Le dernier acte de Kennedy : se rapprocher de Cuba !

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Un article de Peter Kombluh qui dirige le Projet de la Documentation sur Cuba dans les Archives de la Sécurité Nationale à Washington et est coauteur, avec William LeoGrande, du livre qui doit paraître prochainement Talking with Cuba

(publié par le journal mexicain La Jornada, México. Traduction en français danielle Bleitrach pour histoire et société)

Lire également l’excellent article de Michel PORCHERON, que nous avons publié le 26 avril 2012 : Grand format. Le crime de Dallas, bientôt 50 ans. Quelques certitudes"."Grand format. Le crime de Dallas, bientôt 50 ans. Quelques certitudes"

Dans les jours de son assassinat, le président des Etats-Unis avait exploré activement un accord avec Cuba et travaillait en secret avec Castro pour mettre en place des négociations secrètes pour améliorer les relations...

Après la publication des extraits du reportage de Goldenberg dans The Atlantico, voici en complément un article d’un américain qui dirige les archives sur Cuba et qui complète les révélations du précédent article. la publication de ces articles, la publicité que leur accorde Cuba se situe bien sîr dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de l’assassinat de Kennedy, mais je crois qu’il y a plus, une véritable tentative pour reprendre les négociations, un appel à Obam, dans un contexte où l’on espère une détente générale de la politique des Etats-Unis (note et tradution de Danielle Bleitrach)

Le dernier acte de Kennedy : se rapprocher de Cuba

Le cinquantième anniversaire de la mort violente du président des etats-Unis John F.Kennedy nous a permis de connaître un secret longtemps gardé : après l’assassinat de Dallas, Fidel Castro a envoyé un message par un canal secret à Washington demandant à avoir une réunion avec la commussion officielle d’investigation sur l’assassinat, pour dissiper les allégations qui allaient croissant sur le fait que Cuba en serait responsable.La commission dirigée par le président de la Cour suprême de justice des Etats-Unis, Earl Warren, a expédié un de ses avocats, l’afroétasunien William Coleman, en mission secrète pour se réunir avec le leader cubain dans un navire dans les Caraïbes.

Coleman dans un entretien avec le journaliste d’investigation Philip Shenon, a pour la première fois rapporté l’existence de cette réunion ultrasecrète, où la discussion avait duré trois heures. En contradiction avec les allégations sur les liens supposésd du leader cubain avec Lee Harvey Oswald et de celui_ci avec Cuba, et sur la visite mystérieuse de ce dernier à l’ambassade cubaine au Mexique avant le meurtre, Coleman a déclaré à Warren : je n’ai rien trouvé qui me fasse supposer qu’il y a des preuves de ce que Castro y ait participé . De fait, malgré la Plage Girón, la crise des missiles, les complots pour assassiner des personnes à Cuba et l’embargo commercial, Castro a insisté sur le fait qu’il admirait le président Kennedy.

Des secrets et des théories conspiratives

Aux Etats-Unis, l’anniversaire de la mort du jeune président a généré une couverture massive dans les médias : des documentaires spéciaux pour la télévision, une vague de livres et articles nouveaux, un nouveau film réalisé à Hollywood.

Inévitablement, de nouvelles théories ont surgie dans lesquelles ont été débattues une fois de plus d’éventuelles conspirations, sur le thème qui a tué Kennedy et pourquoi. La commission Warren avait conclu que Oswald, solitaire déséquilibré qui se prétendait marxiste, avait agi seul pour tuer le président. Mais les silences du gouvernement estadunidense, en particulier sur le fait que la CIA cachait des informations sur ses efforts ultrasecrets pour assassiner Catro, et sur la vigilance qu’elle avait exercée sur Oswald quand il s’était rendu à Mexico (en protégeant ses opérations de collecte d’information par l’espionnage au Mexique), a entraîné des soupçons sur le fait que quelqu’un cachait quelque chose.

La Maison Blanche n’a pas non plus partagé des détails extraordinaires, comme ceux concernant l’attitude de Kennedy envers Cuba , un tournant significatif, qui ferait de Cuba un pays central dans n’importe quelle discussion historique autour du meurtre frappant le président à Dallas.

Presque immédiatement après le meurtre commis le 22 novembre 1963, les ennemis de la révolution cubaine ont commencé à avancer des accusations comme quoi le pro-castriste Oswald aurait conspiré avec Cuba pour assassiner le président. A la Nouvelle orléans, où Oswald avait créé le comité "agir proprement avec Cuba" (comprenant un seul membre), un groupe d’exilés jouissant de l’appui de la CIA, surnommé le Directoire Révolutionnaire Estudiantin (Revolutionary Student directorate), avait publié un bulletin le 23 novembre avec un portrait de Fidel Castro joint à une photo d’Oswald.

Six jours après le meurtre, le directeur de la CIA, John McCone, a informé le nouveau président, Lyndon Johnson, qu’un agent de reseignement nicaraguayen au Mexique, Gilberto Alvarado, avait fait savoir à l’agence de la CIA [au Mexique] avec un grand luxe de détails que le 18 septembre il aurait vu Oswald recevoir 6 mille 500 dollars de l’ambassade cubaine à Mexico. Alvarado assurait que l’argent était le salaire pour tuer le président.

