Le gratin du lobby américain du commerce plaide à Cuba pour la levée de l’embargo

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Après quelques pointures de Hollywood, les Etats Unis ont envoyé à Cuba, ce qui se fait de mieux en matière de commerce, la Chambre de Commerce des Etats Unis que préside Thomas J.Donohue, « porte parole » de plus de 300.000 entreprises de son pays. Accueilli presque comme un homme d’Etat, il s’est entretenu avec le président Raul Castro, ainsi que logiquement avec le ministre cubain du Commerce extérieur et de l’Investissement étranger, mais aussi celui des Relations extérieures. Par les propos inédits qu’il a tenus, sa visite de trois jours pourrait faire date. Prendre date, ça sera pour…une prochaine fois.

Il faut que les choses changent « maintenant »  entre Washington et La Havane, ce sont les bisnessmen des Etats Unis qui le disent

Par Michel Porcheron (La Havane, 4 juin 2014) 

Tout s’est prêté à ce que cet évènement public revête un fort caractère solennel. Tout porte à croire même qu’il pourrait figurer dans un futur calendrier des rencontres publiques qui auront précédé la levée, un jour, de l’embargo des Etats Unis contre Cuba, en vigueur depuis 1962.

Ce n’est pas tous les jours que dans le Grand amphithéâtre (Aula Magna) de l’Université de La Havane, lieu emblématique de l’enseignement au plus haut niveau, comme il se doit,  vienne donner une Conférence magistrale…le Président de la Chambre de Commerce des Etats Unis. Du commerce à la politique bilatérale, il n’y  qu’un pas que Thomas J. Donohue, ce jeudi 29 mai, n’a pas hésité à franchir avec des propos on ne peut plus clairs et explicites,  que quelques autres, protocolaires et de circonstance, ne sont pas venus atténuer.     

Depuis bien longtemps, un Américain n’avait tenu publiquement de tels propos, a fortiori à Cuba.

                                        « Maintenant »

L’heure est « maintenant » venue, a-t-il affirmé, d’une « approche nouvelle » de la question des relations entre les Etats Unis et Cuba, se prononçant une nouvelle fois, en faveur de la levée de l’embargo (pour les Cubains, el bloqueo), au point vraisemblablement de surprendre son auditoire, du moins sa majorité, composée de nombreux professeurs universitaires et étudiants de la Faculté qui avaient pris place aux côtés de Gustavo Cobreiro Suarez, Recteur de l’Université, de fonctionnaires du ministère du Commerce extérieur et de l’Investissement étranger, avec à leur tête Rodrigo Malmierca Diaz, ainsi que du ministère des Relations extérieures (Minrex) et des délégués des Etats Unis.

[La délégation américaine avait été reçue dans la journée de mardi par le ministre Malmierca, mais aussi au Minrex par le ministre Bruno Rodríguez Parrilla].

«Trop longtemps, la relation entre nos nations a été définie par nos différences, il est temps d’ouvrir un nouveau chapitre des relations entre les Etats-Unis et Cuba, et ce moment, c’est maintenant», a souligné en effet le patron d’un des plus importants lobbies américains.  

                           « Cela dépend de … »  

 A la question d’une journaliste de Granma, Dalia Gonzalez Delgado, sur combien de temps encore pourrait durer le bloqueo, Donohue a répondu : « Cela dépend de jusqu’à quel point nous pourrions communiquer ».  (Depende de cuanto pudiéramos comunicarnos)      

Dirigeant une nombreuse délégation (1) de hauts responsables de la Chambre de Commerce et de chefs d’entreprises de son pays, arrivée à La Havane le mardi 27 mai, Thomas J. Donohue, un vieux de la vieille blanchi sous le harnois, qui préside la Chambre de Commerce depuis de nombreuses années, mais toujours fringant, n’a pas manqué de rappeler qu’il avait donné une conférence semblable…il y a 15 ans, dans ce même lieu « extraordinaire ».  Ou l’ex président américain, Jimmy Carter prit aussi la parole à deux reprises dans le passé.  

                            « Le moment est beaucoup plus favorable »

Probablement la venue alors de Donohue était prématurée. Aujourd’hui, de toute évidence le contexte bilatéral est autre. «Le moment est beaucoup plus favorable», a-t-il remarqué. La récente Loi cubaine sur l’Investissement étranger n’y est pas étrangère. « Les attitudes à l’égard de l’embargo ont changé aux Etats Unis », selon Donohue. En effet, selon une récente enquête de l’Atlantic Council, 56 % des citoyens des Etats Unis sont en faveur d’une normalisation des relations entre les deux pays, et 63 % dans la seule Floride.  

Sa  visite officielle de trois jours est considérée, par les observateurs, comme la plus importante d’un responsable américain, même des affaires, à Cuba depuis …de nombreuses années.

