Pose de la première pierre da la Maison Victor Hugo dans le centre historique de la Havane

Date de l'événement :
Dimanche 13 octobre 2002 - 00h00
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Discours d’Eusébio LEAL lors de la pose de la première pierre le 13 Octobre 2002

Je suis très heureux que ce soit aujourd’hui, alors qu’il ne manque que quelques heures pour la célébration de l’anniversaire de La Havane, que nous posions la première pierre de la Maison. Cela fait des années que j’ai une idée fixe, un rêve : que, de ces ruines, renaisse notre ville. Cela fait 36 ans que nous avons commencé notre travail aux Palais des Capitaines Généraux. J’y ai passé 11 ans comme Prométhée enchaîné à son rocher, ensuite 10 autres années, de 1981 à 1991.

Pendant tout ce temps, j’étais armé de la force que la France nous a insufflée. Elle a salué nos efforts et les Ambassadeurs de France, les amis de France ont, toujours, tourné leur regard solidaire vers La Havane et Cuba.

La Maison Victor Hugo est le premier signal donné à cette rue, immédiatement, il y aura d’autres projets : le petit hôtel qui est en cours de construction à deux pas d’ici et qui est un hommage aux Français qui sont venus en Amérique du Nord. C’est l’hôtel d’Iberville en hommage à l’amiral qui est mort dans le port de La Havane en 1708, à Samuel Champlain qui a écrit à La Havane et ce sera un hommage aussi à la francophonie dans cette partie de l’Amérique.

Cela a lieu en cette année où nous commémorons le bicentenaire de la Révolution haïtienne, où nous nous souvenons de la mort de Napoléon à Sainte-Hélène et du bicentenaire de Victor Hugo qui a été le chantre de cette épopée. Il a décrit comme personne dans Les Misérables, la France de son époque et les batailles finales de l’Empire en voyant s’envoler les feuilles à sa fenêtres, cet homme qui a laissé tant de mots d’affection envers Cuba : « Cubains et Cubaines, je ne vous oublierai jamais. ». Nous non plus, nous ne l’avons pas oublié. Mon prédécesseur dont nous honorons la mémoire lui a dressé un monument à La Havane. Maintenant, notre institution dresse pour lui cette Maison qui a été un rêve de Roger Grévoul qui a amené ses collaborateurs à croire à ce projet presque impossible.

Nous avons besoin d’échafauder une idée. Comment se présentera la Maison dans un pays où des milliers de personnes parlent français, où l’hymne national est inspiré de la Marseillaise, où les couleurs du drapeau sont celles de la Révolution Française, où Mariana est aussi l’héroïne de notre peuple ?

Ce n’est pas seulement une question d’argent. Ces ruines sont, pour moi, d’ores et déjà, merveilleuses. Je m’aventure à voir la petite chapelle qui sera dédiée à Jeanne d’Arc, la pucelle d’Orléans. Je m’imagine la bibliothèque. Les architectes devront concevoir le projet en l’adaptant à la maison. Là se trouve l’escalier qu’il faut construire, ici les espaces qu’il faut respecter, ici le grand salon que nous emploierons, le petit patio dans lequel nous nous réunirons. Tout le quartier en sortira bénéficiaire.

Tous les pauvres qui souffrent de mauvaises conditions de logement en bénéficieront. C’est dans ce but que l’œuvre de restauration comprend aussi la construction d’écoles, de nouveaux logements, des centres d’accueil pour enfants handicapés, des bibliothèques publiques, engage des actions en faveur des femmes et des personnes âgées. Cela veut dire que nous ne sommes pas des artistes isolés de la réalité. La Maison Victor Hugo est une flamme qui nourrit l’espoir de ces gens qui, lorsqu’ils m’ont vu arriver, m’ont demandé si Victor Hugo les protégerait aussi

Je dis résolument « oui » et j’en appelle à la générosité de la France, à la générosité du Sénat, de l’Assemblée Nationale, de la République, de la Ville de Paris, aux régions, à tous ceux qui peuvent apporter une collaboration et appuyer les efforts de Cuba Coopération. Nous ne pouvons pas demander un pain et, en retour, lancer une pierre. Nous ne demanderons pas non plus un poisson pour nous voir donner un serpent. C’est la Bible qui le dit. Le peuple français est généreux, grand par nature, ami des causes impossibles.

Ce sont des peuples français qui sont partis vers l’Orient avec Godefroy de Bouillon et les grands capitaines. C’est la France qui a dessiné les cartes de l’Amérique, ce sont les français qui ont gagné le Grand Nord et qui y ont fondé des villes qui n’ont pas honte d’être françaises. La France a fait naître le rêve, l’utopie, l’Illustration, l’Encyclopédie mais aussi la Révolution, le feu, l’arbre de la raison pure, le sentiment de la non-raison. Les français ont repoussé l’injustice, défait l’Ancien Régime, en ont fondé un nouveau. Leurs capitaines ont parcouru l’Italie, l’Allemagne, ont sapé l’absolutisme et porté le sentiment républicain au monde. Nous ne sommes pas responsables des idées qu’ont semées en nous Rousseau ou Descartes, nous en sommes le fruit, c’est la vérité.

Je me souviens aussi que lorsque nous sommes arrivés à Paris, pour accompagner le Chef de la Révolution, nous avons vu le Président au Palais de l’Elysée. Il ne tenait que par sa force de volonté, il était pâle comme un mort et alors le Commandant en Chef l’a remercié. Il a répondu : « L’important, c’est que vous soyez ici maintenant, en France, à Paris. ». Et lorsque nous sommes allés aux Invalides, les descendants des héros de France étaient là. Un vieux monsieur qui était le petit-fils du Prince de Rivoli a dit au Commandant : « Soyez le bienvenu au panthéon de la gloire française, je vous accueille au nom des invalides et des vieux soldats qui ne respectent que ceux qui luttent et combattent. ».

Au nom de tout cela, je suis sûr, Roger, que l’an prochain, nous serons ici, à cette même date. Beaucoup de choses auront déjà été construites. Les archéologues auront travaillé, les murs se dresseront, de nombreuses choses seront restaurées. La parole donnée sera respectée dans quelques mois. Le Bureau de l’historien qui se dresse sous votre protection honorera ses engagements : ce lieu sera l’allié naturel de l’Alliance Française, un centre d’expositions, de conférences, un espace de colloque et de dialogue, un moment à la paix que la France a traditionnellement défendue.

Le monde moderne a besoin d’un nouvel équilibre, d’autres mots, d’autres voix, on ne peut pas parler à tout instant de ce qui sera détruit, nous devons parler comme la France de ce qu’il faut faire, des arbres qui, demain, nous offrirons leur ombre, des rivières qui continueront à couler, des oiseaux qui voleront, des enfants qui souriront.

Nous posons cette première pierre et nous rendons ainsi un hommage concret à Victor Hugo, le colosse de son temps, le père des rêves de son siècle. Je suis sûr qu’il est en ce moment ici, avec nous.