Ce Brésilien a 62 ans, une petite fortune et 100.000 vinyles cubains. Au milieu de « quelques » millions d’autres

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Zero Freitas, ça ne vous dit rien ? Normal. Jusqu’ici à la rigueur ce type était connu à Sao Paulo, où il possède une compagnie de bus. Depuis le 8 août, son nom fait des millions d’entrées sur votre moteur de recherche favori. Autant peut être que les vinyles qu’il possède, ce qui fait de ce Brésilien de 62 ans le plus grand collectionneur de ces galettes de la planète, très très loin devant tous les autres.
C’est le New York Times qui a débusqué Zero Freitas. Dans cette gigantesque collection de toutes les musiques du monde, grâce à son contact à La Havane (his man in Havana), il y en a 100.000 qui viennent de Cuba, soit, selon le frénétique acheteur, toute la production musicale de l’île (sic).
Il n’a aucune idée de vendre le moindre exemplaire de son vertigineux trésor, mais de « partager ». Avec à la clé, en 2015 un « Emporium musical » ouvert à tous ? A suivre.

                  Enfin un Brésilien champion du monde…

Zero Freitas possède 100.000 vinyles de musiques cubaines. Une broutille parmi « quelques » millions d’autres…

Par Michel Porcheron

Le Brésilien Zero Freitas, 62 ans, n’a pas son pareil sur la planète, un concurrent non plus, il est unique au monde. Et on ne le savait pas. On peut même dire que jusqu’ici c’était un inconnu. Pour wikipedia il l’est toujours (le 19 août) c’est vous dire. Inconnu et un peu frappadingue sur les bords, mais sur la voie de la rédemption.  

Qui est donc Zero Freitas ? José Roberto Alves Freitas, autosurnommé Zero, un Brésilien champion du monde, ça ne court plus les rues, un record man mondial, c’est le cas de le dire.

                        

Depuis 50 ans ce type collectionne les disques vinyles, au début les seuls sur le marché.  

Aujourd’hui, à l’ère des mp3 et autres fichiers musicaux, plusieurs millions de vinyles de toutes les musiques et de toutes les sortes - il n’en connait pas lui-même le nombre exact- sont stockés dans un entrepôt de 2500 mètres carrés à São Paulo…Une caverne d’Ali Baba, un Fort Knox, un Xanadu du vinyle, une collection à la Jorge Luis Borges… voire une Tour de Babel des musiques du monde.

Tout cela à une époque où, si on n’a jamais écouté tant de musiques (numérisées), on n’a jamais acheté (ou possédé) aussi peu l’objet qui s’appelle le disque, à commencer par le CD.    

[Avant d’aller plus loin, on peut éventuellement consulter : http://leblogdudisquevinyle.blogspot.fr/  ]

L’himalaya musical de Freitas suppose une logistique à la hauteur.

Entre douze et seize personnes (interns, stagiaires, une majorité sont étudiants), spécialement formées, s'occupent de ranger et de référencer les disques, au rythme de 500 par jour, en moyenne. Ils en ont pour des décennies. Leur CDI est assuré.  L’inventaire est numérisé : chaque vinyle aura un jour sa fiche avec bien sûr les photos des deux faces de la pochette, le nom de l’artiste, de l’album, de la compagnie discographique, l’année de parution et …le nom du dernier propriétaire. Titanesque.

 

 
Zero
Freitas -  dont « l’inventeur » le 8 août dernier est le New York Times -  avec des photos exclusives de l’Espagnol Sebastián Liste- a de plus sous ses ordres une forte équipe d'acheteurs dispersés à New York, à Mexico, en Afrique du Sud, au Nigéria ou au Caire. Lui et son équipe épluchent frénétiquement les petites annonces dans les magazines spécialisés de la planète. Ils ne visent que les gros vendeurs, ceux qui vendent au quintal ou à la tonne ( !?), avec toujours des chiffres à plusieurs zéros.  

Avec des importations en toute légalité brésilienne, comme il est juste de penser que quelques millions de vinyles sont sortis de leur pays d’origine également en toute légalité, le cachet des douanes faisant foi.      

Le Brésilien a les moyens de son « obsession », il a une petite fortune, une grosse galette, c’est le cas de le dire.

