Rupture dans la stratégie anticastriste de Washington (Salim Lamrani)

Source : le Monde diplomatique, janvier 2015

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Dans son édition de janvier 2015, Le Monde diplomatique consacre deux textes à l’annonce de la normalisation des relations entre les Etats Unis et Cuba : Serge Halimi, directeur de la publication et de la rédaction intitule son éditorial « Leçons d’un embargo ». Sous le titre « Rupture dans la stratégie anticastriste de Washington », Salim Lamrani publie quelque 2000 mots sur « A Cuba, vers la fin du plus long embargo de l’histoire ».

Le texte « Dégel sous les tropiques entre Washington et La Havane » de Patrick Howlett-Martin, (novembre 2014) est actuellement disponible.
http://www.monde-diplomatique.fr/2014/11/HOWLETT_MARTIN/50943

Il n’est pas inutile de rappeler que Le Monde diplomatique compte (2013) 47 éditions internationales en 28 langues : 39 imprimées et 8 électroniques (parmi lesquelles on ne compte pas celles qui dépendent des éditions imprimées). Ces éditions, avec des rédactions autonomes, ne sont pas des traductions de l’édition-mère de Paris (1). Pour ne mentionner que les éditions en Amérique latine, Le Monde diplomatique est présent en Argentine, Bolivie, Chili, Colombie et Venezuela. ,
(1)- Entre autres exemples, en juillet 2014, on pouvait lire d’Ignacio Ramonet dans l’édition espagnole (Espagne) : « Estados Unidos- Cuba, Algo se esta moviendo » (Quelque chose est en train de bouger)
http://www.monde-diplomatique.es/?url=editorial%2F0000856412872168186811102294251000%2Feditorial%2F%3Farticulo%3Da0d40e4e-d019-4974-ad6f-67a83e1930e3

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Leçons d’un embargo

Par SERGE HALIMI (Le Monde diplomatique, janvier 2015) / posté par M P    

Sa défaite électorale de novembre dernier semble avoir revigoré le président des Etats-Unis.

Elu triomphalement à la Maison Blanche en 2008 et disposant pendant ses deux premières années de mandat d’une confortable majorité parlementaire, il n’a tiré de tout cela qu’une modeste réforme du système de santé et une litanie d’homélies prêchant le compromis à des parlementaires républicains déterminés à le détruire (1).

Depuis que son parti a été écrasé lors des élections de mi-mandat, que sa carrière politique s’achève, M. Barack Obama multiplie en revanche les choix audacieux. Annoncée juste après un important accord climatique avec la Chine et l’amnistie de cinq millions d’immigrés clandestins, sa décision de rétablir les relations diplomatiques avec La Havane en témoigne. La démocratie américaine exigerait-elle qu’un président n’ait plus ni sénateur forcené à satisfaire ni lobby fortuné à ménager pour qu’il puisse prendre une décision raisonnable ?

La levée de l’embargo imposé à Cuba en 1962 par John F. Kennedy corrigerait une violation du droit international que presque tous les Etats de la planète condamnaient chaque année. Sans doute avaient-ils perçu que, au-delà des prétextes vertueux avancés par les Etats-Unis (droits de l’homme, liberté de conscience), dont chacun sait combien ils sont respectés chez l’allié saoudien ou à Guantánamo, il s’agissait pour Washington de marquer rageusement son dépit.

                   

                     De Angel Delgado. Illustre  le texte de Salim Lamrani

Car, à quelques encablures de la Floride, un petit pays avait osé tenir tête, longtemps et presque seul, à l’empire américain. Cette bataille de la dignité, de la souveraineté, c’est en définitive David qui l’a remportée.

Mais dans quel état... Si l’embargo de Washington n’a pas atteint son objectif de « changement de régime » à La Havane, le modèle cubain qu’il cherchait à contenir a été anéanti. « Il ne marche même plus pour nous », a d’ailleurs concédé M. Fidel Castro en 2010, en guise d’aval aux réformes « libérales » impulsées par son frère Raúl.

