Rue O’Reilly franco-belge

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Un texte d’Ana Maria REYES SANCHEZ, directrice de la Maison Victor Hugo sur la visite des familles cubaines dans la Vieille Havane sur les traces de la présence franco-belge.

Ana Maria nous plonge dans l’histoire de cette partie de la capitale cubaine et les inombrables richesses qu’elle compte et dont certaines restent encore à découvrir.
Cette article a été publié dans la dernière livraison du mois d’aout de la revue digitale "Lettres de Cuba".

Rue O’Reilly franco-belge

Par Ana María REYES

Depuis dix ans le Bureau de l’Historien de La Havane organise un programme de visites à l’intention des familles cubaines (Rutas y Andares para Descubrir en Familia) à fin de les rapprocher aux richesses de la ville patrimoine de l’Humanité. Cette originale expérience eut récemment le Prix Ibéro-américain d’Éducation et Musées. Certaines des initiatives “souffrent” de leur succès. C’est le cas de la “balade” franco-belge qui s’insère, de surcroît, dans les actions pour l’Année Internationale du Rapprochement des Cultures, proclamée par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Diversité culturelle oblige.
Pour la deuxième fois, la Maison Victor Hugo, crée par le Bureau de l’Historien avec l’aide de Cuba Coopération France s’est alliée à la Vitrine de Wallonie, maison réhabilitée grâce à l’aide de la région belge de Wallonie.
Un proverbe pendait sur nos têtes comme l’épée de Damoclès : “segundas partes nunca han sido buenas” (“les reprises ne sont jamais bonnes”). Il fallait faire preuve d’imagination face à un publique de connaisseurs capable de vous corriger la moindre erreur. Nous avons, donc, choisi d’introduire une nouveauté : la découverte de la rue O’Reilly, où se trouve la Maison Victor Hugo.
Vendredi 23 juillet. La pluie menaçait depuis l’aube. Le soleil, pourtant, ne manqua pas au rendez-vous. Au pied des cloches qui marquent l’emplacement de la première paroisse de la ville, le guide rappela l’essentiel : la France, la Belgique et l’Espagne eurent, par moments, une histoire commune, furent « forgées dans la fonte cubaine » comme ces vieilles cloches qui ont peut-être du fer belge et du savoir-faire français. Ou vice-versa. Flandres, il ne faut pas l’oublier, fit partie de l’Empire Espagnol pendant plus de deux cents ans entre 1477 et 1713 et l’Espagne fut « française » pendant plus d’un siècle avec la dynastie des Bourbons d’abord jusqu’à la chute de l’empire de Napoléon à Waterloo, au sud de Bruxelles.
Deux groupes se sont formés. Près de 70 “débutants” suivirent les spécialistes de la Vitrine de Wallonie sur les rues Mercaderes et Teniente Rey, tandis qu’une quarantaine de personnes de tout âge, surtout les “habitués”, préférèrent l’aventure du côté O’Reilly. Quelques uns des andantes prenaient des notes. Il fallait voir les mères avec leurs enfants, y compris de tout petits. Et les jeunes ! Mais que dire de la mamie aux ancêtres français qui n’a jamais raté un Andar et malgré les problèmes du transport et métastase aux os, comptait revenir l’après-midi. L’historien Arturo Pedroso, auteur d’un article sur cette rue a partagé ce moment d’émotion avec nous.
1791 est une date à retenir. Elle marque l’inauguration du palais des gouverneurs par où commence notre parcours, mais aussi le début de la première grande vague d’immigration française en provenance d’Haïti, ainsi que l’année de publication de la recette magique du café introduit par ces immigrants. Quoi de plus cubain que le café ! Tout le monde sait maintenant qu’il nous vient de la France. Dans le salon du café les empreintes françaises et belges convergent comme nulle part. Henri Cleenewerck, peintre d’origine flamande qui a vécu à Cuba vers la moitié du XIX siècle, est l’auteur d’un des tableaux. Invité au salon de Paris en 1869, il n’a jamais cessé de peindre des paysages cubains.

La rue O’Reilly est une des plus anciennes, elle commence là où la ville de La Havane est née. Jean-Baptiste Vermay, fondateur de l’Académie de Beaux Arts, “messager du Siècle des Lumières”, ouvre donc le cortège, pour ainsi dire. Au petit temple néoclassique qui s’y érige, nous accueille son tableau, celui qui reproduit la première messe, le premier conseil de la ville et l’inauguration du Templete. C’est un français aussi, d’ailleurs, Etienne-Sulpice Hallet qui introduisit le néoclassicisme en architecture dans ce qui fut le premier cimetière de la ville (1804-1806).
En quelque mesure on doit la fortification de la ville à des fils des francs. Ce n’est pas par hasard que le premier « méchant » de la littérature cubaine fut un pirate français : Gilbert Giron. Le redoutable Jacques de Sores, lui, incendia la jeune Havane âgée de 36 ans en 1555. Résultat ? Le nouveau château royal de La Force qui vu le jour 22 ans plus tard. Mais malgré cette imprenable forteresse, l’Angleterre s’empara de La Havane en 1762. Les hauteurs de la baie, côté est furent notre talon d’Achille. La Havane fut anglaise pendant presque un an. D’où nous vint la paix enfin ? De Versailles. Suite au Traité de Paris l’Espagne reprend La Havane et la Louisiane. Par contre elle perd la Floride. Charles III commande alors une étude au Général Marquis de la Vallière pour moderniser le système de fortifications de La Havane d’après les principes défensifs du Marquis de Vauban. Finalement c’est le projet de Silvestre Abarca qui fut retenu. Ainsi la plus grande forteresse de l’Amérique coloniale est née : St.-Charles de la Cabane. Deux frères français, les ingénieurs Ricaud de Tergaille y firent une partie des plans.
Un belge dirigea la reconstruction du Morro, à l’entrée de la baie. Augustin Cramer bâtit aussi les forteresses du Príncipe et Atarés. Un peu plus tard le phare du Morro fut doté du moderne système optique d’Auguste Fresnel en 1845 à peine l’invention mise à jour lors de l’Exposition Universelle de Paris.

