Cuba : ils nous soutiennent plus que nous ne les soutenons.

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« Cuba modèle de résistance » tel était le thème du débat qui a eu lieu le 12 septembre à la fête de l’Humanité sur le stand de Cuba Linda. Viktor Dedaj, qui l’animait, a souligné le fait que Cuba nous soutient plus que nous ne la soutenons. Remy Herrera, économiste, a détaillé les changements économiques auxquels l’île procède et le défi qu’ils représentent. Lydia Samarbakhsh, responsable du département international du PCF, a annoncé que les deux partis ont décidé d’approfondir leurs échanges et relations.

Un article de Maïté Pinero publié sur le site LE GRAND SOIR.

Cuba, c’est un pays qui refuse de se vendre et de devenir une étoile de plus sur le drapeau étoilé des États-Unis.

Cuba nous soutient, en effet, bien plus que nous ne la soutenons. Son existence est un défi permanent à l’ordre du monde, la preuve que les valeurs que nous défendons, celles de justice sociale, d’égalité, de liberté et de solidarité, ne sont pas seulement des drapeaux mais des boucliers quand on les défend et les applique. La preuve que David peut vaincre Goliath.

L’histoire de la révolution cubaine est celle de la résistance d’un peuple de 11 millions de personnes. Contre le blocus le plus long, le plus rigoureux, le plus injuste de l’histoire ; Contre une interminable campagne de terrorisme, avec le point d’orgue de l’invasion de 1961, d’innombrables attentats ; Contre une perpétuelle campagne internationale de mensonges qui s’autorise toutes les insanités et se prive du luxe de réfléchir et de penser.

On se félicite aujourd’hui de la réouverture des ambassades et il faut sans cesse expliquer que l’embargo n’a toujours pas été levé. L’actualité passe sous silence quelle victoire Cubaine signifie ce changement de la politique des États-Unis.

Il faut revenir aux années 90. Après la disparition du camp socialiste, Cuba « pointe avancée du socialisme dans l’hémisphère occidental », comme on disait alors, semblait condamnée. Cela avait entraîné la perte de 85 % de son commerce extérieur, la chute de 35% de son PIB, la non maintenance et la fermeture de ses usines ; Pour la population, cela avait signifié le retour de la Libreta (carnet de rationnement), le casse-tête lancinant et trivial du quotidien, les apagones (coupures d’électricité), les transports paralysés. La consommation quotidienne de calories était passée en moyenne de 3 000 a 1 900 par jour, le seuil critique selon l’OMS.

Au même moment, les USA durcissaient l’embargo avec l’objectif avoué d’affamer le pays. L’île était plus isolée comme jamais. Les Sandinistes du Nicaragua avaient perdu les élections. Après l’invasion du Panama, les guérilleros du FMLN au Salvador semblaient condamnés. Et, dans toute l’Amérique latine, à longueur de thèses et de colonnes, les économistes pleuraient la décennie perdue, celles des années 80 quand les Chicago Boys imposaient le libéralisme dans tous les pays. Souvenons-nous du Chili, de l’Argentine vendue à l’encan, des émeutes de la faim partout. Partout mais pas à Cuba.

En 1992 , à l’ONU, seulement 59 pays condamnaient l’embargo (188 l’an dernier). Durant ces années là, les attentats reprenaient à la Havane pour empêcher le développement du tourisme.

L’Union Européenne avait adopté une « position commune » pour condamner La Havane au nom des Droits de l’homme. Robert Ménard, à la tête de Reporters Sans Frontières, orchestrait les campagnes de dénigrement. A Paris, Rome et Madrid, impossible d’ entrer dans une librairie sans y trouver des piles de livres d’une écrivaine qui fréquenta longtemps les maisons de l’Huma et de l’Unita à la Havane mais qui à Paris, en une occasion, appela à « coller une bombe au dictateur ». Elle avait déjà reçu les clefs de Miami, on la fit chevalier de la légion d’honneur. Le tout Paris condamnait Cuba entre deux coupes de champagne.