La CIA a immédiatement soupçonné de la crédibilité de cette information parce que le FBI tenait des preuves concrètes de ce qu’Oswald était à la Nouvelle Orléans le 18 septembre ; les documents de l’immigration montraient qu’il ne s’était pas rendu à Mexico depuis le 26 septembre. Alvarado avait été retenu dans une maison sécurisée de la CIA et après remis aux autorités mexicaines pour qu’elles poursuivent son interrogatoire. Celui-ci n’a pas passé la preuve du polygraphe de cette agence et il s’est rétracté sur ses affirmations.

Conformément au rapport ultrasecret de la CIA Le meurtre du président Kennedy, Alvarado a admis devant des autorités mexicaines que son récit était une fabrication fabriquée pour provoquer une intervention des Etats-Unis pour chasser Castro de Cuba.

Catro voyait se profiler une autre conspiration, très différent. Le 23 novembre il a transmis une déclaration par la radio cubaine qui qualifiait le meurtre de Kennedy de conspiration machiavélique contre notre pays, pour justifier immédiatement une politique agressive contre Cuba … construite avec le sang encore tiède et sur le corps non enseveli de son président, tragiquement assassiné. Oswald, a déclaré Castro, a pu avoir été un instrument des secteurs plus réactionnaires qui avaient tramé cette sinistre conspiration, et avaient planifié cette sinistre conspiration, et qui avaient pu le faire à cause de leurs désaccords sur sa politique internationale.

Au moment où a été publiée cette dramatique déclaration, Castro savait sur la politique internationale de Kennedy des choses que le reste du monde ignorait : dans les jours de son assassinat, le président des Etats-Unis avait exploré activement un accord avec Cuba et travaillait en secret avec Castro pour mettre en place des négociations secrètes pour améliorer les relations. En novembre 1963, Cuba n’avait aucune raison d’assassiner Kennedy puisque il était impliqué dans la création d’une diplomatie par des canaux secrets qui devaient déboucher sur la normalisation des relations. Dans le même moment dans lequel s’était commis l’assassinat, Castro était en réunion avec un émissaire de Kennedy qui avait envoyé à la Havane en mission de paix(1).

Conversations secrètes Cuba-USA

Les conversations entre Cuba et les Etats-Unis avaient commencé, ironiquement, après un acte flagrant d’agression de
Washington : l’invasion paramilitaire de Playa Girón. Après la victoire cubaine sur une incursion armée avec l’appui de la CIA, le président et son frère Robert Kennedy avaient envoyé l’avocat James Donovan pour négocier la libération de plus de mille membres de l’incursion qui avaient été capturés. Durant le déroulement de différentes sessions de" négociations dans l’automne 1962, Donovan avait géré un accord pour apporter à l’île 62 millions de dollars en aliments et médecine en échange de la libération des prisonniers.

Cet homme avait obtenu non seulement la libération des prisonniers, mais aussi la confiance de Fidel Castro.au printemps 1963, Donovan est retourné à la havane plusieurs fois pour négocier avec Castro la libération de deux douzaines d’Etatsuniens -trois d’entre eux étaient des agents de la CIA- enfermés dans les prisons cubaines sous l’accusation d’espionnage et sabotage. Lors de ces réunions, pour la première fois Castro avait abordé le point du rétablissement des relations. Etant donné l’acrimonie et l’hostilité dans le passé récent, comment les États-Unis et Cuba pourraient-ils procéder, a-t-il questionné Donovan.

Savez-vous comme porc-épics font l’amour ?, a répondu Donovan. Avec d’extrêmes précautions. Et c’ est ainsi que vous et les États-Unis devriez procéder dans cette affaire.

Quand le rapport de Donovan sur l’intérêt de Castro à s’asseoir autour d’une table pour envisager la régularisation à cdes relations est parvenu au bureau de Kennedy, la Maison Blanche a commencé à considérer que la possibilité d’un point de vue plus doux sur Castro. Les assistants les plus proches ont argué que les États-Unis devaient exiger que Castro abandonne les relations avec les soviétiques comme prealable à n’importe quel entretien. Mais le président a fait preuve d’autorité ; il a ordonné à ses assistants les plus proches qu’ils(elles) commencent à penser d’une manière plus souple pour négocier avec Castro, et , selon quelques documents déclassifiés de la Maison Blanche, il s’est montré très intéressé à poursuivre dans cette option.

