plasticien Ernesto Briel.

La chorégraphie porte la signature de Julio Medina, et la musique est de Juan Márquez, un autre collaborateur habituel du Théâtre National de Guignol. Carucha était passionnée du risque créatif, de l’expérimentation, et sa nouvelle première de « théâtre intellectuel » n’a pas été sans controverse et commentaires succulents.

Certains admiraient la poésie et la beauté de la production, alors que d’autres critiquaient la ligne peu conventionnelle d’un montage recherchant des nouveaux langages de communication avec le public infantile, un détail qui marquera tout le travail ultérieur de Carucha Camejo.

Plusieurs années ont passé avant que ce titre, qui aura bientôt sa version cinématographique en 3D, revienne sur la scène nationale. Je me souviens parfaitement la singulière proposition dramatique de l’actrice et directrice Flora Lauten, avec les élèves de sa classe lors des premières années de 1980, dans l’Institut Supérieur d’Art de La Havane.

Fidèle aux postulats du livre sur les déclarations de justice, de solidarité, d’amour et d’amitié, la notable directrice a réalisé un magnifique et émouvant spectacle qui traitait de la sensible question de l’immigration, utilisant des acteurs, une musique en direct d’Enrique González et d’essentiels éléments scéniques conçus par Leandro Soto.

L’œuvre a obtenu le Prix de la Mise en Scène qui explore les chemins d’un nouveau langage théâtral, lors du Festival de Théâtre de La Havane, en 1984.

Cette même année, Eddy Socorro, alors à la tête du Théâtre National de Guignol, reprend Le Petit Prince dans la petite salle de l’édifice Focsa. La musique a été composée par Julio Roloff et les dessins étaient d’Armando Morales. Les critiques dans la presse ont fait les éloges de la mise en scène et l’appel qu’a fait le journaliste Waldo González en octobre 1985 était très spéciale : « … maintenant, si vous avez des difficultés ou trop d’inquiétude, il serait mieux que vous veniez un autre jour car ce spectacle poétique exige les yeux et les oreilles. Oui, vous devez être attentif, car une grande partie de sa beauté - son secret et son mystère - se cache dans les dialogues, cette conversation magique de l’enfant avec l’aviateur  ».

En 1985, le groupe de Théâtre Infantile et Juvénile de Sancti Spíritus étrenne sa vision du petit personnage qui cherche une planète où vivre une existence idéale. Sous la direction de Lilian Dujarric, une musique originale de Denis Hill, des décors, des costumes et des lumières d’Armando Lumpuy, plus une distribution comptant le regretté marionnettiste Hugo Hernández, parmi d’autres, Lilian Dujarric monte une production avec acteurs, trop proche de la première de Flora Lauten, avec des éclairs de ce montage encore scintillants, qui a sûrement joué un rôle dans les critiques sévères lors du passage de cette mise en scène durant le IXe Festival de Théâtre pour les Enfants et les Jeunes de La Havane.

Le Guignol Santiago a proposé cette œuvre quelques années plus tard, avec une version et une direction d’Ana María de Agüero, une proposition marquée par des dessins évocateurs de Suitberto Goire, mais dont je ne possède pas d’autres références que mes souvenirs de jeune enveloppé par l’obscurité de la salle et le travail de mes collègues du groupe oriental.

De la période à cheval entre la fin du XXe siècle et l’avènement du XXIe, je me rappelle aussi de la magnifique marionnette du petit prince conçue par le peintre et dessinateur Tomás Sánchez, pour une série télévisée réalisée par Julio Cordero, avec d’importantes personnalités du théâtre et du petit écran dans les rôles principaux.

Je ne me souviens pas d’autres tentatives cubaines depuis les marionnettes ou avec des acteurs sur le territoire national. Je suis certain qu’il y a d’autres mais ma piètre mémoire ne s’en souvient pas.

D’une façon très personnelle, je pense que la relation de notre mouvement de marionnettiste avec ce livre si spécial a été très prudente. Tout le monde n’ose pas représenter une histoire chargée de pensées philosophiques, de polysémiques dans ses diverses et riches images, avec des clins d’œil aux enfants et aux adultes depuis ses métaphores connues et commentées.

Comme dit le Roi lors de la rencontre avec le Petit Prince : «  Il faut exiger de chacun ce que chacun peut faire  ». Mon message pour le 70e anniversaire du roman d’Antoine de Saint-Exupéry est pour tous ceux qui ont dialogué avec l’enfant aux cheveux blonds et avec l’écharpe autour du cou. Je n’ai pas encore pu, je l’avoue.

C’est pour cette raison que je me sens comme le renard du récit quand il dit au Petit Prince : « Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et toi tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde. »