Capitales : Yuniesky Gurriel, pionnier cubain

Partager cet article facebook linkedin email

Olivier Bossé
Le Soleil

Un baseballeur cubain est en train d’amorcer une révolution, au Stade municipal de Québec. Sans parler de révolution cubaine, la présence d’Yuniesky Gurriel chez les Capitales dépasse les considérations sportives. Le voltigeur de 32 ans est pleinement conscient de la charge politique qu’il porte sous sa casquette et va au bâton pour son pays.

Il est le premier joueur de baseball professionnel originaire de Cuba à pratiquer son métier en Amérique du Nord avec l’accord du régime Castro. Des dizaines de joueurs ont quitté l’île communiste pour aller faire fortune aux États-Unis. Mais ils ont aussi renoncé à leur nationalité et même à retourner au pays un jour.

Pas Gurriel. Après la saison des Capitales, il rentrera à La Havane, sans inquiétude, disputer sa 15e campagne dans la Serie Nacional de Béisbol, cet hiver. Une entente unique qui a mis cinq ans à se conclure entre le club indépendant de Québec, la Fédération cubaine de baseball et l’Institut national des sports de Cuba. Gurriel est arrivé jeudi dernier.

« Je sais que je ne représente pas seulement Yuniesky ou la famille Gurriel, je représente Cuba au complet », a-t-il confié au Soleil, lundi, propos traduits par son nouveau coéquipier Josué Peley. Ils attendent le retour de l’équipe du Texas, lundi prochain. Peley est blessé.

« Les joueurs cubains ont la réputation de se sauver aux États-Unis pour aller chercher l’argent, mais je vais prouver le contraire, ici. Je suis venu pour découvrir un nouveau baseball, de nouvelles techniques. Je suis venu découvrir un nouveau monde », affirme celui dont le père et le frère avaient participé au Championnat du monde de baseball junior à Edmonton, en 2000.

C’est tout ce qu’il connaît du Canada, avec ce que lui en a raconté Daniel Rochette, un Montréalais ami de la famille Gurriel, grand fan de baseball et acteur-clé dans la venue de Yuniesky à Québec. Rochette est proche de Michel Laplante, le président des Capitales. Le fait d’être au Canada et que l’équipe n’entretienne aucun lien direct avec les organisations du baseball majeur aide. Il ne représente pas non plus un client potentiel pour la grande ligue.

Dans l’ombre de son frère

Yuniesky est l’aîné des trois fils de Lourdes Gurriel, légende vivante du baseball cubain. Le deuxième fiston, Yulieski, avant-champ de 30 ans, est le plus talentueux des trois. En 2006, les Yankees de New York étaient prêts à dérouler 50 millions $ pour le mettre sous contrat. Il a refusé. Il joue en ce moment au Japon pour 1,8 million $ par saison. Avec l’approbation des autorités cubaines, qui prendront 10 %.

« Quand tu es jeune, c’est super, ton père est le meilleur et tout le monde le connaît. Mais quand tu commences à jouer plus sérieusement, tu es toujours comparé à lui, tout le monde s’attend à ce que tu sois aussi bon », explique-t-il.

Et ça s’est compliqué en double avec les succès d’Yulieski. Pas facile d’être mesuré à son jeune frère, en plus de son père ! « Avec le temps, les amateurs ont appris à m’apprécier pour ce que je suis. Je n’ai pas le même coup de bâton qu’eux, mais je crois être le meilleur joueur défensif de la famille », sourit Yuniesky.

Communisme et modernité ne semblent pas incompatibles pour lui. Beau garçon, collier de cordes tressées jaune et bleu, gilet d’entraînement Nike. Pour notre photographe, il a troqué ses gants de frappeur rouge et blanc pour des tout blanc, question d’être agencé à son nouvel uniforme blanc aux fines rayures bleues.

Il n’avait toutefois jamais expérimenté de connexion sans fil à Internet. Ce qui ne l’empêchait pas d’être sur Facebook, d’où il communique avec son frangin, au Japon, ou son ami Aroldis Chapman, closer étoile des Reds de Cincinnati.

