Entre les Etats-Unis et Cuba, « une diplomatie des petits pas »

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INTERVIEW DE JANETTE HABEL

« Des journalistes d’Associated Press ont révélé l’existence d’un réseau social proche de Twitter baptisé « ZunZuneo » à Cuba, élaboré et financé par les Etats-Unis.

Objectif : organiser sur l’île des rassemblements politiques pour déstabiliser le régime cubain, où l’Internet est extrêmement contrôlé. Alors que Raul Castro s’est dit prêt à dialoguer avec les Etats-Unis en décembre 2013, quelle seront les conséquences diplomatiques de la révélation de cette affaire ? »

Explications de Janette Habel, maître de conférences à l’Institut des hautes études d’Amérique latine (source : jolpress)

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Entre les Etats-Unis et Cuba, «une diplomatie des petits pas»

INTERVIEW DE JANETTE HABEL (Posté par Michel Porcheron)

JOL Press : Des journalistes d’Associated Press ont révélé l’élaboration, par les Etats-Unis, d’un réseau social « Zunzuneo » dont le but était de déstabiliser le régime cubain. La divulgation de cette affaire risque-t-elle d’envenimer les relations entre les Etats-Unis et Cuba ? 
 

Janette Habel : Les relations entre les Etats-Unis et Cuba connaissent des hauts et des bas, mais ont toujours été maintenues en coulisses. Il y a toujours eu des relations, des contacts entre les deux pays, même à minima. La diplomatie américaine envers Cuba marche sur deux pieds : d’un côté, elle essaie de déstabiliser le régime, comme ce qu’elle a essayé de faire avec la tentative de mise en place d’un réseau social de type Twitter.  D’un autre côté, elle essaie de régler les questions les plus litigieuses en matière d’immigration d’abord, de voyages, d’échanges culturels ou d’envois d’argent. Il y a toujours eu, même depuis les années 90, cette ambigüité dans leurs relations. 

JOL Press : Comment les Etats-Unis ont essayé de déstabiliser Cuba ? 
 

Janette Habel : Dans les périodes les plus conflictuelles de la Guerre Froide, cela se faisait par des agressions, des sabotages dans les hôtels etc…des moyens beaucoup plus brutaux qu’aujourd’hui. Il y a toujours eu de la part des Etats-Unis, la volonté d’utiliser les faiblesses du régime pour le déstabiliser. Il y a eu des tentatives de faire parvenir à Cuba des ondes radiophoniques télévisuelles hors du contrôle du gouvernement avec Radio et TV Marti, que le gouvernement cubain a plus ou moins réussi à brouiller.

Par contre, en utilisant Internet, qui est sous-contrôle à Cuba - accessible sous contrôle politique du gouvernement – on essaie de toucher les jeunes, beaucoup plus adeptes de ce média, pour essayer de déstabiliser un régime où la censure reste forte. A l’instar des révolutions arabes, l’utilisation d’Internet, et plus précisément des réseaux sociaux, peut permettre d’affaiblir de l’intérieur un gouvernement qui contrôle de manière drastique l’information.

JOL Press : Comment ont évolué les relations entre les Etats-Unis et Cuba depuis l’arrivée de Barack Obama ?
 

Janette Habel : Lors du premier mandat de Barack Obama, il y a eu très peu de changements. Le premier engagement du président des Etats-Unis concernait la fermeture de la base militaire de Guantanamo : un engagement symbolique qui n’a pas été respecté.

Aujourd’hui, plusieurs indices annoncent un changement dans les relations des deux pays.  Tout d’abord, il s’agit du dernier mandat de Barack Obama. Or, tout le problème cubain au Etats-Unis relève d’un problème de politique intérieure : l’électorat cubain est concentré en Floride, l’Etat de Floride est le cinquième Etat par ordre d’importance lors de l’élection présidentielle aux Etats-Unis.  Par conséquent, tant que cet électorat était très proche des Républicains, l’enjeu de la présidentielle faisait qu’il était difficile de normaliser les relations avec Cuba. Cet enjeu n’est plus le même pour Barack Obama, lors de son deuxième mandat.

Ces progrès se concrétisent avec le déplacement de délégations nord-américaines à Cuba, dans le but de discuter des questions de flux migratoires, pour rétablir un courrier normal entre les deux pays. Barack Obama a permis de rétablir les voyages avec Cuba avec plus de souplesse, il a atténué les restrictions limitant les envois d’argent aux familles, les « remesas », que l’administration Bush avait considérablement restreint.  Il y a aussi des contacts maintenus entre les militaires des deux pays, et des contacts réguliers dans la lutte contre la drogue.  La poignée de main entre Raul Castro et Barack Obama lors des obsèques de  Nelson Mandela en décembre dernier, est un geste fort et symbolique.

