La Havane, futur "hub" culturel ?

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Alors que les relations diplomatiques ont été renouées entre Cuba et les Etats-Unis d’Amérique, La Havane mise sur la culture et entend devenir la capitale culturelle de la Patria Grande...

Un article de Gaël Brustier pour le blog Huffingstonpost.

Devenir une capitale culturelle d’envergure internationale...

Outre une position géographique qui en fait un pays stratégique pour accéder au Canal de Panama ou au futur canal du Nicaragua entre Atlantique et Pacifique, Cuba peut miser sur un autre atout important tant au sein de la Patria Grande qu’entre les deux sous-continents. Trois visites ont récemment placé Cuba sous les feux de l’actualité : celle du Président Hollande, une première pour un Chef d’Etat français, celle de John Kerry le 14 août dernier et, enfin, fin septembre, celle du premier pape latino-américain, dont le rôle dans le rétablissement diplomatique entre Etats-Unis et Cubain n’a pas été vain, Jorge Bergoglio, le Pape François.

Chaque visite a été, pour les autorités, l’occasion de valoriser un peu plus les efforts accomplis en matière patrimoniale et culturelle. Les "transformations" de la société cubaine se mesurent certes au nombre de petits restaurants ouverts dans les zones touristiques mais probablement davantage encore à l’accent mis sur les aspects culturels, indissociables d’une volonté de maintenir ou développer un "soft power" en Amérique latine et d’un souhait de combiner la dimension culturelle et les ambitieux objectifs quantitatifs et qualitatifs en termes touristiques régulièrement définis par les autorités.

Tout au long de l’année, ce sont de nombreux artistes qui défilent à La Havane. Artistes plasticiens ou cinéastes, la capitale cubaine attire nombre d’artistes d’Amérique latine ou d’ailleurs. On la savait temple des percussionnistes du monde entier, on connaissait l’importance des Cubains dans l’art chorégraphique, on la découvre chaque jour un plus riche de pratiques culturelles diverses et de plus en plus attractive ou potentiellement attractive. Il convient de mettre en perspective ces réalités avec le processus de "transformations" de la société cubaine revendiqué au sommet de l’Etat depuis l’accession à la présidence de Raul Castro.

Une figure tutélaire émerge progressivement à La Havane, au point, parfois, d’éclipser l’icône de la Révolution -le Che- et de concurrencer José Marti. La figure d’Hemingway n’a jamais été aussi visible dans La Havane. Cartes postales, bustes, rappels de sa présence au Floridita, à l’hôtal Ambos Mundo ou à la célèbre Bodegita del Medio, un must touristique, portraits de l’auteur de "Pour qui sonne le glas" rencontrant un autre barbu, Fidel Castro, alors jeune leader d’une Révolution tout juste triomphante, "Papa" Hemingway est partout, y compris dans les dépliants Habanatour. Une nouvelle page est en train de s’écrire à Cuba...

Le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a visité la maison du grand écrivain après être allé inaugurer l’Ambassade de son pays. Une journée auparavant, les ouvriers s’affairaient en toute hâte autour de la propriété de Finca Fija, située à l’est de la capitale et depuis laquelle la vue sur la capitale est imprenable.

Entre la visite du Secrétaire d’Etat nord-américain et celle du Pape François, fin septembre, au cours de laquelle il célébra la messe Place de la Révolution entre les portraits géants de Camilo Cienfuegos et d’Ernesto Che Guevara, un autre Argentin, La Havane avait de quoi s’occuper. La Cuba rauliste travaille, veut que cela se sache et que cela se voit. Dans la Habana Vieija, la Vieille Havane, chaque pâté de maison est soit en réfection, soit programmé pour l’être.

Sur la Plaza Vieija, au cœur du joyau habanero qu’est la vieille ville coloniale, les réfections de Palais laissent la place à quelques bars rutilants, rappelant ceux que l’on retrouve dans toutes les grandes métropoles mondiales. Emblématique de ce moment bien particulier de l’histoire cubaine et de la vie de la capitale cubaine : la symbolique transformation d’un poste de police en... galerie d’art.