Après la dislocation du bloc soviétique, dont l’île dépendait pour presque tout, le pouvoir d’achat des Cubains s’est en effet effondré. La plupart d’entre eux ne survivent dans une économie déglinguée que grâce à une frugalité de chaque instant et à un sens aigu de la débrouille (2).

 A Cuba, libéraliser reviendra d’ailleurs surtout à laisser des salariés presque tous fonctionnaires devenir propriétaires des petits commerces qui les emploient.

En justifiant sa décision historique, aussitôt saluée par les grandes entreprises de son pays soucieuses de développer leurs affaires dans l’île (American Airlines, Hilton, PepsiCo, etc.), le président Obama a observé que « chercher à provoquer l’effondrement de Cuba ne servirait ni les intérêts américains ni le peuple cubain. Même si cela marchait — et cela a échoué pendant cinquante ans —, nous savons que les pays sont plus susceptibles de se transformer de façon durable quand leurs peuples ne sont pas condamnés au chaos. » Il ne reste plus à Washington, Berlin, Londres et Paris qu’à appliquer cette leçon à la Russie. Sans attendre cinquante ans ?

 (1) Lire « Peut-on réformer les Etats-Unis ? », Le Monde diplomatique, janvier 2010.

(2) Lire Renaud Lambert, « Ainsi vivent les Cubains », Le Monde diplomatique, avril 2011.

Serge Halimi

Voir aussi

Rupture dans la stratégie anticastriste de Washington/ A Cuba, vers la fin du plus long embargo de l’histoire : Le 17 décembre 2014, La Havane et Washington annonçaient le rétablissement de leurs relations diplomatiques. « Cela ne veut pas dire que le problème principal est résolu », a observé le président cubain Raúl Castro lors de son allocution télévisée. Demeure en effet la question de l’embargo, que seul le Congrès américain peut lever. Depuis bientôt cinquante-trois ans, celui-ci étrangle l’économie de l’île.

L’aperçu :

Les premières mesures de rétorsion économique — la réduction des importations de sucre en provenance de l’île — ont été imposées à Cuba en 1960 par l’administration républicaine de Dwight D. Eisenhower, officiellement en raison du processus de nationalisations entrepris par le gouvernement révolutionnaire de Fidel Castro. En février 1962, John F. Kennedy étend les mesures et décrète un embargo.

L’impact est dramatique. Les Etats-Unis ont toujours constitué le marché naturel de Cuba. En 1959, 73 % des exportations de l’île étaient destinées au voisin du Nord ; 70 % des importations en provenaient. En quelques semaines, ces échanges s’assèchent totalement…

La rhétorique justifiant cet état de siège économique a évolué au fil des années. En 1960, Washington mettait en avant l’expropriation d’entreprises américaines. A partir de 1961, la Maison Blanche justifie sa position par le rapprochement de l’île avec Moscou. Plus tard, ce seront le soutien aux guérillas latino-américaines en lutte contre les dictatures militaires ou encore les interventions cubaines en Afrique qui fourniront aux Etats-Unis la justification de l’embargo.

« Semer le désordre »

En 1991, le bloc soviétique s’est effondré. Au lieu de normaliser les relations avec Cuba, les Etats-Unis choisissent d’accroître les sanctions : il s’agit, désormais, d’exercer une pression susceptible de précipiter le rétablissement de la démocratie et de favoriser le respect des droits de l’homme.

Débute alors la plus grave crise économique de l’histoire de Cuba, due à la disparition de l’URSS, son principal partenaire commercial : entre 1991 et 1994, le produit intérieur brut (PIB) de l’île plonge de 35 %. Trois ans après l’arrivée de M. George H. Bush au pouvoir, en 1992, le Congrès américain adopte la loi Torricelli, qui intensifie les sanctions contre la population cubaine au prétexte de promouvoir les droits humains. L’objectif, selon le représentant Robert Torricelli ? « Semer le désordre dans l’île » (The Baltimore Sun, 30 août 1994). La loi (...)