A 62 ans, selon le site lalibre.be, Zero Freitas « n’a pas le look de l’homme d’affaires, confie le NY Times [Monte Reel, 8 août 2014] qui l’a débusqué. Avec sa longue chevelure grise et son T-shirt, on dirait plutôt le personnage d’un road movie américain. C’est pourtant un richissime magnat des transports au Brésil. Mais c’est pour la musique que l’homme en pince. Il possède une collection de vinyles vertigineuse »

Voir aussi 10 raretés (dont une de Cuba) parmi tant d’autres de la collection de Freitas :  

http://6thfloor.blogs.nytimes.com/2014/08/08/choice-cuts-zero-freitass-rarest-records/

Et de Jeannie Choi du 14 août (court entretien avec Freitas, en anglais)

http://6thfloor.blogs.nytimes.com/2014/08/14/how-to-organize-thousands-of-vinyl-records-using-seemingly-random-knick-knacks/

Reprenant une entreprise familiale, Freitas est en effet un homme d’affaires dont la fortune vient de la possession et de l’exploitation d’une compagnie de bus(s) qui desservent les banlieues de Sao Paulo, la ville la plus grande du Brésil et la plus peuplée d’Amérique latine, avec ses 12 millions d’habitants.  

C'est à l'adolescence, en 1964, il a 12 ans, que Zero a acheté son premier disque, un album du chanteur populaire brésilien Roberto Carlos (il en possède aujourd’hui 1793). À la fin de l'école secondaire, il possédait déjà plus de 3000 disques. Et à 30 ans, il en avait 30 000 !

                            RECORD COLLECTIONS

                          We BUY any record collection

                          Any STYLE of music

                          We pay HIGHER prices than anyone else

Freitas n’est pas quelqu’un qui furète, qui cherche telle rareté, telle musique, tel label. Aujourd’hui, c’est par containers entiers qu’il achète des collections au gré des trouvailles ramenées par son équipe de prospecteurs sillonnant, c’est le cas de le dire, le monde. Et il stocke.   

Entre juin et novembre 2013, il a mis la main sur plus de 100 000 disques. Il a également acheté la collection de disques du comédien Bob Hope, vendue par sa fille 10 ans après sa mort.

               

Il vient d'acquérir trois millions de disques à un revendeur américain de Pittsburgh, Paul Mawhinney, qui après avoir consacré 40 ans de sa vie à amasser des vinyles, cherchait depuis quelques années déjà à revendre sa collection.

 

Ce n'est que l'année dernière que Mawhinney tombe sur une annonce dans le Billboard Magazine : « Nous achetons toutes les collections de disques. Tous les styles de musique. Nous sommes prêts à payer plus cher que quiconque » .Derrière ce message se cache Zero Freitas.  À l'aide de huit semi-remorques, les vinyles traversent les frontières, direction : le Brésil, précise Le Point.

Même chose pour le stock de Colony Records, une boutique de Times Square : les 200 000 disques restant après la fermeture du magasin new-yorkais, en 2012, sont partis pour Sao Paulo (Le Monde).

 

Pourquoi cette frénésie d’achats ? Car elle va au delà de la passion,  elle atteint l’obsession  chez cet homme qui n’a rien d’un disquaire méticuleux, soucieux de faire le bonheur d’une clientèle exigeante, mais tout d’un collectionneur compulsif.

 « Il faut dire qu'il amasse plus qu'il ne collectionne. Rares, chers, banals ou collectors, en double, en triple exemplaires » (Le Monde). Quarante ans de thérapie n’ont pas apporté de vraie réponse, déplore Zero Freitas, selon le site lalibre.be. Ce n’est pas faute de s’être  soumis des centaines de fois au traitement médical adéquat : « Dites trente-trois », selon le site cubacoop.

Mais c'est après son divorce que le rythme de ses achats a explosé. « Peut-être car je suis seul », confie-t-il encore au NY Times. Et pourquoi donc s’est-il affublé du surnom « Zero » qui veut dire…zéro en brésilien ? 

 

 

    Aujourd’hui, après 50 ans de collectionnite, incité par Bob George (1) un collectionneur de New York pour qui l’ampleur du comportement de Freitas est devenue « un petit peu folle tout de même »-  s’est désormais donné une mission, comme pour donner un sens à son obsession.

Il souhaite aujourd’hui créer une discothèque d'archives accessible au public qu'il appellerait Emporium Musical. Soit sauver, indique-t-il, tout le patrimoine gravé dans l’acétate et rendre ses millions de vinyles disponibles aux amateurs, aux musiciens et aux musicologues.  

Zero Freitas rêvait, rêve toujours d’acheter tous les vinyles du monde. Un rêve sans fin puisque la production de vinyles, un temps interrompue (quand ces disques s’appelaient encore des « 33 » ou « 45 » tours) on annonçait même sa disparition, a repris avec un succès certain à partir de 2011, grâce à un engouement nouveau et le rôle  des DJ de plus en plus nombreux. Selon une enquête de Nielsen Sound scan, les ventes de vinyles en 2011  ont fait un bond de + 39 %, soit sur le marché environ 4 millions d’exemplaires de plus qu’en 2010.