L’historiador de La Havane, chargé de superviser la restauration de la ville est devenu une personnalité centrale de la communication gouvernementale, fréquemment interviewé par les émissions de télévision, présent dans de nombreuses rencontres officielles, c’est lui qui veille à ce que La Havane conserve son style. Progressivement, Le Malecon, mythique front de mer mondialement connu, lui-même est méticuleusement rénové, immeuble après immeuble, en conservant les façades qui en font le charme.

Le Musée des Beaux-Arts situé sur deux sites entre l’ancien Palais Présidentiel (Musée de la Révolution) et le Parque Central, fait figure de navire amiral de l’essor culturel de la ville. Bâtiment rutilent, à l’architecture moderne et aux imposantes collections, le pavillon "arte cubano" est la vitrine de la richesse picturale de l’ile, de ses peintres les plus renommés des origines du pays à nos jours. Non loin de là et de la rue Neptuno (qui relie le Parque Central au quartier de l’Université), une imposante ancienne manufacture est dédiée à accueillir prochainement des ateliers d’artistes.

Car, loin d’être une "muséification" de la ville, le travail entrepris correspond à une stratégie d’attractivité à l’égard de la création internationale et de promotion des créateurs cubains. La capitale ne manque pas d’infrastructures, méthodiquement rénovées. La rue Linea, celle des théâtres, véritable "boulevard du crime" habanero et cadre du festival de l’humour qui se déroule en août chaque année.

Le 7ème Art est également l’un des points forts de Cuba. Les savoir faire acquis au sein de l’ICAIC (Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos) sont recherchés par l’ensemble des productions latino-américaines et les compétences des Cubains s’entremêlent avec ceux d’autres pays. En haut de la 23ème rue, non loin du cimetière Christophe Colomb, le quartier du cinéma entreprend lui aussi une rénovation. Riche de nombreux festival, dont un Festival du Film Français, la capitale cubain bénéficie aussi d’un accord entre le CNC et l’ICAIC pour la numérisation du célèbre cinéma La Rampa. La Havane apparait ainsi parfois comme la capitale du monde qui refuse le plus fermement la provincialisation de la France.

La Havane ambitionne, entre valorisation de ses musées et création d’ateliers d’artistes, entre "Fabrique de l’Art cubain" et mise en valeur de son patrimoine, ouverture de lieux de convivialité (telle une nouvelle et imposante brasserie moderne, sise dans un ancien entrepôt, baignée par la baie de La Havane) et mise en avant de ses richesse littéraires, musicales, cinématographiques ou picturales, de devenir une capitale culturelle d’envergure internationale, attractive touristiquement pour son patrimoine, ses paysages et ses plages, mais aussi pour la haute valeur ajoutée culturelle que le pays peut proposer. Cela passe par quelques ajustements. On met moins en avant le Musée des Comités de Défense de la Révolution que des lieux des années 1920 ou 1930 restaurés.

Parfois en effet, au détour d’une rue, La Havane exhale un parfum d’insouciance caribéenne des années 1930, comme au Sloppy Joe, bar restauré voici peu d’années, signe d’une ambition visant à être un pont entre les deux sous-continents et de la mise en avant d’une vie sociale d’avant la Révolution.

Dans les faits, si l’on y prête attention, peu à peu, La Havane cherche à devenir un "hub culturel", ce qui la prémunirait véritablement contre tout risque de retour à ce qu’elle fut voici très longtemps, avant 1959, à savoir une salle de jeu de l’Amérique du Nord. C’est là où l’on découvre aussi une vocation interne de cette ambition culturelle affichée : assurer, dans la période de "transformation" et de mutation de la géopolitique de la petite République socialiste, la cohésion de la société cubaine.