Évènement cinématographique : L’excellent "Conducta" d’Ernesto Darana

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par Victoria Alcalá

Pratiquement tout le monde est d’accord que la principale nouvelle dans le monde du cinéma de La Havane en ce moment est la première du film Conducta (Comportement), et si vous n’êtes pas convaincu, les longues files devant les cinémas dissipent tous les doutes. Un « sondage » rapide au cinéma Yara du Vedado montre que les gens qui attendent patiemment sous le soleil dans les longues files pour voir ce film dont tout le monde parle sont attirés par le sujet du film

Le film a obtenu le premier prix au Festival de La Havane

http://culturebox.francetvinfo.fr/cinema/evenements/le-film-cubain-conducta-remporte-le-premier-prix-au-festival-de-la-havane-207657

Incisif, sensible, profondément humain...

Le synopsis du film pourrait faire penser à l’une des nombreuses histoires, romans, pièces et même poèmes destinés à faire oublier les déficiences de la presse. Mais à partir des premières minutes du film, il devient clair que Conducta est quelque chose de différent. Le film est incisif, sensible, profondément humain dans son regard à propos de la vie rude et difficile d’individus qui qui sont frappés par la pauvreté et marginalisés.

L’histoire de Chala, l’enfant qui supporte sa mère alcoolique et droguée en élevant des pigeons et entraînant des chiens de combat, qui est aimé et compris par sa vieille enseignante mais envoyé dans une école pour enfants avec des troubles de comportement quand son professeur tombe malade et est temporairement remplacée par une jeune institutrice inexpérimentée et souvent effrayée, transcende le compte rendu anecdotique pour donner aux spectateurs un faisceau de vérités que plusieurs préfèrent ne pas voir : l’intolérance et l’adhésion inconditionnelle à des formalités et des lois bureaucratiques qui peuvent détruire les vies plutôt que les renforcer ; la futilité de l’éducation en vase clos ; le crime de refuser d’améliorer les mauvais comportements sous le prétexte qu’il n’est pas possible de l’éradiquer complètement.

Quelle formule utilise donc Conducta pour donner autant sans tomber dans la sentimentalité ou le didactisme ?

Le scénario, aussi par Daranas, est cohérent ; les dialogues sont à point et consistants, dépourvus du verbalisme qui a tant caractérisé les autres films de cette nature. Les personnages sont solides et convaincants, construits avec précision et sans aucun manichéisme. La photographie d’Alejandro Pérez confère de la chaleur et de la poésie à ce milieu particulièrement ravagé et pauvre de la ville.

Et par-dessus tout, les performances magnifiques  précises, parfaites  des acteurs.

Alina Rodríguez personnifie une enseignante ferme mais sensible qui a été frappée durement par l’émigration de sa fille et de son petit-fils, par sa maladie et par le manque de compréhension des autres.

Elle refuse d’abandonner à leur sort des étudiants qui trouvent en elle refuge et sympathie. La modération et la structure teintent le personnage qui est révélé à travers son regard, le ton de sa voix, ses gestes, ses silences, sa façon de marcher.

La jeune actrice Miriel Cejas en tant que professeur substitut qui devient graduellement emportée par la chance de ses étudiants transmet l’évolution de son personnage avec une sobriété d’expression. Silvia Águila est convaincante dans son rôle de travailleuse sociale qui met en pratique les stricts règlements et ordonnances mais qui doute que cela la rendra plus humaine.

Yuliet Cruz confirme qu’elle est une actrice de bout en bout dans son rôle de la mère de Chala, violente, chaotique, droguée, qui malgré tout montre quelque trace d’amour pour son fils. Armando Miguel Gómez tient le rôle d’un homme que Chala pourrait devenir dans le futur : un homme dur, parfois cruel et violent, qui occasionnellement, démontre un soupçon de bonté. Hector Noas magnifie son bref rôle d’immigrant des provinces de l’est à la recherche d’une meilleure chance de survie, et il pourrait constituer le sujet d’un autre film.

Cependant, en dépit des excellentes performances de ces acteurs expérimentés venus du film, de la télévision et du théâtre, les enfants sont ceux qui volent le spectacle. Ils « vivent » leurs rôles avec un naturel époustouflant, spécialement Armando Valdés, qui a manqué sa chance au premier casting et été choisi à la dernière minute.

Il donne à son inoubliable Chala la rudesse et la tendresse, la maturité précoce et l’attitude garçonne demandée par son personnage.

L’habile direction d’acteurs d’expérience et d’enfants n’ayant aucune expérience d’acteur préalable, confirme Ernesto Daranas comme l’un des grands réalisateurs du cinéma cubain d’aujourd’hui.

Ernesto Daranas, est l’un des meilleurs réalisateurs cubains connus, dont le film de 2009, Los dioses rotos (Les dieux cassés) a obtenu un accueil critique enthousiaste et de nombreux prix. Les autres films qu’il a dirigé comprennent ¿La vida en rosa ? (2004), Los últimos gaiteros de La Habana (2004) et plus récemment Conduct (2014). Il est aussi un important critique à la télévision et à la radio cubaines.

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