L’embargo des Etats Unis contre Cuba. Janette Habel : sa levée appartient au Congrès

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Posté par M P
Le site JOL Press a édité le 14/10/2014 un entretien avec Janette Habel, politologue (indispensable « cubanologue ») et enseignante à l’Institut des Hautes études de l’Amérique latine sur la question de l’embargo des Etats Unis contre Cuba, décrété en 1962.
Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

Voir en Postscriptum le commentaire du responsable de la publication.

Quand a été décidé l’embargo américain sur Cuba ?

 Janette Habel : Bien qu’effectif depuis deux ans déjà, l’embargo a été décidé en 1962. A l’époque, le monde était en pleine Guerre Froide. Dès 1960, alors que l’URSS et les Etats-Unis s’affrontaient sur le champ politique international, Cuba s’est rapproché de Moscou.

Or Cuba fait partie de ce qu’on appelle la Méditerranée américaine. L’île est située dans le périmètre de sécurité des Etats-Unis. En pleine Guerre froide, alors même que chaque pays de ce monde bipolaire devait choisir son camp, les Etats-Unis jugeaient impensable d’avoir, à 200 km de leurs côtes, un pays allié de l’URSS. Il faut se souvenir que la rupture avec les Etats Unis a été un véritable tremblement de terre.

Cet embargo a-t-il selon vous encore un sens aujourd’hui ?
 Janette Habel
 : Il n’en n’a plus aucun, c’est pour cela que l’éditorial du New York Times en date de dimanche 12 octobre, s’engage pour son abrogation. Récemment, Hillary Clinton s’est également interrogée sur le sujet et il devient évident que plus de cinquante ans après, la diplomatie américaine a admis la non-efficacité de cet embargo.

Car son objectif était très clair, il devait précipiter la fin du régime castriste. Or cinq décennies plus tard, force est de constater que ce but n’a pas été atteint, il est par ailleurs évident qu’il ne le sera pas de cette façon-là.

L’embargo est inutile, selon ce que disent de nombreux diplomates américains. Il est également gênant car l’ensemble des Etats latino-américains ont aujourd’hui renoué leurs relations diplomatiques avec Cuba, ils ont même créé une organisation, la CELAC (Communauté des Etats latino-américains et caribéens) qui a d’ailleurs été présidée par Raul Castro l’an dernier. De nombreux Etats, à commencer par le Brésil, font désormais de la présence et de la reconnaissance de Cuba une condition à leur participation à certains sommets internationaux ou latino-américains, tels que le Sommet des Amériques

La pression géopolitique régionale est très forte, tout comme l’est la pression économique et commerciale. De nombreuses entreprises et Etats développent actuellement leurs relations avec Cuba, notamment l’Union Européenne qui négocie actuellement un accord de coopération.

Les Etats-Unis eux sont donc hors-jeu, car bloqués par leur embargo.

Au niveau économique, a-t-on une idée des pertes que cet embargo a engendrées ?
 Janette Habel
 : Le gouvernement cubain parle de plus de 100 milliards de perte sur toute la durée de l’embargo. Ce chiffre peut être discuté mais il est certainement très important même si l’évaluation est difficile.

Par exemple, un bateau venant d’Europe, qui passe par la Havane pour décharger des marchandises sera interdit d’accostage aux Etats-Unis. Pour transporter des marchandises à La Havane, un bateau ne peut pas passer par les ports américains, ce qui a un coût phénoménal.

Autre exemple, dans le processus de réforme en cours à Cuba, le pays a besoin de toutes sortes de marchandises. Le marché américain est à 200km et est pourtant inaccessible aux Cubains. Il leur faut donc acheter ailleurs, ce qui représente un coût supplémentaire.

Les diplomaties américaines et cubaines se dirigent-elles vers une fin de l’embargo ?
 Janette Habel
 : Je pense qu’une diplomatie des petits pas est à l’œuvre, et on sait que de très nombreux contacts sont noués, dont certains à haut niveau. La fameuse poignée de main d’Obama à Raul Castro a été un véritable événement et en est l’illustration.

Il y a cependant un problème légal et juridique. Depuis son instauration, l’embargo a en effet été renforcé. En 1996, la loi Helms-Burton a enlevé au président américain la prérogative de pouvoir lever l’embargo. Seul l’exécutif, donc le Congrès américain, a désormais ce pouvoir.

Or les Républicains et les Démocrates qui siègent au Congrès, sont très divisés sur la question. En effet, il y a en leur sein une minorité issue de l’ancienne bourgeoisie cubaine qui cultive un anti-castrisme féroce et demeure tout à fait opposé à la levée de cet embargo. Obtenir une majorité au congrès n’est donc pas évident.

La seule possibilité, et c’est ce vers quoi les Etats-Unis se dirigent pour l’instant, c’est de vider l’embargo de son contenu petit à petit. On ouvre des brèches, qui permettront à terme de contourner l’obstacle institutionnel.

Ce sont donc des Cubains qui bloquent la levée de cet embargo ?
 Janette Habel
 : Le lobby le plus important contre cet embargo est à Miami, en Floride, et il est très puissant. Aujourd’hui, ces Cubains exilés sont âgés et leurs enfants, des cubano-américains, n’ont plus les mêmes préoccupations.

Leur combat est affaibli mais leur lobby est toujours financièrement et politiquement très puissant car la Floride est le 5ème Etat dans l’ordre d’importance pour l’élection présidentielle américaine. Le vote de ces Cubains pèse énormément dans l’élection présidentielle, ce qui explique les blocages institutionnels.

Lorsque cette génération passera, l’embargo passera-t-il de lui-même ?
 Janette Habel
 : Les Etats-Unis ont été en guerre avec le Vietnam dans des proportions incomparables et les deux pays ont pourtant normalisé leurs relations.

Raul Castro a annoncé qu’il ne serait plus président en 2018. Cette décision est très importante dans la mesure où les dirigeants du lobby cubain aux Etats Unis ont toujours affirmé qu’il n’y aurait aucune négociation tant qu’un Castro  serait au pouvoir. Cette condition figure même dans la loi votée en 1996.

Un processus est en cours et, d’une manière ou d’une autre, débouchera sur la fin de l’embargo. C’est maintenant une question de temps même si les obstacles juridiques et institutionnels sont importants. Cela laisse présager de grandes batailles au Congrès, mais la logique veut que cela se dénoue dans les années qui viennent.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

 

Commentaire du responsable de la publication : Je trouve l’article ambigu. D’une part il laisse supposer que le blocus serait petit à petit vider de sa substance par les USA et d’autre part que le départ de Raul Castro de la direction du pays offrirait la possibilité au gouvernement des Etats Unis d’en finir avec le blocus...Comme va lui demander, fort justement, pour la énième fois l’immense majorité des pays de l’ONU, le Président OBAMA, peut décider d’en finir avec cette mesure d’un autre temps, qui coute si cher au peuple cubain et qui freine le développement économique du pays. D’autre part, Il peut, prendre la décision de retirer Cuba de la liste des pays terroristes, ce qui serait la moindre des choses et accepter comme le propose le Président Raul Castro de libérer les trois anti-terroristes cubains, Cuba libérant l’espion américain Alan Gross.