La parole à l’antenne

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« Ce n’ est pas l’histoire de la radio à Santiago de Cuba, c’est plutôt un aperçu, un panorama accéléré ».

L’écrivain colombien Gabriel García Márquez raconte que sa grand-mère n’osait pas se déshabiller devant la radio ... au cas où quelqu’un la regarderait. Rappelez-vous de la taille énorme des radiorécepteurs au début.

Comme nous le savons, au fil du temps la radio a été miniaturisée et s’est répandue de la localité au monde. Lors de l’avènement de la télévision, beaucoup de gens ont l’ont considérée la petite sœur voire une demi-sœur. Par conséquent, ils ont annoncé sa mort. La même chose est arrivé plus récemment avec l’avènement de l’Internet ; mais la radio est toujours là, fidèle, omniprésente, capable d’arriver là où rien ni personne ne peut arriver.

À ce stade, qui peut dire combien d’heures ont diffusé les stations de radio de la province orientale de Santiago de Cuba ? Des plus petites et expérimentales des années 20 ou 30, à celles qui ont accompagné les peuples de Santiago de Cuba et de l’est du pays pendant plusieurs décennies.

La radio, cependant, a subi une choquante négligence de la mémoire. Celui qui fait face à son analyse, systématisation et étude, trouve plus de souvenirs que d’exemples, plus de noms et d’anecdotes que de scénarios et d’enregistrements, des dates suspendues à l’air.

C’est un handicap, souvent insurmontable. Inévitablement, le chercheur doit se rendre au témoignage, avec toutes ses vertus et ses risques. Il doit broder le vide, chercher des tendances, risquer d’arriver à des conclusions et tirer de tout cet enchevêtrement d’évocations, les passages les plus vives, les personnalités essentielles, les événements les plus notables. Sélectionner n’est pas amalgamer : c’est filtrer. Tout cela, aux risques et périls des arguments qu’il a pu fouiller et de l’inexcusable critère d’auteur qui suppose tout livre.

De cette façon est écrit le livre La palabra en el aire. Memorias de la radio santiaguera (La parole à l’antenne. Mémoires de la radio à Santiago de Cuba) de l’auteur Eric Caraballoso Díaz. Le volume fait partie du projet La culture artistique et littéraire à Santiago de Cuba.

Un demi-millénaire, une idée de la Fondation Caguayo pour les Arts Monumentaux et Appliqués, qu’elle conforme avec la maison d’édition Editorial Oriente, qui se tient à sa place la contribution multiple de la création à Santiago à la sève de la culture et de l’identité nationale.

La palabra en el aire. Memorias de la radio santiaguera nous ramène des pionniers comme Artuor C. de Ribas et la station CMKA en diffusant du sous-sol de sa maison, la CMKD et Palacio de la Torre, Felix B. Caignet et son mythique personnage de Chan Li Po, l’actrice Lupe Suárez, la mémoire insurmontable de Cliserio Romero et l’enseignement de la CMKR quasi oubliée.

De même, il pénètre plus avant dans l’époque commerciale et dans le va-et-vient du Réseau oriental de la Radio. Il va sur la piste de la singulière Radio Valpín et de la CMKC, le passage de Luis Carbonell, ou les stratégies pour soutenir la Révolution, avec des figures comme Gloria Cuadras et Noel Pérez.

Dans les 264 pages de ce livre, Eric Caraballoso Díaz, parcourt les mots et le visage de certains piliers de la radio à Santiago de Cuba. C’est émouvant de les voir. Certains déjà disparus, d’autres poussant le sommeil.

Là y apparaissent Ruperto Pérez López et Ernesto Medialdea ; Nilda G. de Alemán -formatrice de tant de personnes passionnées liées à la radio- ; le visage nubile d’Ileana Navarro et Ado Sanz Milá ; José Julián Padilla, qui a maintenu une traînée de programmes musicaux ; et, bien sûr, le maître de la chronique, Rolando González. Comme la journaliste Nereyda Barceló a exprimé une fois, Santiago n’a jamais été la même sans lui. Aussi, Antonio Lloga, le magicien de la dramaturgie ; Soler Puig, l’écrivain qui n’a jamais minimisé la radio ; l’incombustible Raúl Ibarra et Emilio Tamayo, auteur d’une émission policière de longue date : Objetivo X. La conversation avec Maricela Carbonell et Jorge Luis Colomé est un bijou.

L’auteur se penche sur les chemins parallèles de Radio Mambí et Radio Siboney, comme un pari sur la passion. Je regarde Consuelo Almaguer et rappelle son charme profond, capable de mettre les auditeurs dans sa poche ; ou Iván Clavería, qui entre dans l’histoire en ce moment, avec générosité et passion, tous les jours. Comme un sortilège, Eric finit son livre avec des interviews aux Prix National de la Radio : Julián Ercilio Navarro Coello -qui baptisait tout le monde avec sa voix grave et unique-, José Armando Guzmán Cabrales, la voix de l’émission Domingo a las once ; l’immanquable Noel Pérez Batista ; l’actrice Rebecca Hung –plus grande plus modeste- et des mots pour Juan Antonio Balbuena Céspedes, l’opérateur les plus aimable que je ai rencontré. Comprenez, c’est un coup d’œil très rapide.

Nous devrons accorder à Eric Caraballoso un sens spécial pour communiquer en quelques lignes, sa capacité à composer la mosaïque et à filer la dispersion, son discernement pour apprécier les contributions des uns et des autres. Tout cela lui a permis d’inclure des détails qui auraient échappé à d’autres, des figures comme le extraordinaire Gerardo Gómez Mederos, Yayo, ou la radio provenant du Cauto, ou de la colline.

Un livre est une œuvre collective. Et au sein de ses protagonistes, on remarque la belle facture qui naît de mains expertes : celles de Martha Mosquera, Prix National Dessin, qui a laissé sa marque dans l’ensemble de la collection ; et sa cohérence, dont l’éditeur Orestes Solís est aussi responsable. La palabra en el aire. Memorias de la radio santiaguera est un livre essentiel, sans aucun doute, bien que le riche univers de la radio à Santiago de Cuba se présente infini.

C’est un défi et une invitation au reste du pays. Pourvu que d’autres personnes osent ranger leurs propres souvenirs. En tout cas, l’auteur l’écrit explicitement de sa première ligne : « Ce n’ est pas l’histoire de la radio à Santiago de Cuba, c’est plutôt un aperçu, un panorama accéléré ». Un panorama, certes, pour célébrer. Regardez bien ces pages : la radio est imbattable.