Washington et la crise migratoire cubaine

Partager cet article facebook linkedin email

Depuis près d’un mois, des milliers de Cubains qui souhaitent se rendre vers les Etats-Unis, dont la législation favorise l’émigration en provenance de l’île, se trouvent bloqués au Costa Rica.

Près de 6 000 Cubains, candidats à l’émigration vers les Etats-Unis, se trouvent coincés au Costa Rica, sans possibilités de poursuivre leur voyage vers le Nord. Après s’être rendus en Equateur, seul pays d’Amérique latine à ne pas exiger de visa aux Cubains, ils ont entrepris un long périple à travers le continent pour se rendre principalement à Miami. Mais leur chemin s’est arrêté au Costa Rica. En effet, les pays d’Amérique centrale, du Nicaragua au Mexique, refusent de laisser passer les migrants, cibles des réseaux criminels, et exigent une réponse politique de Washington, principal responsable de cette situation[1].

En effet, les Cubains qui entrent illégalement aux Etats-Unis sont accueillis les bras ouverts, alors que les clandestins des autres nations sont immédiatement arrêtés et expulsés vers le pays d’origine. Cette spécificité est due à la volonté historique des Etats-Unis d’utiliser la problématique migratoire comme arme pour ébranler la Révolution cubaine[2].

Dès 1959, les Etats-Unis ont exprimé leur hostilité au gouvernement de Fidel Castro. Ils ont ouvert leurs portes aux héritiers de l’ancien régime militaire de Fulgencio Batista, y compris aux forces de sécurité impliquées dans les crimes de sang. Washington a également accueilli l’élite économique du pays et a favorisé le départ du personnel hautement qualifié dans le but de déstabiliser la société.

L’impact a été rude pour Cuba. En effet, dans un secteur aussi vital que la santé, près de la moitié des médecins cubains, soit 3 000 d’entre eux, avaient répondu aux sirènes étasuniennes qui leur promettaient une vie meilleure. Cet épisode a plongé le pays dans une grave crise sanitaire. D’autres professionnels hautement qualifiés ont également été incités par les autorités étasuniennes à quitter l’île pour des opportunités économiques plus lucratives en Floride[3].

Dans sa guerre contre Cuba, Washington avait décidé d’utiliser la problématique migratoire pour déstabiliser le pays. En 1966, le Congrès a adopté la loi d’Ajustement cubain, unique au monde, qui stipule que tout Cubain qui émigre légalement ou illégalement, pacifiquement ou par la violence, le 1er janvier 1959 ou après, obtient automatiquement le statut de résident permanent au bout d’un an et un jour, diverses aides sociales (logement, travail, couverture médicale, etc.), ainsi que la possibilité d’obtenir la citoyenneté étasunienne au bout de cinq ans[4].

Il s’agit là d’un formidable outil d’incitation à l’émigration illégale. En effet, depuis près de 50 ans, le pays le plus riche de la planète ouvre ses portes à la population d’un petit pays pauvre du Tiers-monde, aux ressources limitées et victime, de surcroit, de sanctions économiques extrêmement sévères. La logique voudrait que l’ambassade des Etats-Unis à La Havane concède un visa à tout candidat à l’émigration en vertu de cette loi. Or ce n’est pas le cas. Au contraire, Washington limite sévèrement le nombre de visas accordés chaque année aux Cubains afin de stimuler l’émigration illégale et dangereuse et d’instrumentaliser les crises à des fins politiques. Ainsi, faute de visa, les Cubains qui souhaitent émigrer vers les Etats-Unis doivent risquer leur vie à bord d’embarcations de fortune, en espérant ne pas être interceptés par les garde-côtes, ou réaliser de longs périples à travers le continent, à la merci des trafiquants de personnes et des bandes criminelles de toute sorte.

Le New York Times a lancé un appel en faveur de l’abrogation de la loi d’Ajustement cubain :

« Il est temps de se débarrasser de cette politique, une relique de la Guerre froide, qui constitue un obstacle à la normalisation des relations entre Washington et La Havane. […] Ce système fait le bonheur des trafiquants de personnes en Amérique latine et a créé de graves problèmes pour les pays allant de l’Equateur au Mexique. […] L’administration Obama doit négocier un nouvel accord avec le gouvernement cubain afin que l’émigration ordonnée devienne la norme. […] Les autorités américaines sont incapables d’expliquer le traitement spécial réservé aux Cubains, lequel contraste avec la force utilisée par les Etats-Unis contre les Centraméricains, y compris les mineurs, alors que nombre d’entre eux fuient leur pays pour protéger leur vie[5] ».

Par ailleurs, depuis près de 10 ans, Washington applique également une politique destinée à piller Cuba – pays reconnu mondialement pour l’excellence de son système de santé – de ses médecins. En effet, en 2006, l’administration Bush a adopté le Programme médical cubain dont l’objectif est de favoriser l’émigration des professionnels de la santé cubains vers les Etats-Unis en leur offrant la possibilité d’y exercer leur métier. Ce programme cible plus particulièrement les 50 000 médecins cubains et autres personnels de la santé qui exercent leur métier dans les régions rurales de 60 pays du Tiers-Monde, venant en aide aux populations déshéritées. Le Président Barack Obama, au pouvoir depuis 2009, n’a pas éliminé ce dispositif, malgré ses déclarations favorables à une normalisation des relations avec Cuba.[6]

L’abrogation de la loi d’Ajustement cubain et du Programme médical cubain est indispensable afin de pouvoir construire une relation apaisée entre Cuba et les Etats-Unis. Washington ne peut espérer une entente cordiale avec La Havane en maintenant des législations hostiles qui mettent en péril la vie des citoyens cubains.

Ainsi, un an après le rapprochement historique du 17 décembre 2014 entre Cuba et les Etats-Unis, de nombreux points de discorde persistent entre les deux pays. A titre d’exemple, le Président Obama, malgré ses déclarations positives, n’a toujours pas fait usage de l’ensemble de ses prérogatives pour mettre un terme aux sanctions économiques. Celles-ci affectent les catégories les plus vulnérables de la population cubaine et constituent le principal obstacle au développement de l’île.

Salim Lamrani

Source de l’image : sputniknews.com

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba, parole à la défense !, Paris, Editions Estrella, 2015 (Préface d’André Chassaigne).

Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr

Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

[1] El Nuevo Herald, “Presidente de Costa Rica viajará a Cuba en medio de crisis por migrantes”, 19 décembre 2015.

[5] The New York Times, « A New Cuban Exodus », 21 décembre 2015.

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

Copyright © Salim Lamrani, Mondialisation.ca, 2015