On nous disait à l’époque que cela allait se terminer dans un bain de sang et qu’il était bien difficile de défendre Cuba. Au delà de la position officielle, solidarité avec Cuba, ici même à la fête de l’Humanité, le sujet faisait controverse et on s’empoignait durement.

C’est durant ces années là, grâce aussi aux changement en Amérique Latine, que Cuba a desserré l’étau, impulsé et participé à l’intégration latino-américaine avec les créations de l’Alba, de l’Unasur, de la Celac (sommet des États latino-américains et des Caraïbes), isolant le projet étasunien de l’Alena qui ne compte que les USA le Canada, le Mexique.

C’est durant ces années là que Cuba a maintenu son projet social : L’éducation gratuite, la culture généralisée, la recherche pionnière et enfin cette médecine solidaire qui lui a valu les remerciements de l’ONU et a fait les titres du monde entier au moment de l’épidémie Ebola. Malgré les contradictions générées par le développement du tourisme, la double monnaie, malgré la crise résolue des Balseros, Cuba s’est développée, a inventé et attire les investisseurs.

Cuba a résisté. Au-delà du constat la question passionnante et qui nous concerne est celle-ci : Comment ont-ils fait ? Qu’y a-t-il à apprendre d’eux qui nous serait utile ? Cuba n’est pas une société parfaite, encore moins une photocopie tropicale du stalinisme. C’est un pays qui cherche, qui tâtonne, qui vit , se trompe parfois, le paye et rectifie. Par dessus tout c’est un pays qui refuse de se vendre et de devenir une étoile de plus sur le drapeau étoilé des États-Unis.

Quand on séjourne, même brièvement à Cuba, en oubliant ses idées toutes faites, quand on abandonne ses lunettes de touriste, on finit par se rendre compte qu’il y a toujours un Mambi qui chevauche tout près ou pas très loin. Chez le plus râleur et le plus critique des citoyens cubains, cette idée est ancrée : « quand on pense à ce que nous étions, quand on voit ce que nous sommes devenus... »

Cuba qui veut construire une société socialiste prospère et durable a constamment marié ce projet avec sa lutte de libération nationale. C’est son secret, sans doute celui de sa résistance et pour nous un passionnant sujet d’étude et de débat.

Depuis que Obama a donné sa permission, Cuba est devenu une plus grande destination touristique qu’auparavant. Pour en savoir plus sur sa résistance, il faut modifier sa feuille de route et passer par Haïti.

Sur le drapeau bleu-blanc-rouge hérité de notre révolution, il y a bien des infamies et l’une d’elles se nomme Haïti. La première colonie française à s’être libérée, la première République noire du monde, n’en finit pas d’expier l’exemple qu’elle avait donné au monde. La France lui a fait payer en or sa liberté et l’a saigné à blanc pendant un siècle. Toutes les campagnes que lancent nos ONG après chaque tremblement de terre ne suffiront jamais à effacer ce crime.

Allez à Port-Au-Prince, allez à Cité Soleil, Cité Carton et Cité Gélatine. Et allez ensuite à Cuba. Les Cubains sont tous descendants d’esclaves. Ils disent d’eux-mêmes « negros hechos blancos ». Des noirs mal blanchis. Haïti est à quelques encablures de leurs côtes et ils connaissent son histoire. Ils le savent : Derrière les déclarations diplomatiques, courtoises et policés, derrière l’aveu que l’embargo a échoué - qu’il faut changer de moyens pour parvenir aux mêmes fins - il y a la haine immense des maîtres de l’empire. Les Cubains savent que s’ils plient, ne serait-ce qu’un genou, devant les seigneurs du nord, ces derniers leur feront payer chaque seconde, chaque souffle de résistance et cela jusqu’à la fin des temps. Ce malheur immense qui serait aussi - infiniment le nôtre - n’arrivera pas. A Cuba, ils ne sont pas passés. A Cuba, ils ne passeront pas.

Maïté Pinero