Le site cubadebate.cu quant à lui, lui a déroulé le tapis rouge en publiant un compte-rendu de la conférence, illustré par pas moins d’une dizaine de  photos et vidéos. Le 27 mai, le jour même de l’arrivée de Donohue, le site avait déjà publié près de 150 commentaires. La conférence de Donohue a fait la une vendredi 30 mai des quotidiens nationaux Granma et Juventud Rebelde    

Certes Donohue est un businessman, à la tête de la plus importante organisation aux Etats Unis d’entreprises privées (300.000 et plus de trois millions de partenaires indirects) qui vient défendre les intérêts de ses associés, mais de ce fait, la Chambre de Commerce qu’il représente, n’a cessé depuis de longues années, a-t-il dit, d’appeler le gouvernement de Washington à supprimer l’embargo commercial et économique.

Ajoutant qu’elle a contribué à la campagne électorale de représentants et sénateurs des deux partis (démocrate et républicain) qui se sont prononcés dans ce sens.

                                 « Nous rendrons compte »

« Quand nous rentrerons aux Etats Unis,  nous rendrons compte à nos leaders politiques de ce que nous avons vu ».  Il serait étonnant que Barack Obama n’en fasse pas partie, lui qui, personne n’en doute, n’a rien ignoré des préparatifs et des termes de la conférence magistrale de Donohue.   

La Chambre de commerce des Etats Unis «croit qu’il est temps d’éliminer les barrières politiques établies de longue date et de travailler à faire fi de nos différences», a-t-il ajouté. « C’est dans l’intérêt du peuple américain et des entreprises américaines et de notre position compétitive de leadership dans cet hémisphère», a-t-il souligné.

                                      Dans un prochain agenda   

Néanmoins a considéré Donohue,  «il reste beaucoup à faire. Et beaucoup à faire des deux côtés», a-t-il jugé.

Le président américain Barack Obama, qui a déjà partiellement libéralisé les voyages de certains des ressortissants (les Américano-cubains) de son pays à Cuba et les envois d’argent (remesas) vers Cuba, « pourrait considérer que d’autres pas sont possibles, comme ceux de nouvelles mesures d’assouplissement des voyages ouverts à tous, de nouvelles voies pour l’importation et l’exportation des biens et des services dans divers domaines», a-t-il ajouté.

Plaisantant, Donohue a précisé que sa  Chambre de Commerce a son siège en face même de  La Maison Blanche. « Je dois dire que je regarde tout le temps par la fenêtre pour voir ce qu’il est en train de se passer ». 

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De son côte, «Cuba doit étendre et accélérer ses réformes économiques qui sont dans l’intérêt du peuple cubain», a-t-il jugé en vantant les mérites de la libre entreprise. «Plus Cuba démontrera le sérieux de ses engagements dans les réformes économiques et plus Cuba agira pour résoudre les conflits entre les deux nations, plus il y aura de possibilités de changements de la politique américaine», a-t-il estimé.

Concernant les droits de l’homme et les libertés civiques, Mr Donohue a jugé que c’étaient des «sujets sérieux qui doivent être abordées par les deux gouvernements dans le cadre d’un dialogue continu et constructif».

«Tous les systèmes n’ont pas besoin d’être les mêmes. Mais nous pensons que tout le monde entretient une aspiration universelle à vivre avec des opportunités, dans la dignité et la liberté», a-t-il souligné.

Au cours de leur visite de repérages à Cuba (« Il y a de très bonnes affaires à faire ici »), les patrons américains ont notamment rencontré de nombreux nouveaux entrepreneurs indépendants et visité des coopératives (non agricoles) récemment créées dans le cadre des réformes économiques lancées depuis trois ans par le gouvernement cubain. «Cuba a réalisé que le gouvernement n’a pas besoin de contrôler toutes les facettes de l’économie», s’est réjoui le responsable américain. Ils ont également visité le méga-port de Mariel, à 50 km à l’ouest de La Havane, inauguré en janvier par les autorités cubaines. Selon Donohue, « ce port pourrait devenir le principal centre commercial pour toute la région des Caraïbes ».

Le chef de la Chambre de commerce américaine a été reçu avant son départ (jeudi soir) par le président cubain Raul Castro, avec lequel il s’est entretenu de «sujets d’intérêt commun», a rapporté la télévision cubaine.

Sa visite à Cuba été précédée de quelques jours par la publication d’une lettre ouverte signée d’une quarantaine de personnalités américaines du monde des affaires et de la politique appelant le président Obama à plus de flexibilité à l’égard de Cuba.

Même si elle ne demande pas la levée du blocus ni que Cuba soit retirée de la ridicule liste des pays qui soutiennent le terrorisme, elle met en évidence un consensus entre les deux partis aux States sur l’échec de la mesure punitive destinée à renverser la Révolution Cubaine. La lettre reconnaît tacitement la profondeur du processus de changement entrepris dans l’économie cubaine et, en ce sens, elle va dans la bonne direction.

 AFP

(1)- M. Donohue était accompagné notamment par MM. Steve Van Andel, président du Conseil d’administration de la Chambre de commerce, et président directeur général de la compagnie Amway ; Marcel Smits, vice-président exécutif et directeur financier du groupe agro-industriel Cargill, et Mme Jody Hanson Bond, vice-présidente pour les Amériques de la commission internationale de la Chambre de commerce.

(mp, avec AFP, Granma et Juventud Rebelde)

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