JOL Press : Quelles sont les conditions avancées par le gouvernement américain pour qu’il y ait une normalisation entre les relations des deux pays ?
 

Janette Habel : Il y a des conditions économiques et des conditions politiques. Une partie des conditions économiques et commerciales sont en train d’être réalisées : les réformes de Raul Castro adoptées lors du dernier Congrès du Parti communiste – lois qui facilitent l’initiative privée, les investissements étrangers, circulation des voyages…- vont objectivement dans le sens des exigences nord-américaines. Par contre sur le plan politique, les conditions émises par les Etats-Unis ne sont pas à l’ordre du jour - démocratisation, pluripartisme, liberté d’expression et d’organisation– et ne le seront pas à court terme.

JOL Press : Le président cubain Raul Castro s’est dit prêt à dialoguer avec les États-Unis à condition que « l'indépendance et le système politique » de Cuba soit respectés. Ce dialogue permettrait-il la levée d’un l'embargo commercial américain ?

 

Janette Habel : Pour l’instant, nous n’en sommes pas encore là. Depuis 1996, l'embargo américain a été aggravé avec la loi Helms-Burton qui a deux caractéristiques : il s’agit d’une loi extraterritoriale qui s’applique à tous les investisseurs même étrangers qui sont susceptibles d’investir dans des propriétés qui ont été nationalisées à Cuba. Ces investisseurs sont passibles de jugement aux Etats-Unis. Il y a eu de nombreuses protestations dans les pays européens, car les investisseurs européens tombent sous le coup de cette loi, s’ils investissent à Cuba dans des propriétés nationalisées. Cette loi enlève également au président américain le privilège de l’«executive order » lui permettant d’opposer son veto notamment à l’embargo. Pour abroger l’embargo, il faut désormais une majorité au Congrès, et cette majorité n’existe pas pour l’instant : les Républicains sont dans leur grande majorité absolument contre cette hypothèse, et un secteur important du parti démocrate est également contre la levée de l’embargo.

JOL Press : Quels sont les secteurs des Etats-Unis qui font pression pour une levée de l’embargo ?
 

Janette Habel : Oui, certains secteurs ont tout intérêt à ce que l’embargo commercial américain soit levé. L’agro-alimentaire, les grandes firmes du Midwest y ont intérêt pour pouvoir exporter de manière importante sur un marché qui se trouve à environ deux cents kilomètres des côtes des Etats-Unis. Ils font pression au Congrès pour lever l’embargo et pour développer le commerce, comme certaines firmes pétrolières également, en raison de la présence du pétrole dans le golfe du Mexique. Mais il y a un bras de fer avec les secteurs de la vieille émigration de la grande bourgeoisie cubaine des années 60, qui s’y opposent fermement. Pour ce lobby l’objectif reste le renversement du régime. Pour analyser la politique américaine envers Cuba, il faut donc bien comprendre qu’il y a ce jeu de balancier entre des secteurs qui ont des intérêts divergents. L’affaire du réseau social , le« zunzuneo », impulsé par l’USAID sans autorisation officielle témoigne de ces contradictions.

JOL Press : Les Etats-Unis et Cuba se préparent-ils cependant à une éventuelle levée de l’embargo ?
 

Janette Habel : A terme cette levée est inévitable. En outre il y a désormais des pressions fortes de gouvernements latino américains, y compris conservateurs, pour normaliser les relations entre les deux pays. Cet embargo date de plus d’un demi-siècle ! Des deux côtés, il y a en effet, des signaux qui indiquent un certain progrès. Sur la côte sud des Etats-Unis, des ports sont aménagés dans la perspective d’un développement du commerce avec Cuba qui occupe ne l’oublions pas une position stratégique dans le golfe du Mexique. Et à Cuba, il y a actuellement le port de Mariel proche de la Havane, aménagé par les Brésiliens dont les investissements sont considérables, dans la perspective du développement de ces échanges. C’est bien la preuve, que tout le monde se prépare à la levée ultérieure de l’embargo, mais pour l’instant c’est encore la diplomatie des petits pas entre les deux pays qui prévaut, une diplomatie qui peut rappeler la diplomatie du ping pong avec la Chine.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Janette Habel est maître de conférences à l'Institut des hautes études d'Amérique latine.

Consulter : http://www.jolpress.com/etats-unis-cuba-relations-diplomatie-reseau-social-zunzuneo-embargo-article-825312.html

(mp)