Le Che (1963) par René Burri, une photo qui « raconte notre époque ».Explication.

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Editeurs, commissaires d’expo, responsables de musée ou de galerie, sept d’entre eux ont sélectionné pour le quotidien Libération une image qui « raconte notre époque ». Le dernier invité, Sam Stourdzé, futur directeur des Rencontres d’Arles, a choisi pour le n° de samedi 23/dimanche 24 août 2014 de Libération une photographie du Che par le Suisse René Burri, reproduite sur une double page (31 x 46 cm).
Clémentine Mercier a posé à chacun des sept les trois mêmes questions : Pourquoi avoir choisi (cette) photographie ? Quels sont d’ordinaire vos critères de sélection ? Comment se porte la photographie ? (pour les détails, voir liberation.fr)

Le Che (1963) par René Burri, une photo qui « raconte notre époque ».Explication.

Par Michel Porcheron

De sept photos « qui racontent notre époque », choisies par 7 personnalités de la profession pour le quotidien Libération, l’une est de René Burri (1933). Il s’agit de sa photo du Che la plus connue, publiée sur près de deux pages du journal (n° samedi 23/dimanche 24 2014), soit une reproduction en 31 x 46 cm, le format que l’on retrouve sur deux pages également (p.350-351) du beau livre Che Guevara chez Fayard (2003).

La photo du Che est le choix du dernier invité de Libération, Sam Stourdzé (1), futur directeur des Rencontres d’Arles (le 1er octobre).

Pourquoi avoir choisi une photographie du Che par René Burri ?

« Deux photographies d’Ernesto Guevara ont immortalisé à jamais son effigie : celle d’Alberto Korda, avec son béret marqué d’une étoile rivé sur la tête, et celle de René Burri, menton relevé, cigare cubain au bec, regardant droit vers l’avenir. La seconde date de 1963. Le Che a alors 35 ans.

Quatre ans plus tôt, il a renversé le régime de Batista ; deux ans plus tard, il reprendra les armes avec la farouche volonté de déclencher la révolution partout où il passe.

La photo a incarné le mythe, lui a donné un visage. Le portrait comme la quintessence du révolutionnaire. L’ironie, c’est que la photographie a continué son chemin, tout en faisant de lui une icône. Sans jamais s’arrêter, elle l’a transformé en produit ! L’inventaire donne le tournis. Il n’est pas un objet de consommation qui n’ait reçu le logotype du Che : du sac au tatouage, de la montre au string… Les photos qui témoignent à la fois de l’histoire et de sa réappropriation sont rares. A elles seules, elles posent la question cruciale de ce que peut une image… »

                                           De René Burri en 1997

 Ces propos ont été recueillis par François Maspero qui signe l’introduction du livre « Che Guevara », René Burri/ François Maspero, chez Nathan /Collection Photo Poche (1997).

photo de Michael von Graffenried

Ailleurs Burri – qui ressort de la rencontre impressionné- racontera qu’il n’a fait que s’immiscer que dans « le combat » avec la journaliste. « Parfois le Che se levait pour faire trois fois le tour de son bureau, comme pour trouver un nouvel argument. Il ne me lançait plus un seul regard, j’avais disparu ». Résultat : près de 200 photos.

On peut lire : http://rue89.nouvelobs.com/2007/09/29/rene-burri-che-guevara-etait-comme-un-lion-en-cage     

En 1966, de jeunes étudiants en graphisme suisses viennent demander  à René Burri de leur céder une image pour un travail de fin d’étude, qu’ils ont choisi de réaliser sous la forme d’un poster, « médium » alors en pleine émergence, raconte Jean-Hugues Berrou dans le livre cité, de chez Fayard. Ils choisissent le « portrait au cigare », ils l’utilisent plein cadre sans intervention aucune, si ce n’est un étonnant fond rose qui confère un côté glamour à ce grand fumeur de havanes (…) [qu’est devenue cette photo sur fond rose ?]

Le choix des étudiants se révèle judicieux puisque c’est cette photographie qui connaîtra la plus grande postérité parmi les 200. « Dès  68 et les manifestations étudiantes, j’ai été dépassé par cette photo, avoue son auteur, je ne pouvais plus contrôler son utilisation, l’agence tentait bien de récupérer des droits par ci par là, quant à moi je trouvais pas mal de plaisir à la croiser un peu n’importe où. Je l’ai retrouvée brodée sur des coussins dans un supermarché, imprimée sur des cadrans de montre Swatch (les aiguilles remplaçaient le cigare) et à Cuba sur des tee-shirts vendus par le ministère de l’information…et que j’ai d’ailleurs achetés »

Une image connue de tous, mais pas une icône, considère Berrou. Au fil des années, elle sera supplantée par le Guerrillero Héroico, ainsi que Alberto Korda avait intitulé son fameux portrait de 1960.

Les deux hommes étaient amis. « Un jour Korda m’a offert un tirage original de sa photo avec cette dédicace : René est d’accord pour dire que cette image est la plus célèbre des photos du Che. J’ai réfléchi quelques instants, puis je lui ai offert la mienne, elle aussi dédicacée : Alberto est d’accord pour dire que c’est la meilleure  des photos du Che. Nous avons beaucoup ri et un peu bu, toute la nuit ».       

(1)- Sam Stourdzé est directeur du musée de l’Elysée à Lausanne. Il a collaboré aux éditions Léo Scheer et travaillé sur les rapports entre photographie, art et cinéma, avec des expositions sur Charlie Chaplin («Images d’un mythe»), Fellini («la Grande Parade») montrées au Jeu de paume en 2009.