Deux siècles d’émancipation et d’indépendance dans les Caraïbes

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La splendide célébration du bicentenaire du commencement de la guerre libertaire contre le colonialisme espagnol au sud du continent du Nouveau Monde, la libération des attaches coloniales, vue à partir d’une perspective hémisphérique, constitue un hommage digne à l’un des processus historiques les plus fascinants du dernier mi-millénaire.

Connaitre les différents modèles de domination coloniale ...

Auteur : Graciela Chailloux Laffita | Source : www.caribefilm.cult.cu

L’Europe de la Renaissance, qui fut témoin avec étonnement et stupéfaction de l’extension infinie de l’univers – cosmique et terrestre – a enchaîné à ses desseins le Nouveau Monde. Elle l’a fait à partir de la création la plus variée de formes de soumission humaine et territoriale et sur la base de structures sociales et environnementales d’une diversité insoupçonnée. Par conséquent, les sociétés émergeant du Nouveau Monde furent des créations métropolitaines d’une diversité extraordinaire.

Bien que les lignes disponibles ne suffisent pas à étendre l’explication du processus complexe et divers de l’indépendance dans les Caraïbes – porte d’entrée des Européens, Africains et Asiatiques au Nouveau Monde -, elles seront appropriées pour esquisser au moins l’itinéraire conceptuel pour l’étude des particularités et régularités d’un processus qui, bien que négligé par l’académie, a une considérable importance.

Le terrain dans lequel ont fructifié les nations d’émancipation personnelle et collective, la nation et la nationalité, l’indépendance politique et économique et la révolution, fut aussi divers que les quatre métropoles européennes qui ont configuré des sociétés dépendantes dans les Caraïbes.

C’est pourquoi la connaissance des différents modèles de domination coloniale est essentielle pour comprendre l’expression de l’idéologie indépendantiste dans les Caraïbes. Mais une notion de lutte pour l’indépendance dans les Caraïbes ne peut pas continuer à méconnaître que, dans le Nouveau Monde, y compris les Caraïbes, une partie de cette lutte est la résistance à la domination coloniale non seulement des peuples originaires, des africains réduits en esclavage, mais aussi de l’élite créole. Uniquement en reconnaissant cette vérité historique si éludée il devient possible de comprendre pleinement les origines, les agents et la répercussion de la Révolution haïtienne.

Il faut reconnaître que la Révolution haïtienne n’a pas seulement eu des liens profonds avec la révolution anticoloniale du continent. Heureusement, il existe déjà un point de départ pour l’étude de son impact dans le reste des Caraïbes. Il s’agit d’un livre édité par l’Université des West Indies à Trinité-et-Tobago dans le cadre des études présentées lors d’un congrès académique.

Intitulé « La Réinterprétation de la Révolution haïtienne et de ses retombées culturelles »[1] il a rendu un important hommage au bicentenaire de l’épopée haïtienne et à mis sur la table des études éminentes à propos de la répercussion sur le reste des îles possédées par l’Espagne, l’Angleterre, la Hollande et la France, qui explique la genèse de la concertation de politiques destinées à réprimer simultanément toute tentative d’imitation et à liquider les rebelles.

Une véritable mosaïque de politiques contre-révolutionnaires s’est emparée des Caraïbes colonisés. L’Angleterre a préparé l’abolition de l’esclavage (1834-1838) pour s’assurer de garantir la loyauté des esclaves émancipés – fondement de la stabilité sociale après l’émancipation – moyennant des promesses de satisfaction des expectatives caressées pendant l’esclavage (possession de la terre, des salaires dignes, bonnes conditions sanitaires et éducation), l’utilisation des servants asiatiques authentifiés par devant notaire en tant qu’agents de fragmentation et la diffusion du credo selon lequel la liberté individuelle était un don de sa généreuse majesté.

Les Français, moins sophistiqués que les britanniques, ont dû mettre en œuvre l’abolition de l’esclavage ; mais ils ont fait recours à la fixation des anciens esclaves aux plantations moyennant un système de contrôle de leur mobilité. L’abolition de l’esclavage dans les possessions hollandaises s’est caractérisée par sa maigre ampleur. À cause de la petite extension du territoire ou de l’aridité de leur sol, les îles n’étaient pas appropriées pour l’expansion de grandes plantations de canne à sucre, tandis que sur le continent, les contreforts de la forêt amazonienne furent le refuge idéal pour les esclaves qui s’étaient échappés des plantations.

