« Que personne ne parle à notre place » (Wendy Guerra)

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Wendy Guerra, 44 ans, née à La Havane, domiciliée à La Havane, était chez elle quand le 17 décembre 2014 furent diffusés vers midi les discours de Barack Obama et Raul Castro. Beaucoup de téléviseurs étaient tournés vers la rue.
C’est son hiver « le plus porteur d’espérance ». Elle le dit dans son blog d’écrivaine. Elle n’a pas attendu bien longtemps pour se prononcer. Dès le 18 décembre, elle dit son espoir, les tâches à venir, « nos vies à reconstruire, sans cesser d’être ce que nous sommes », mais elle est aussi en colère, contre tous ceux qui dans le monde « parlent à notre place », « s’expriment au nom des Cubains ».

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Wendy Guerra, auteure cubaine : « Que personne ne parle à notre place »

Repéré par Michel Porcheron (source : telerama.fr, Gilles Heuré, le 22/12/2014)  

Un dégel historique ? Mercredi 17 décembre, les Etats-Unis et Cuba annonçaient leur réconciliation diplomatique. Les relations entre les deux pays étaient rompues depuis 1961. La romancière et poétesse Wendy Guerra (1970), cubaine vivant à la Havane, a exprimé dans son blog son point du vue, écrit dès le lendemain des discours des présidents Barack Obama et Raul Castro.

C’est l’espoir qui domine, tel qu’elle le ressent. Et une colère aussi contre tous ceux qui s’expriment au nom des Cubains. Son titre Al fin el enemigo (Enfin l’ennemi) résume l’attente d’une ère nouvelle. Une voix de Cuba.

Extraits choisis :  

« Les observateurs internationaux réflexionnent et les journaux/journalistes (noticieros)  ne cessent de parler de Cuba. Des amis nous écrivent ou appellent posant des questions, mais surtout donnant leur avis sur ce qui nous arrive.

« Quelqu'un s'est-il demandé ce que pensent les 12 millions de Cubains qui vivent sur cette île ? […] Il est même devenu naturel de croire que nous les Cubains, par peur ou par manque de tribunes, nous avons perdu le jugement, et avec lui la parole.

« La majeure partie des journaux internationaux spécule, car il n'y a pas beaucoup de médias locaux qui peuvent ou veulent transmettre avec clarté nos vraies impressions. Notre opinion a-t-elle cessé de compter pour le reste du monde ? Le silence sur nous est tel qu’on parle à notre place.

                                      « Où allons- nous ? »  

« (…) Personne n'ignore que les Américains (americanos) sont notre obsession. Aujourd'hui, petit à petit, l'ennemi va cesser de l'être. L'île qui flotte se rapproche  et ils naviguent avec nous dans une étrange dérive qui a commencé hier. Où allons-nous ? Nous ne le savons pas. 

« Beaucoup pensaient que le mur d'eau tomberait en une nuit. Beaucoup pensaient que nous nous réveillerions après l'annonce d'une mort ou d'un renversement, et que tout allait changer. Vivre dans ce pays t'apprend que tout cela n'est pas possible, peu importe ton idéal politique. Les choses dans cette île sont bien plus compliquées, les recettes étrangères ne nous servent en rien.

« (…) Jusqu'à aujourd'hui, personne ne put ou voulut déchiffrer avec nos codes la vérité sur ce qui se passe ici (…) En raison du repliement, nous vivons enfermés dans un autre cosmos, nous avons besoin de nous étudier pour pouvoir nous comprendre(…) C’’est de cela qu’il s’agit, percer le mystère d'un peuple qui a cessé d’avoir les codes du reste du monde et qui de ce fait est devenu impénétrable(…) « Nous sommes renfermés sur nous mêmes. Quelqu’un écoute-t-il ? »

                  « Petit à petit de l’espoir »

« Dans la Vieille Havane, de nombreux téléviseurs étaient tournés vers la rue et les gens écoutaient Obama et Raul avec grand étonnement (asombro) , mais dans cet étonnement et presque avec incrédulité, ressortait petit à petit de l'espoir.

« C'est l'hiver le plus porteur d’espérance que j'aie vécu à la Havane depuis que je suis née en 1970.

« Nous ne  savons pas comment coexister dans la normalité et encore moins comment vivre ensemble avec nos voisins. Désormais, il faut apprendre à nous regarder face à face et à nous reconnaître (reconocernos).

                           « Je suis atterrée…. »  

« Je suis atterrée à l’idée de penser que les journaux internationaux parlent à notre place car nous aurions perdu la voix dans le silence politique.

« Mon souhait pour l'année qui vient est que personne ne parle à notre place. Ni les politiques ni les stations d’émission (emisoras). Nous, nous devons nous approprier les moyens technologiques qui se profilent avec ces nouveaux changements et dire, via l'internet, nos vérités à la première personne. Nous devons démanteler le silence. Chaque Cubain a une excellente histoire à raconter. 

             « Sans cesser  d’être ce que nous sommes »  

« Ici est l’ennemi… nous allons converser, marcher avec eux, signer la paix, reconstruire nos vies et changer en bien tout ce qui doit être changé, sans cesser d'être ce que nous sommes... ici est enfin l'ennemi... bonjour, bienvenus et ... adieu aux armes ». Traduit par Jeanne Heuré et MP).

L‘original sur telerama.fr

http:/www.telerama.fr/livre/wendy-guerra-auteure-cubaine-petit-a-petit-l-ennemi-americain-va-cesser-de-l-etre,120774.php

En France, les livres de Wendy Guerra sont publiés chez Stock : « Tout le monde s’en va », son premier roman (2008, Todos se van, 2006), « Mère Cuba » (2009, Nunca fui primera dama, 2008) et « Poser nue à La Havane, Anaïs Nin à Cuba »  (2010, Posar desnuda en La Habana » 2010)

Tous les titres sont traduits par Marianne Million. En Espagne, elle est éditée chez Bruguera, Barcelone.  

Lire avec intérêt (encyclopédie cubaine en ligne de référence)

http://www.ecured.cu/index.php/Wendy_Guerra    (mp)