Voyages, transports, ambassades : le rapprochement Cuba - Etats-Unis s’accélère

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Sur le logo : La Section des intérêts américains, sur le Malecon, lieu de la confrontation visuelle entre Cuba et les Etats-Unis.

Un article de Stéphane Bussard pour le journal suisse LE TEMPS

Et les dernières conversations qui viennent d’avoir lieu aux Etats Unis ont été déclarées comme positives par la chef de la délégation cubaine...

La roue de l’histoire tourne ...

Le 29 mai, Cuba devrait être rayée de la liste des Etats soutenant le terrorisme par Washington. Un pas décisif dans la normalisation entre les anciens ennemis

Un symbole. Autrefois interdit, le passage devant la Section des intérêts américains, à deux pas du Malecon à La Havane, a été rouvert quelques jours après l’annonce des présidents cubain et américain Raul Castro et Barack Obama, le 17 décembre 2014, de vouloir normaliser les relations entre les deux pays. L’endroit était le lieu symbolique d’une confrontation visuelle, quasi-physique, entre les deux pays.

Cette animosité appartient au passé. A Cuba, on parle du D17, du jour où fut prononcée l’allocution des deux présidents, comme s’il s’agissait d’une rupture d’avec un passé aux relents de Guerre froide. Dans l’euphorie, certains ont pensé que tout allait changer en quelques jours. Cinq mois plus tard, l’enthousiasme est là, mais il est plus contenu. Quand l’avion en provenance de New York atterrit à La Havane, les exilés cubains s’écrient : « Cuba ! » A la douane, les agents du régime castriste apparaissent moins figés qu’il y a dix ans. Barack Obama lui-même a une cote de popularité sur l’île caribéenne qu’il rêverait d’avoir chez lui à Washington. Raul Castro a d’ailleurs décrit son homologue américain comme un « homme honnête ».

Directeur des études sociales et caribéennes à l’Université du South Mississippi, Tim Rehner n’en revient pas lui-même. Cela fait des décennies qu’il espérait venir à Cuba. Dans son hôtel de Vedado, il se dit comblé : « Je suis ici avec seize étudiants. Nous sommes en observation, une manière de sortir de notre ethnocentrisme américain. L’intérêt académique aux Etats-Unis est grand. Une vingtaine d’universités espèrent pouvoir envoyer des jeunes étudier à Cuba. » Tim Rehner a une préoccupation toutefois : que les multinationales américaines ramènent Cuba dans les années 1950 en ne respectant pas sa souveraineté. Gérant du café Rueda à Vedado, Juan Carlos Ortega Alonso nuance : « Les investissements américains seront bien accueillis ici pour autant que les Etats-Unis n’imposent pas leurs ­règles. »

Sur le plan politique, les choses s’accélèrent. Le 29 mai, Cuba va être retirée, sauf coup de théâtre, de la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme, le Congrès ne semblant pas s’y opposer. Raul Castro lui-même s’est aventuré à déclarer que les deux pays étaient prêts à échanger leurs ambassadeurs dès le 29 mai. Un tournant depuis la rupture des relations diplomatiques en 1961.

L’administration américaine a encore un obstacle à lever. Elle espère obtenir que ses diplomates puissent se mouvoir librement à Cuba. Pour l’heure, ils n’ont pas cette liberté. Ce jeudi, un troisième round de négociations entre Américains et Cubains à Washington devrait ouvrir le chemin vers une réouverture historique des ambassades.

Le processus de normalisation se poursuit à un rythme d’autant plus soutenu que Raul Castro devrait quitter le pouvoir en 2018 et que Barack Obama entend inscrire dans son bilan l’ouverture vers Cuba, souvent comparée à celle opérée par Richard Nixon avec la Chine en 1972.

Si le Vatican et le Canada ont joué un rôle important pour favoriser le rapprochement améri­cano-cubain, la Suisse, qui représente les intérêts américains à Cuba depuis le 6 janvier 1961, n’a pas pesé dans les négociations secrètes entre La Havane et Washington. Il incombera au président Barack Obama d’informer le Congrès quinze jours à l’avance de sa décision d’abroger l’accord attribuant à la Confédération le mandat de puissance protectrice. Une mission qui a parfois donné lieu à des situations loufoques. Comme les plaques minéralogiques des voitures des diplomates américains et suisses étaient les mêmes (201…), les Suisses avaient pris l’habitude de placer un petit drapeau suisse sur le pare-brise pour éviter des déprédations dont les véhicules faisaient parfois l’objet.

Aux Etats-Unis, le climat politique a en partie changé. Autrefois dispersés, les tenants d’une politique d’ouverture envers Cuba sont désormais bien organisés. Les politiques sentent le besoin de se profiler. Le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, s’est déjà rendu sur l’île et d’autres vont suivre. Des élus du Congrès de haut rang vont aller à Cuba. Les milieux d’affaires trépignent. Même sur le plan culturel, la compétition est vive. La semaine dernière, l’Orchestre symphonique du Minnesota a brûlé la politesse à d’autres pour être le premier à se produire à Cuba depuis le dégel. Il a eu droit à plusieurs standing ovations. A partir de septembre, des ferries de 300 passagers, puis dès la fin de l’année, de 1000 passagers avec voitures, vont relier la Floride à Cuba. New York vient de rétablir un vol direct pour La Havane. Miami, Tampa, Fort Lauderdale, La Nouvelle-Orléans desservent la capitale cubaine. La roue de l’Histoire tourne.