Le cas extrême fut l’Espagne, non à cause de son entêtement, mais de l’incapacité de l’économie métropolitaine d’assumer ses possessions coloniales dans les Caraïbes en tant qu’ateliers complémentaires d’une production industrielle inexistante. C’est pour cette raison que la résistance des esclaves et la frustration de l’obtention des reformes politiques demandées par l’élite créole ont rendu possible la participation des esclavagistes et des esclaves à une guerre pour l’indépendance.

Au bout d’une décennie de lutte sanglante, l’indépendance du joug colonial n’avait pas été obtenue, mais l’esclavage se trouvait dans un très piteux état. C’est pour cela que la date de son certificat de décès : 1886, ne peut pas dissimuler le coma qu’expérimentait cette institution depuis 1868. Le cas du Porto Rico ressemble le cas de Cuba. La possession espagnole de l’île la Española – Saint-Domingue – avait atteint son indépendance en 1865.

Les conditions dans lesquelles a eu lieu l’abolition de l’esclavage dans les Caraïbes – sans droits économiques, politiques et sociaux pour ce qui venaient de s’émanciper – ont servi de catalyseur à des révoltes sociales réitérées. Dans cette situation, les répercussions sur les économies appauvries caribéennes de la crise économique de 1929-1933 a provoqué une « révolution » dans la région. C’est le qualificatif employé par les commissions envoyées, par exemple, par les Etats-Unis et l’Angleterre pour examiner les causes de la gravité de la commotion sociale dans leurs respectives possessions dans les Caraïbes.

C’est ainsi que les années 30 ont été une décennie critique pendant laquelle la conscience nationale, le nationalisme, l’anti-impérialisme, l’indépendantisme et la révolution intellectuelle furent les facteurs qui ont configuré la nouvelle physionomie des Caraïbes. Depuis lors, toutes les tentatives impériales - réformes constitutionnelles, interventions militaires, politiques de développement économique, etc. – destinées à préserver le caractère dépendant de la région, ont montré constamment leur inefficacité opiniâtre.

Au 19e siècle, la concession de l’émancipation individuelle a suffit et uniquement quatre de tous les territoires ont atteint un certain degré d’indépendance : Haïti République indépendante, Cuba République indépendante avec des droits constitutionnels reconnus par les Etats-Unis, la République dominicaine avec sa douane sous le contrôle étasunien et Porto Rico Etat libre associé. Mais les années 30 du 20e siècle ont marqué la prédominance de l’exigence de l’émancipation collective.

En 1946, la France a répondu à cette demande d’une manière controversée en déclarant Département d’outre mer leurs possessions caribéennes. De même qu’Haïti au début du 19e siècle, vers la moitié du 20e siècle, Cuba a égalé le courage haïtien en se heurtant au plus grand pouvoir économique, militaire, idéologique et politique de l’histoire. L’Angleterre a montré encore une fois sa capacité d’évader la confrontation violente avec la concession de l’indépendance, à partir de 1962, à une partie de ses possessions dans les Caraïbes dans le cadre d’une association, ce qui a marqué un tournant dans sa politique coloniale. La Hollande a accordé l’indépendance a certaines de ses colonies caribéennes à partir de 1985. Des anciennes possessions françaises, anglaises et hollandaises sont encore des colonies auxquelles s’ajoutent celles sous la tutelle des Etats-Unis.

La compréhension d’un résultat si complexe dans le processus d’indépendance des Caraïbes devra tenir compte des traits les plus remarquables de leurs sociétés tels que le rôle joué par la classe, la race et le genre dans la formation des structures sociales ; la structure sectorielle de la force de travail : bourgeoisie nationale, bourgeoisie étrangère, classe moyenne, ouvrier, paysan, travailleur informel, lumpenprolétariat, armée industrielle de réserve, etc. ; l’origine et les caractéristiques des syndicats et des partis politiques. Tout cela fait partie des questions qui permettront de mettre au clair – en tant qu’impératif de la projection de l’avenir de l’unité caribéenne – ce qu’il y a d’universel et de singulier dans le processus inachevé d’indépendance des Caraïbes.

Bibliographie

Martin Munro y Elizabeth Walcott-Hacshaw 2008 Echoes of the Hatian Revolution, 1804-2004 (University of the West Indies : Jamaica- Barbados-Trinidad and Tobago)


2006 Reinterpreting the Haitian Revolution and its Cultural Aftershocks (University of the West Indies : Jamaica- Barbados-Trinidad and Tobago)