Sur cette nouvelle tendance on peut voir (dailymotion, 53 mn)

http://france3-regions.francetvinfo.fr/cote-d-azur/emissions/ecoutez-voir-le-mag/actu/lundi-3-fevrier-le-retour-du-vinyle.html-0

Selon Johanna Luyssen, journaliste au Monde, « Freitas est le propriétaire de bien des raretés. Comme Barbie, un 45-tours du groupe Kenny and The Cadets, dont le chanteur n'est autre que Brian Wilson, des Beach Boys, et l'une des choristes, sa mère, Audree »

                              His man in Havana

«  Sans parler, ajoute-t-elle, des vinyles cubains, que Freitas adore amasser, au point de posséder ce qu'il estime être toute la production musicale de l'île, soit environ 100 000 disques. Parmi lesquels de vrais morceaux d'histoire, comme cet album de la pianiste Ivette Hernandez tamponné d'un «Traitre à la Révolution cubaine » [possiblement] par un fonctionnaire zélé après que la musicienne eut préféré l'exil au régime de Fidel Castro ».

 

Monte Reel du NYT écrit aussi, sur l’équipe internationale (scouts) qui négocie les contrats (deals), que : « Le jazz cuivré (brassy) que les stagiaires écoutaient sur la platine vinyle du bureau, vient de son contact à La Havane »  (his man in Havana), celui qui lui a envoyé près de ses 100 000 albums cubains (…) « Lui et ses stagiaires plaisantent quand ils disent que la hausse du niveau de l’île dans la mer des Caraïbes vient de tout le poids dont Freitas l’a délestée. » (He and the interns joke that the island is rising in the Caribbean because of all the weight Freitas has hauled away)

Johanna Luyssen cite par ailleurs Allan Bastos, un entrepreneur brésilien, amateur de rock’n’roll,  qui a rencontré Freitas sur eBay.

                              Une antenne à Paris

Zero Freitas « sait tout sur tout, sa culture musicale est absolument inépuisable », affirme Bastos, qui est devenu un ami de Freitas. « Il l'aide à trouver des collections, se plaît à jouer les intermédiaires. Il vient de s'installer à Paris et compte y rencontrer des vendeurs, afin de constituer un fonds européen »

 « L'idéal, selon Bastos, serait d'arriver à faire l'acquisition de quelque 200 000 disques français. Nous recherchons tous les genres : de la pop, du rock, de la musique classique, de la musique régionale – de Corse, par exemple. Nous ferons de même avec l'Italie, l'Espagne ou le Portugal… Mais je dois préciser que nous privilégions les collections de plus de 5 000 disques. »

Conclusion – provisoire- de Bastos : conserver ces vinyles, c'est garder la trace de l'histoire de la musique du XXe siècle. Dans des pays comme le Brésil, Cuba ou le Nigéria, 80 % de la musique enregistrée au cours de la deuxième moitié du XXe siècle n'a pas été transférée numériquement.

On peut consulter, entre autres :

 http://www.konbini.com/fr/entertainment-2/homme-qui-voulait-tous-les-vinyles-du-monde/

http://www.lemouv.fr/article-l-homme-qui-achete-tous-les-vinyles-du-monde

http://www.standardmagazine.com/paolo-campana-la-manie-des-vinyles-est-la-consequence-dun-manque/

et écrit (en espagnol) avant l’histoire de Freitas :

 http://www.sopitas.com/site/361690-razzmatazz-la-soledad-del-coleccionista-casual-de-discos/

…en espagnol, alors que, pour tout savoir désormais, depuis le 8 août, ce sont les sites en portugais qu’il faudrait pouvoir lire…

(1) – Selon Johanna Luyssen, Bob George, mélomane newyorkais, producteur de la chanson O Superman, de Laurie Anderson, possédait une collection de 15 000 disques lorsqu'il fonda, en 1985, ARchive of Contemporary Music (ARC), discothèque à but non lucratif dont le fonds comporte désormais 2,2 millions de disques, CD et cassettes audio, et qui a reçu le soutien de David Bowie, Nile Rodgers, Paul Simon, Martin Scorsese ou Keith Richards.

Zero Freitas et Bob George ont travaillé ensemble à l'occasion du Brazilian Music Day, un événement organisé par l'ARC en 2012 afin de mettre en valeur le patrimoine musical du pays. Avec  Le  New York Times et Le Monde (mp)