Retourner à Cuba ou mourir

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Julie Schwietert Collazo
(Article publié dans The Guardian, Traduction en espagnol par La Pupila Insomne)

Julian Wilson Esnart a besoin de médicaments coûteux chaque jour pour rester en vie mais il n’a pas d’assurance maladie (Medicaid*). Il met maintenant tous ses espoirs dans le crowdfunding (NdT : système de collecte de dons privés et solidaires) pour pouvoir prendre un vol pour retourner à Cuba.

Deux mondes différents !

« Nous lui conseillons de retourner à Cuba s’il ne veut pas mourir ». Ce fut le message donné à Julian Wilson Esnart, un réfugié cubain qui vit aux Etats-Unis, par une employée du Congrès à qui était parvenue la demande d’aide. Une maladie dégénérative et l’absence d’une couverture sociale allaient mettre fin à son rêve américain moins d’un an après son arrivée dans le pays.

J’ai connu Esnart lors du week-end dernier par l’intermédiaire d’une relation familiale, je l’ai interviewé sur son expérience. Il me dit qu’il n’avait rien caché concernant ses problèmes de santé lorsqu’il a décidé de quitter Cuba en juillet 2014. Il avait mentionné à son interlocuteur à la Section des Intérêts des Etats-Unis à La Havane qu’on lui avait diagnostiqué une cirrhose en 2007 et qu’il avait fait l’objet d’une transplantation du foie. Il s’est assuré de ne rien cacher de sa situation.

Il a demandé comment fonctionnait le système de santé des Etats-Unis, disant qu’à Cuba il faisait des examens trimestriels et recevait des médicaments gratuitement. « Le fonctionnaire m’adressa un doux sourire et me dit que les soins seraient chers. Je lui ai demandé si je pouvais emmener mes médicaments. Il me répondit qu’il devait en parler au Consul. Il sortit de la pièce et lorsqu’il revint, il prit mes empreintes et me félicita : Vous allez aux Etats-Unis », me raconta Esnart. Mais il ne reçut aucune réponse à sa demande de ce jour-là.

Lorsqu’il arriva à Miami l’été dernier, les choses débutèrent mal. Le jour où il atterrit, son épouse lui annonça qu’elle voulait mettre fin à leur relation. Au cours de cette première nuit aux Etats-Unis, il appela une amie de sa sœur en lui demandant une faveur : Pouvait-il passer la nuit chez elle ?

Il fallut peu de temps pour qu’il utilise tous les médicaments amenés de Cuba . Medicaid a couvert ses nouvelles ordonnances en Floride mais il se heurta très vite à un autre obstacle. Après avoir bénéficié de la bonté de ses connaissances qui l’ont laissé dormir dans leurs lits et leurs canapés, Esnart a du déménager à Port-Arthur, Texas, le seul autre Etat où il avait des connaissances susceptibles de l’accueillir. C’était en novembre dernier.

Quand il est allé renouveler ses médicaments dans une pharmacie locale, il apprit qu’ils n’étaient pas pris en charge par l’assurance maladie à Port-Arthur. « Le pharmacien me dit que le système de chaque Etat est indépendant. Ma couverture de Floride ne fonctionnerait pas au Texas ». Esnart a présenté une demande auprès de Medicaid dans son nouvel Etat qui lui l’a refusée.

Esnart comptait les jours sans médicament. Un, deux, trois jours jusqu’à atteindre 43 jours. Sa sœur à Cuba réussit à trouver quelqu’un pour lui envoyer une de ses quatre pilules depuis chez elle mais ce fut une solution temporaire. « Je savais que c’était une question de temps avant que mon corps ne se paralyse », m’expliqua t’il.
Comment dans un pays avec autant de ressources peut-on demander 5000 dollars par mois ou plus pour des médicaments quand la pauvre Cuba les dispense gratuitement ?

Esnart ne se donna pas pour vaincu facilement. Il a écrit en demandant de l’aide à la Croix-Rouge, au Département de santé local, au Président Obama, à la Première dame, au vice-Président Biden, à un présentateur de télévision et à trois représentants au Congrès. Dianna Kile, assistante du congressiste Randy Weber, fut la seule qui répondit. Elle lui conseilla de retourner à Cuba.

Esnart sentait que son corps se dégradait progressivement. Il savait qu’il lui faudrait renoncer à ses rêves s’il voulait vivre.

Esnart n’a pas l’argent pour payer le billet d’avion. Il a donc eu recours à une solution américaine : le « crowdfunding ». A l’aide de son téléphone mobile, il a créé un profil sur « Crowdrise », inséra une photo de lui-même surexposée, fixa son objectif de collecte à 1 500 dollars et expliqua sa situation : « J’ai besoin d’argent pour acheter un billet de retour à Cuba… Je n’ai pas d’argent pour payer mon médicament, je vais plus mal de jour en jour, je ne parle pas l’anglais, j’ai utilisé le traducteur de mon téléphone mobile, j’ai besoin d’aide ».

Il fait partie de ces millions de personnes qui, aux Etats-Unis, n’ont pas de couverture sociale et dont la vie comporte le risque de se ruiner en soins médicaux inaccessibles.
A la différence de beaucoup d’autres migrants, Esnart a un pays où retourner et où les soins médicaux sont gratuits. Il lui suffit juste de réunir assez d’argent pour rentrer chez lui avant qu’il ne soit trop tard.

*Medicaid : Il s’agit d’un programme créé aux Etats-Unis en 1965 et qui a pour but de fournir une assurance maladie aux individus et aux familles à faible revenu. Il est conjointement subventionné par le Gouvernement fédéral et les Etats. Les politiques de Medicaid en matière d’éligibilité, de services et de paiements sont complexes et diffèrent considérablement d’un Etat à l’autre.