Trois Papes à Cuba

Partager cet article facebook linkedin email

Par Frei Betto *
Traduction : Janice Argaillot

*Carlos Alberto Libânio Christo, O.P., plus connu sous le nom de Frei Betto est moine dominicain brésilien, théologien de la libération, écrivain, militant politique, Prix de l’UNESCO Jose Marti 2013

Les relations du gouvernement cubain avec l’Église catholique sont excellentes

Le Vatican vient d’annoncer que le Pape François profiterait de son séjour aux États-Unis pour se rendre à Cuba. L’unique pays socialiste occidental de l’histoire partage avec le Brésil le privilège d’avoir reçu la visite des trois derniers souverains pontifes.

J’ai conseillé le gouvernement cubain durant les visites de Jean-Paul II (janvier 1998) et Benoît XVI (mars 2012), et j’ai témoigné de l’enthousiasme avec lequel ils furent accueillis par la population.

Quand Benoît XVI annonça qu’il visiterait l’Île, les évêques d’Amérique Latine se plaignirent, parce qu’il avait seulement visité le Brésil, sur le continent, et qu’il n’avait pas fait de place dans son agenda pour d’autres pays majoritairement catholiques, comme le Mexique, la Colombie et l’Argentine. Cette plainte obligea Benoît XVI à faire une escale au Mexique, où il reçut les évêques du Conseil Épiscopal Latino-américain.

A Cuba, à peine 5% des presque 12 millions d’habitants de l’Île se déclarent catholiques.

La Maison Blanche a fait pression sur Jean-Paul II de différentes façons pour qu’il ne se rende pas à Cuba. Pour le cas où il serait passé outre, il aurait dû condamner le régime révolutionnaire. Wojtyla est allé à Cuba et y est resté 5 jours, plus que le temps habituellement consacré aux autres pays, a resserré ses liens d’amitié avec Fidel et il a même loué les avancées sociales de la Révolution, telles que la santé et l’éducation.

Benoît XVI n’est resté que trois jours à Cuba, et n’a pas exprimé non plus quoi que ce soit qui contrariât les autorités du pays.

Durant la visite de Jean-Paul II, Fidel rompit le protocole et se rendit tous les soirs à la nonciature, où était hébergé le souverain pontife. Ils eurent en ces lieux de longues conversations arrosées de jus tropicaux.

Raúl, en 2012, eut la chance qu’un fort orage empêchât l’avion de Benoît XVI de décoller à l’heure prévue, ce qui rendit possible une longue conversation entre eux.

Fidel et Raúl ont été internes d’un collège de jésuites durant de nombreuses années, et voient cette période de leurs vies comme très positive. Pour comprendre leurs personnalités, il faut sans doute savoir comment les jésuites forgeaient le caractère de leurs élèves durant la première moitié du XXe siècle.

Après la visite de Jean-Paul II, le théologien italien Giulio Girardi, au cours d’un déjeuner avec Fidel, dit qu’il voyait le fait que le Pape ait présenté la Virgen de la Caridad avec une couronne d’or comme un abus. Ce à quoi Fidel réagit en répondant : « La Virgen de la Caridad n’est pas seulement la patronne des catholiques ; elle est la sainte patronne de Cuba ».

La Pape François fit le pont (de là le terme pontife) entre Cuba et les États-Unis afin de permettre leur rapprochement, comme l’ont admis Raúl et Obama dans leurs discours affirmant leur volonté de rétablir des relations de bon voisinage, le 17 décembre 2014.

En 1959, la victoire de la Révolution se heurta à une réaction hostile de l’Église Catholique, liée au franquisme espagnol. Bien qu’aucun prêtre ne fût persécuté ni aucun lieu de culte fermé, le dialogue entre État et Église dans l’Île se réduisait à l’amitié de Fidel avec les nonces pontificaux. La relation avec le Vatican ne se rompit jamais.

En 1981, sur la demande de Fidel, et avec l’assentiment des évêques cubains, j’ai initié dans le pays le travail de rapprochement entre l’Église catholique et l’État. La publication du livre « Fidel et la religion », en 1985, réduit significativement le préjugé communiste vis-à-vis de la religion, et les craintes des catholiques quant à la Révolution.

Fidel reprit le dialogue avec les évêques et le caractère athée de l’État et du Parti Communiste de Cuba fut supprimé – ils sont désormais officiellement laïques.

Les relations du gouvernement cubain avec l’Église catholique sont excellentes, au grand dam des anticastristes de Miami, qui continuent à diaboliser la Révolution.

En arrivant à La Havane, le pape François ne trouvera pas une nation catholique, et encore moins athée. Il sera chaleureusement accueilli par un peuple empreint de religion syncrétique, où se mêlent, comme à Bahia, spiritualité d’origine africaine et traditions chrétiennes. Un peuple qui, comme aucun autre sur le continent américain, répartit entre ses membres et partage avec d’autres peuples le pain de la vie.