Les Odrisamer Despaigne (Padres), Yasel Puig (Dodgers) et autres José Abreu (White Sox) ont tous été ses coéquipiers ou ses adversaires, en Serie Nacional. Il ne les voit ni héros ni traîtres. « Je vois des gens qui veulent atteindre leur rêve », répond-il doucement.

Même s’ils sont célèbres à Cuba, les Gurriel ne sont pas riches, assure Peley, qui a constaté de visu. « Personne n’est riche, là-bas. Toute la famille vit sous le même toit. » Mais la renommée amène des avantages, comme avoir du lait, même si les enfants ont passé l’âge de sept ans.

Le numéro 51 devrait jouer à compter de mardi prochain. Son premier match aux États-Unis serait le 3 août, au New Jersey. Moment symbolique d’un premier professionnel cubain à jouer en sol américain sans avoir déserté. « Ça peut ouvrir des portes à beaucoup de Cubains. Plusieurs rêvent de jouer aux États-Unis. Je réalise la portée de ce que je vais accomplir », conclut Gurriel.
Agent Peley en mission

Traduire les propos de ministres. Remplir des formulaires administratifs sur le capot brûlant d’une voiture. Se faire cuire dans la file d’attente à la banque. Josué Peley a vécu un voyage à Cuba court, mais intense.

« Le vendredi [27 juin], après la game [que Peley ne jouait pas, blessé], Michel [Laplante] m’a demandé : ’Ça te tente-tu d’aller à Cuba dimanche ?’ Et il m’a juste confirmé le samedi, qu’on partait. Je pensais qu’on logerait dans un resort, mais Michel n’avait en fait aucune idée où on coucherait. Il m’a juste dit : "Amène pas ton maillot, on n’ira pas à la plage." »

Bon receveur et pas pire frappeur, Peley est surtout parfait trilingue. Originaire du Venezuela, sa famille est arrivée au Québec il y a 16 ans. Il a joué cinq saisons pro aux États-Unis avant de se joindre aux Capitales, en 2012.

Sa présence aux côtés de Laplante était essentielle pour sceller la venue d’Yuniesky Gurriel à Québec. Peley parle les deux langages des Cubains : l’espagnol et le baseball.

Il a goûté sa mission de trois jours à Cuba. « Ça me rappelait mon pays, dont je garde de très bons souvenirs. Les arbres, la chaleur, les chars, les maisons. Mais c’était vrai qu’on n’a pas eu le temps de faire de la plage », grimace celui dont les journées là-bas ont été bien remplies.

Trois jours déterminants

Jour 1 : réunion avec les officiels du pays. « Je pensais qu’on rencontrerait le coach et peut-être le président de l’équipe. Mais quand je suis rentré dans la salle, j’ai compris que c’était le ministre des Sports et celui du Tourisme. Des gens haut placés à qui la plupart des Cubains n’ont jamais la chance de parler. Alors, c’était très important de bien traduire. »

Étaient aussi présents Yunieski et son père, Lourdes Gurriel, que Peley appelle le Maurice Richard du baseball cubain. On dit qu’il était le joueur favori de Fidel Castro.

Jour 2 : passé à la porte de l’ambassade à remplir des papiers. « Plus fatiguant que de catcher deux matchs dans la même journée ! » témoigne Peley.

Jour 3 : le paiement s’effectuait à la banque, pas à l’ambassade. Gurriel et Peley ont attendu deux heures, à l’extérieur, sans broncher. « J’attendais qu’il se plaigne pour me plaindre, mais il ne s’est jamais plaint ! Quand on est entré, les gens l’ont reconnu et lui disaient qu’il aurait dû dire qu’il était là, ils l’auraient laissé passer ! Mais lui préférait attendre son tour. »

Une semaine plus tard, Gurriel obtenait son visa canadien. Le lendemain, jeudi 10 juillet, le Cubain assistait au match des Capitales à Québec.
Yuniesky Gurriel

32 ans
5’ 11’’, 176 lb
Ville d’origine : Sancti Spíritus, Cuba
Position : Voltigeur et frappeur droitier
Expérience : 14 saisons en Serie Nacional cubaine
Moyenne au bâton : ,270

http://www.lapresse.ca/le-soleil/sports/baseball/201407/14/01-4783883-capitales-yuniesky-gurriel-pionnier-cubain.php