Cuba : Les réformes du socialisme en images plutôt qu’en clichés

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Le photographe Julien Goldstein a suivi pendant plusieurs semaines l’entrée en vigueur concrète des nouvelles mesures économiques et sociales. Au plus près de la population de l’île.

En logo : La Havane, Cuba, avril 2012. Un salon de coiffure chic installé dans un appartement.

Un article de notre ami le journaliste Sébastien MADAU pour le quotidien LA MARSEILLAISE du 18 juin 2014.

Julien Goldstein a choisi d’aller directement voir les Cubains eux-mêmes

Depuis la chute du camp soviétique, Cuba est souvent dépeinte comme une société paralysée et sclérosée du fait de la fin des échanges économiques avec l’URSS. Or, depuis une dizaine d’années, l’île vit une série de réformes structurelles dont l’objectif principal est de pouvoir rebondir et proposer une actualisation de son modèle économique et social.

C’est ce nouveau contexte, accéléré depuis l’arrivée de Raul Castro à la présidence du pays en 2006, qu’a voulu immortaliser Julien Goldstein. Le photographe a choisi de rencontrer les Cubains ayant franchi le pas en profitant de la libéralisation de certains métiers, sorti du secteur étatique. On les appelle les cuentapropistas, ceux qui travaillent à leur compte. Une immersion dans la Cuba du 21e siècle.

Économique, la réforme sur la libéralisation du travail a également été culturelle. Un matin, la presse a publié une liste de métiers qui, du jour au lendemain, pouvaient être exercés de manière privée. Et ce alors qu’environ 70% de la population cubaine n’avaient uniquement vécu dans une société socialiste.

« L’Etat s’est ainsi séparé de 20% de sa population active, de fonctionnaires, car elle ne pouvait plus payer les salaires à cause d’une crise très profonde ». On parle alors de métiers du quotidien (cordonnier, coiffeur, chauffeur de taxi, réparateur d’objets divers...), qui d’ailleurs s’effectuaient souvent déjà au noir individuellement, tandis que les secteurs-clés de la société (santé, éducation, énergie...) demeuraient, eux, dans le giron public.

Aujourd’hui, « non seulement ces métiers sont exercés légalement mais l’Etat récupère également des taxes sur ces activités ». L’impôt sur le revenu, une autre première.

Repères


" Une série de réformes a vu le jour à Cuba depuis l’arrivée de Raul Castro à la tête du pays en 2006. Si les premiers temps ont surtout été consacrés à la transition vis à vis de la gouvernance de son frère Fidel, c’est véritablement depuis 2008 que ces mesures sont entrées en vigueur. Là encore, progressivement.

Quelques interdictions datant du passé ont été abolies : possibilité pour les Cubains d’aller dans des hôtels de touristes étrangers, légalisation des lignes de téléphone portable et internet individuelles, achat d’électroménagers, de voitures, etc. à titre privé. Ces réformes s’ajoutaient à des mesures sociétales telles la libération de quelque 3000 prisonniers et une peine de mort qui, si elle n’a pas été abolie, a dans les faits officiellement cessé d’être appliquée.

C’est réellement depuis 2012 que les réformes ont touché les structures de l’appareil d’Etat et productif. Une liste de 178 métiers a été ouverte au marché privé créant le statut de cuentapropista qui s’apparenterait à de l’artisanat soumis à déclaration et impôt sur le revenu.

Dernièrement, le parlement a validé une loi sur l’investissement étranger dans l’économie cubaine. Cette dernière n’acceptait jusque-là que le principe d’entreprise mixte composée de capitaux cubains (51%) et étrangers (49%).

On évoque de plus en plus également la réunification du peso cubain (CUP) et convertible (CUC) Enfin, l’Etat cubain a remodelé son système migratoire en éliminant depuis janvier 2013 l’obligation pour les candidats au départ d’obtenir une autorisation de sortie du territoire ainsi qu’une lettre d’invitation d’un tiers. Une réforme qui va de pair avec des modifications quant au mode de propriété et des droits des Cubains vivant à l’étranger.

S.M.

Visuellement et esthétiquement, les conditions générales d’existence de l’île peuvent se mesurer de diverses manières : l’état des constructions, des routes, la qualité des services publics... Mais Julien Goldstein a lui choisi d’aller directement voir les Cubains eux-mêmes. « C’est le plus efficace » assure le photographe dont une partie du reportage a été publiée dans le magazine Géo. « Il y a chez eux une diversité folle. Alors bien sûr le pays est magnifique à photographier, mais il s’agissait surtout pour moi d’aller plus loin que les clichés ». Le Cubain est souvent pris en photo à son domicile, devenu son lieu de travail, en action, avec son client.

La principale question qui se pose aujourd’hui est de savoir si ces Cubains s’apparentent à de petits capitalistes en puissance au sein d’une société qui n’aurait plus de socialiste que le nom.

« Non » coupe Julien Goldstein. « Les Cubains sont parfois résignés, certes, mais ils sont super fiers de leur système politique, et je ne suis pas certain du tout qu’ils veuillent vivre dans une économie de marché. Ce qui fait d’ailleurs que les jeunes ne veulent plus partir en masse à l’étranger comme cela avait pu être le cas auparavant. Ils se sont rendus compte que la vie à Miami, ce n’était pas le paradis. On sait que Cuba qui rebasculerait dans un monde capitaliste, redeviendrait le bordel des Etats-Unis, comme cela a été le cas avant 1959 ».

Une société en mutation

Dans ses travaux précédents, Julien Goldstein avait déjà abordé la notion de transition dans les sociétés socialistes, en Europe de l’Est notamment. « A la fin des années 90, j’avais voulu comprendre comment ces pays vivaient la sortie du bloc communiste et comment ils s’en sortaient... » explique le photographe. « Ils devaient alors se réinventer et s’adapter à une économie de marché ».

A Cuba, la situation est quelque peu différente dans la mesure où, si le pays connaît une série de mutations économiques d’envergure, toutes se situent dans le cadre du socialisme. « Le pays n’a pas basculé politiquement même s’il a dû faire quelques concessions vis à vis de la mondialisation » précise Julien Goldstein. Sur place, d’autres éléments sont à prendre en considération : « le blocus américain toujours en vigueur frappant l’île, les frères Castro vieillissant et les Etats-Unis continuant à vouloir les déstabiliser » façonnent la société cubaine.

Parallèlement aux rencontres avec la population, un travail sur les activités économiques d’Etat a également été réalisé : du secteur sucrier qui redémarre après avoir été quasiment abandonné suite à la chute du cours des marchés mondiaux à l’opportunité de l’extraction du pétrole ou au tourisme. D’ici quelques mois, Julien Goldstein a prévu de retourner sur l’île.
« Pour voir où en sont les changements en cours ». Et en conclure si l’île est véritablement en marche vers son avenir durable.

Sébastien Madau