La fontaine de Neptune, l’œuvre de l’ingénieur français Arsène Lacarrière-Latour, eut son premier emplacement au commencement de la rue O’Reilly, il paraît. Aujourd’hui la fontaine est un peu plus loin, sur l’Avenue du Port. Et puisqu’on parle du loup, cette immense allée dérobée à la mer le long de la baie ainsi que le Parc de la Maestranza est l’empreinte de Jean-Claude Nicolas Forestier, l’urbaniste français qui fit les jardins du Capitole et l’Avenue des Missions, une partie de ce qu’on appelle de nos jours le Parc Métropolitain.
On commence à « descendre » la rue comme l’a fait de son temps le premier duc d’O’Reilly. À côté du Comte de Ricla, nouveau gouverneur envoyé par Charles III, Alexander O’Reilly, militaire d’origine irlandaise, fut désigné son second pour reprendre La Havane aux anglais en 1763. C’est curieusement O’Reilly qui eut la mission de reconquérir la Louisiane en 1769.
Auparavant nommée « rue des poubelles » ou « des égouts », entre autres, cette voie fut, pourtant, pionnière du tout nouveau système de pavement Mac Adams introduit par le gouverneur Tacón dans les années 30 du XIX siècle. Avec la rue Obispo elle fut un des axes principaux de la ville intramuros.
A l’angle de Mercaderes Arturo nous parle de la pâtisserie-confiserie La Dominica, dont les conserves méritèrent des prix importants à Paris. Plus loin, où se trouve aujourd’hui une école primaire, un chef français assurait l’excellente réputation du Restaurant Paris. Là, le chef de file du modernisme latino-américain, Rubén Darío, en route vers Paris, a fait connaissance avec Julián del Casal, le plus « français » des poètes cubains.
Une auguste maison en pierre de taille recèle tout son mystère à l’angle de San Ignacio. Le premier des Roelandts, Adolphe, tailleur renommé, membre de la Société française Mutuelle de Secours, y a fixé son domicile à la fin du XIX siècle. Son fils Émile, représentant de maisons industrielles et commerciales françaises et belges, membre de la Chambre de Commerce Française de La Havane et son trésorier de 1936 à 1938, fut consul général de la Belgique pendant très longtemps. Son fils Jean, secrétaire du consulat et directeur de la Maison Roelandts jusqu’en 1968, avait son bureau ici.
Des émules de Daguerre, allemands, espagnols, américains et cubains, mais aussi des français, envahirent la rue dans la deuxième moitié du XIX siècle. De 15 studios photographiques recensés à La Havane en 1874, huit se trouvaient à O’Reilly, ainsi appelée « la rue des photographes ».
Sur Aguiar à droite, on distingue ce qui fut le restaurant Lafayette, riche en secrets, qu’on rêve de réhabiliter un jour. Á gauche, la cantine pour des personnes du troisième âge, inaugurée en novembre dernier grâce à l’apport financier de Gilbert Lefront à travers Cuba Coopération France. Deux autres maisons sur la rue O’Reilly furent réparées aussi grâce à cet ami français.
Á deux pas, à l’angle de la rue Havane il y eut un certain Bazar le Louvre, plus loin, la Maison Potin qui vendait des spécialités françaises. La Maison Belge au 455, tenue par Mr. René de Smedt, de nationalité belge, était une librairie, mais aussi un centre culturel très important. Le Comité des Français Libres et des Belges de Cuba, créé en 1940 pour aider les alliés pendant la Deuxième Guerre Mondiale, y eut son siège. De Smedt était son vice-président.
Jusqu’en 1863, la rue O’Reilly débouchait sur une des Portes de Monserrate. Depuis, l’ancienne enceinte de la ville fut démolie. A sa place se trouve aujourd’hui l’Avenue de Belgique, ainsi baptisée en 1918, suite à la requête de Fernand de Soignie, journaliste qui écrivit une série d’articles sur les ravages de la I Guerre Mondiale dans son pays d’origine, la Belgique. « Chroniques de sang » -tître de l’ensemble publié par La Discusión- dévoilent un fait méconnu : la participation des cubains aux côtés des belges.
Notre parcours finit au 311, où l’amitié, la passion et la volonté de deux hommes, Eusebio Leal, Historien de la Ville, et Roger Grévoul, Président de Cuba Coopération France, ont réussi un miracle : la Maison Victor Hugo, qui se passe de commentaires.
La rue O’Reilly vient de nous livrer ainsi quelques petits secrets. A nous d’en percer d’autres. Les Andares servent à ça : à marcher sans arrêt pour aller plus loin.
29 juillet 2010

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