Comment Barack Obama peut mettre fin aux sanctions économiques contre Cuba

Partager cet article facebook linkedin email

C i-ap-près la version française du dernier article de Salim Lamrani paru chez Opera Mundi.

Barack Obama dispose de la marge de manœuvre suffisante ...

Depuis 1996 et l’adoption de la loi Helms-Burton, le Congrès des Etats-Unis est le seul à pouvoir lever l’état de siège contre La Havane. Mais le Président Obama peut l’y contraindre…

Depuis l’adoption de la loi Helms-Burton en 1996 – une aberration juridique en raison de son caractère extraterritorial et rétroactif –, le Président des Etats-Unis ne dispose plus de la faculté exécutive de mettre un terme à l’état de siège économique anachronique, cruel et contre-productif – selon les aveux de Barack Obama lui-même. En effet, désormais, seul le Congrès peut mettre fin à une politique hostile qui est condamnée par l’immense majorité de la communauté internationale, l’opinion publique étasunienne, la communauté cubaine de Floride et surtout le monde des affaires des Etats-Unis.

La Chambre de commerce des Etats-Unis, qui représente le monde des affaires et près de 3 millions d’entreprises, a exhorté les responsables politiques, aussi bien le gouvernement que le Congrès, à adopter une nouvelle politique vis-à-vis de La Havane. Selon son président Thomas Donohue, « il est temps d’éliminer les barrières politiques établies de longue date et de gommer nos différences. C’est dans l’intérêt du peuple américain et des entreprises américaines[1] ».

Dans son allocution historique du 17 décembre 2014 annonçant le rétablissement des relations avec Cuba après plus d’un demi-siècle de rupture, le Président étasunien a lancé un appel au Congrès afin qu’il opte pour une nouvelle approche vis-à-vis de La Havane. « J’encourage le Congrès à ouvrir un débat sérieux et honnête au sujet de la levée de l’embargo », a déclaré Obama[2].

La solution ? Autoriser le tourisme ordinaire à Cuba

En réalité, le Président Obama dispose d’un moyen très simple d’accélérer la fin de l’état de siège économique qui affecte toutes les catégories et tous les secteurs de la société cubaine et qui constitue le principal obstacle au développement de l’île. Il lui suffit de permettre aux citoyens étasuniens de se rendre à Cuba en tant que touristes ordinaires. En effet, aujourd’hui, les citoyens des Etats-Unis peuvent se rendre dans n’importe quel autre pays du monde, y compris la Chine, le Vietnam ou la Corée du Nord, mais leur gouvernement ne les autorise toujours pas à découvrir l’île de la Caraïbe.

En brisant cette barrière qui sépare les deux peuples, Barack Obama permettrait, selon les estimations, à plus d’un million de touristes étasuniens de se rendre à Cuba dès la première année. Ce chiffre dépasserait les cinq millions de personnes par an au bout de cinq années, car Cuba est une destination naturelle pour des raisons historiques et géographiques évidentes. Ainsi, un immense marché s’ouvrirait pour les compagnies aériennes étasuniennes, l’industrie des transports et les agences de voyages, sans parler des autres secteurs liés au tourisme de masse. A ce jour, seuls 90 000 citoyens étasuniens – en dehors des Cubains-américains – visitent Cuba chaque année pour des raisons professionnelles, académiques, culturelles, humanitaires ou sportives, dans le cadre de licences accordées par le Département d’Etat[3].

L’afflux massif de touristes à Cuba serait à l’évidence bénéfique pour l’économie cubaine, dont les ressources dépendent en grande partie de ce secteur, mais également pour l’économie étasunienne. En effet, les producteurs agricoles étasuniens seraient également les grands gagnants d’une reprise du tourisme entre les deux nations et seraient sollicités pour nourrir les millions de nouveaux visiteurs, puisque Cuba importe la majeure partie de ses matières premières alimentaires.

Avec l’autorisation du tourisme ordinaire vers Cuba, le monde des affaires ne manquerait pas de faire pression sur les membres du Congrès, dont la carrière politique dépend en grande partie des financements privés qu’ils reçoivent des entreprises, afin qu’ils mettent définitivement un terme aux sanctions économiques contre Cuba. En effet, elles le privent d’un marché naturel de 11,2 millions d’habitants et potentiellement de 10 millions de touristes en provenance du monde entier. Cuba vient d’ailleurs de dépasser la barre des 3 millions de touristes pour l’année 2014.

Dans un premier temps, le Président Obama pourrait donner des directives au Département du Trésor de ne plus poursuivre les citoyens étasuniens qui se rendent à Cuba en dehors du cadre défini par l’administration. En effet, les sanctions financières imposées aux contrevenants qui se risquent à un voyage sans autorisation, à travers le Canada ou le Mexique, sont assez dissuasives[4]. Cela aurait pour effet de flexibiliser les voyages touristiques à Cuba et – surtout – de réparer une anomalie juridique dans la mesure où cette interdiction viole la Constitution des Etats-Unis qui protège le droit de se déplacer librement.

Ainsi, Barack Obama dispose de la marge de manœuvre suffisante pour amener le Congrès des Etats-Unis à mettre un terme à des sanctions économiques qui suscitent l’opprobre de la communauté internationale et qui ont isolé les Etats-Unis en Amérique latine. Le peuple cubain mais également le peuple étasunien seraient les principaux bénéficiaires d’un rétablissement des relations économiques, commerciales et financières normales entre les deux nations.

Salim Lamrani

[1] RTL, « La Chambre de commerce américaine souhaite une nouvelle relation USA-Cuba », 30 mai 2014 ; AFP, « La relation USA-Cuba doit changer maintenant, selon le président de la Chambre de commerce américaine », 30 mai 2014.

[2] The White House, « Barack Obama’s Speech : Charting a New Course of Era », 17 décembre 2014. http://www.whitehouse.gov/issues/foreign-policy/cuba (site consulté le 17 décembre 2014)

[3] Matt Beardmoredec, “How Travel to Cuba May Change”, The New York Times, 18 décembre 2014. http://www.nytimes.com/2014/12/19/travel/how-travel-to-cuba-may-change.html?_r=0

[4] Salim Lamrani, Etat de siège : les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Editions Estrella, 2011.

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba. Les médias face au défi de l’impartialité, Paris, Editions Estrella, 2013 et comporte une préface d’Eduardo Galeano.

http://www.amazon.fr/Cuba-m%C3%A9dias-face-d%C3%A9fi-limpartialit%C3%A9/dp/2953128433/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1376731937&sr=1-1

Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr

Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel