Des pluies anormales pour la saison nuisent à la récolte de tabac

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Presque au moment où se termine la cueillette, les habitants de la ville cubaine de San Juan y Martinez, où se trouvent les meilleurs plantations de tabac du monde, voient disparaître leurs espoirs d’une belle récolte en raison de fortes pluies, anormales pour la saison.

Une année rebelle !

« Cela a été une mauvaise année, une année « rebelle » comme on dit ici. Les fortes pluies pourrissent les plants. Le tabac nécessite du soleil pendant la journée e tdu froid pendant la nuit » a indiqué le paysan Dàmaso Rodriguez, âgé de 67 ans, employé dans l’exploitation Valle de cette localité, à 180 kilomètres a l’ouest de La Havane, dans la province de Pinard el Rio.

« Les travaux ont pris du retard » se plaint la jeune Yamilé Venero qui travaille dans la même exploitation. « Cela ne vaut déjà plus la peine de semer » ajoute Maria Teresa Ventos, une femme de 54 ans qui vient aider pour l’enfilage des feuilles chaque saison dans cette agro-industrie, source d’emplois féminins temporaires
.
Depuis novembre, début de la campagne, il pleut trop dans cette province qui doit récolter 70 % des 24 400 tonnes de feuilles de tabac prévues pour la récolte 2013-2014. San Juan y Martinez et la ville voisine de San Luis, qui récoltent 86 % des feuilles de tabac des précieux et coûteux cigares, ont été très affectées.

Des sources locales indiquent la perte de 813 hectares et des dégâts partiels sur 1 000 autres hectares sur une surface totale de 15 000 hectares dans la province de Pinal del rio.

Dans de nombreuses exploitations, il a fallu trois fois arracher les plants et planter de nouveau le tabac qui est le troisième poste d’exportation de Cuba, derrière le nickel et les médicament
s.
En 2013, la récolte a rapporté à l’entreprise anglocubaine Habanos S.A. 447 millions de dollars, 8 % de plus qu’en 2012, où elle atteignait 416 millions. Cette unique entreprise de commercialisation des cigares cubains dans le monde exporte dans 160 pays, principalement européens, même si le goût pour les cigares se développe en Asie et au Moyen-Orient.

Les nuages noirs qui se sont amoncelés sur la province de Pinar del Rio, dans l’extrême ouest de Cuba, ajoutés aux dures lois anti-tabac en vigueur en Europe et le blocus du marché des Etas-Unis dû au conflit cinquantenaire entre Washington et La Havane, pourraient faire baisser les ventes cette année.

Pour surmonter les dégâts occasionnés par les fortes pluies, le temps des semis et autres tâches fondamentales qui s’achève habituellement en janvier a été prolongé de 45 jours. Les exploitations ont également eu recours à la récolte des feuilles de capadura (qualité inférieure).

A Valle, les mains adroites de 12 hommes continuent à récolter les feuilles qu’ils apportent dans une maison en bois aux murs très hauts située dans l’exploitation. A l’intérieur, 12 femmes enfilent les feuilles puis les entreposent sur de grandes perches de bois qui vont jusqu’au toit à double pente pour le traditionnel séchage à l’air.

« Malgré tout, le tabac est de bonne qualité mais pas autant qu’avant », explique Rodriguez.

Les températures, en combinaison avec les sols et l’humidité de la région de Vuelta Abajo, dans l’ouest de la province, sont les éléments clé à l’heure de fabrication des meilleurs « premiums » (faits à la main) de la planète, un processus qui ne compte pas moins de190 opérations distinctes.

C’est uniquement ici que se trouvent tous les types de feuilles employées pour les havanes, descendants des rouleaux de feuilles que fumaient les habitants originaires de l’archipel cubain à l’arrivée des « conquistadors » espagnols.

Dayana Hernandez et Aliet Achkienazi, chercheurs de l’Institut Météorologique ont pronostiqué un réchauffement de ce territoire durant ce siècle, déréglant les conditions qui donnent la saveur exclusive, l’arôme et la texture des cigares cubains et qui leur valent la dénomination d’origine protégée (DOP).

La DOP protège les produits agricoles dont la qualité et les caractéristiques sont principalement ou exclusivement dues à des facteurs du milieu géographique dont ils sont issus.

C’est pour cette raison que l’étude « impact du changement climatique sur la culture du tabac dans la zone de Pinard el rio, Cuba » analyse les terrains de la province dédiés à cette culture, notamment San Juan y Martinez et San Luis.
En se basant sur les scénarios climatiques, les auteurs prévoient que l’élévation de la température n’apportera pas de grands maux dans les prochaines décennies mais ensuite, à mesure que la chaleur augmentera, le rendement diminuera.

Par contre, dans le nord de la zone étudiée, le climat devrait rester plus stable et la température ne devrait pas dépasser les 25 degrés.
L’étude prouve que « l’impact du changement climatique peut être atténué par des conditions de développement durable » de la culture de la délicate feuille. Il préconise de « mener des études plus approfondies » sur les effets des pluies anormales sur la culture des plants.

D’une certaine manière, l’œil expert de Francisco José Prieto, administrateur de Valle et dont les 4,5 hectares appartenaient déjà à son arrière grand-père, a su anticiper les intempéries. Il a planté plus tôt et récoltait déjà « quand les pluies se sont intensifiées ».

« Je n’ai pas eu à semer de nouveau » se réjouit Tomas Valdès, associé et président de la Coopérative de Crédits et Services (CCS) qui regroupe 50 plantations réparties sur les prairies de Vuelta Abajo.
Ces coopératives ont été créées dans les années soixante à travers l’association volontaire de petits producteurs qui conservent la propriété de leur terres et obtiennent collectivement l’accès à la technologie, le financement et la commercialisation de leurs produits.

Mais F.J. Prieto doute que malgré ses efforts la campagne soit « aussi bonne » que la précédente ou sa plantation a produit 7 272 kg, un record historique.
Il fumige une seule fois et après la récolte plante des variétés qui enrichissent le sol comme le maïs ou la canavalia. « Elles maintiennent le sol à l’ombre et retiennent les nutriments entraînés par les pluies ».

La population de 44 863 habitants de San Juan Y Martinez dépend de la réussite de chaque récolte de tabac. « Nous recevons un salaire fixe et une rémunération variable en fonction des résultats obtenus », précise la leader syndicale Celeste Munoz.

Sans cesser de tendre sur son genou une feuille de tabac de la précédente saison, Munoz, employée depuis 17 ans dans un centre de stockage, sélection et traitement de tabac a indiqué que son équipe composée de 50 femmes essaie de « récupérer le maximum de feuilles sèches ».

Sans pouvoir dire si c’est « à cause du climat, des fertilisants ou des variétés de plantes », elle assure que la culture du tabac « n’a pas le même rendement qu’avant ». « Nous arrivions à produire 46 039 kg de feuilles en une seule récolte » a-t-elle ajouté, nostalgique du passé.