En avril 1963, dans son dernier voyage à Cuba, Donovan s’est présenté à Castro avec une correspondante d’ABC News, Lisa Howard, qui avait voyagé à La Havane pour réaliser un numéro spécial de la télévision sur la révolution cubaine. Howard avait succedé à Donovan comme interlocutrice centrale dans cette tentative secrète pour entamer quelques premières conversations sérieuses, en tête à tête, pour améliorer les relations. À son retour de Cuba, la CIA s’est réunie avec elle à Miami et l’a interrogée pour savoir si Castro avait réellement de l’intérêt dans l’amélioration des relations. Dans un mémorandum ultrasecret qui était arrivé sur le bureau du président, le directeur adjoint de la CIA,
Richard Helms, informait : en définitive Howard veut impressionner le gouvernement estadunidense avec deux données : Castro est prêt de discuter d’un rapprochement et elle est prête de discuter de l’affaire avec lui si le gouvernement des États-Unis le lui demande.

Comme il fallait s’y s’attendre, la CIA s’est opposée d’une manière radicale à n’importe quel dialogue avec Cuba. L’agence avait l’autorité institutionnelle pour poursuivre avec ses efforts pour freiner la révolution par des moyens cachés. Dans un mémorandum urgent qui a été envoyé à la Maison Blanche le premier de mai 1963, le directeur de la CIA, John McCone, a réclamé qu’aucun pas ne soit fait le moment dans le rapprochement, et il a exigé que Washington limite ses discussions autour d’un processus d’accord avec Castro.

Mais dans l’automne 1963, Washington et La Havane activement commencèrent des avancées vers de réelles négociations. En septembre, Howard a utilisé, une fête dans son appartement de Manhattan, dans la rue 74 Est, comme couverture pour la première réunion entre un officiel cubain (l’Ambassadeur auprés des Nations Unies Carlos Lechuga) et un fonctionnaire officiel étatsunien (l’ambassadeur adjoint devant l’ONU William Attwood).

Attwood a dit à Lechuga qui existait pour le moins un intérêt de la Maison Blanche dans les conversations secrètes, si quelque chose en sortait. Il a aussi souligné que la CIA manipulait la politique avec Cuba. Après la réunion, Castro et Kennedy ont utilisé Howard comme intermédiaire pour commencer à se passer des messages autour des accords possibles pour aller vers une séance de négociations entre les deux nations.

Le 5 novembre, le système d’enregistrements secrets du Bureau Ovale de Kennedy a inscrit une conversation avec son conseiller dans la sécurité nationale, McGoerge Bundy, fallait-il envoyer William Attwood (qui à ce moment- là était l’adjoint d’ Adlai Stevenson ambassadeur estadunidense dans les Nations Unies) à se réunir en secret avec Castro.

Bundy a dit au président : Attwood a maintenant une invitation pour aller parler avec Castro à propos des conditions et termes sous lesquels il serait intéressé à discuter de ses relations avec les Etats-Unis. Le président l’écouta et accéda à l’idée, mais il demanda s’il serait possible de sortir Attwood de la liste avant qu’il n’y aille, pour le protéger, en le faisant voir comme un citoyen quuelconque si filtrait la rumeur de la réunion secrète.

Le 14 novembre, Howard a réglé qu’Attwood serait dans sa maison et discuterait de là par téléphone avec l’assistant principal de Castro, René Vallejo, pour mettre au point avec l’agenda des Cubains une réunion secrète à La Havane avec le commandant cubain. Vallejo est tombé d’accord pour transmettre une proposition à l’ambassadeur Lechuga, qui informerait les estadunidenses. Quand Attwood a passé cette information à Bundy à la Maison Blanche, il lui a été dit : quand vous aurez l’agenda, le président voudra me voir dans la Maison Blanche pour décider que dire et s’il faut aller [à l’île] ou comment procéder.

Cela se passait le 14 novembre, rapporte Attwood. Trois jours avant l’assassinat.

L’acte final de Kennedy

Mais Kennedy a aussi envoyé à Castro un autre message de réconciliation potentielle. Son émissaire, le journaliste français Jean Daniel, s’est réuni avec Kennedy à Washington pour discuter au sujet de Cuba. Le président lui a donné un message pour Fidel Castro : de meilleures relations sont possibles, et les deux pays doivent travailler ensemble pour mettre fin aux hostilités. Le 22 novembre Daniel a passé ce message à Castro, et alors qu’il discutaient tous les deux avec optimisme dans le déjeuner Castro a reçu un appel téléphonique en informant qu’ils avaient tiré sur Kennedy. Cela est terrible, a dit Daniel à Castro , en se rendant compte que sa mission avait été avortée par la balle d’un assassin. Là ta mission de paix est restée.

Alors Castro a prédit avec précision : ils vont dire que nous l’avons fait.

Parmi les controverses qui se poursuivent autour des théories possibles de conspirations, ce qui est occulté dans la discussion historique du meurtre consiste en ce que le dernier acte de Kennedy comme un président, a été de se rapprocher de Castro et d’offrir la possibilité d’une relation bilatérale différente entre La Havane et Washington. Cinquante ans après, le potentiel que Kennedy envisageait, en relation avec une coexistence entre la révolution cubaine et les États-Unis, reste encore à accomplir. Comme partie de la commémoration de son legs, nous devons nous éveiller, reconsidérer et réviser sa vision d’une cessation d’hostilités aux Caraïbes.