Qu’y a-t-il derrière les accords sur la dette avec le Club de Paris et les autres créanciers ?

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En décembre dernier, Cuba est parvenu à un accord historique avec le Club de Paris pour restructurer la dette sur laquelle le pays avait fait défaut en 1986.

Selon le groupe de créanciers |1|, celle-ci a atteint 11 milliards de dollars en 2015, en ce compris les charges accumulées au titre d’intérêts et de pénalités après le défaut |2|. Avec l’accord, le Club de Paris a accepté d’abandonner les intérêts se montant à 8,5 milliards de dollars. Cuba s’est engagé à payer les 2,6 milliards correspondant au principal au cours des 18 prochaines années |3|. L’accord prévoit l’absence d’intérêts jusqu’en 2020 et un taux de 1,5% à partir de cette année-là jusqu’à l’apurement total de la dette |4|.

Avantages et embuches..des raisons d’être optimistes ! !

S’il est bien évident que les montants sont significatifs, il faut analyser la situation de l’économie et de la dette cubaine dans son ensemble pour comprendre la véritable portée de cet accord. Qu’y a-t-il derrière et qui en bénéficie ? Trois éléments sont à prendre en compte pour répondre à cet accord. Il s’agit du processus de repositionnement externe que traverse actuellement l’économie cubaine, le rôle joué par la politique de restructuration de la dette externe au sein de ce processus et les changements drastiques opérés dans le système monétaire et financier de l’île.

En ce qui concerne le repositionnement externe de Cuba, une analyse rapide de sa situation économique montre que les crises qui ont affecté l’île depuis l’époque coloniale ont directement à voir avec sa dépendance commerciale et excessive vis-à-vis d’un seul partenaire. Ce modèle, initié avec la couronne espagnole à partir du XVIe siècle, s’est poursuivi avec les États-Unis au XIXe puis avec l’Union Soviétique à partir de 1959 et enfin avec le Venezuela au cours de la dernière décennie. La rupture de ces relations commerciales et financières en raison de l’indépendance puis de la révolution et enfin de l’effondrement économique de l’URSS a, dans le passé, forcé Cuba à adopter un processus complexe de réorientation économique. Plus récemment, la détérioration de la situation économique du Venezuela a conduit les autorités de l’île à initier un nouveau processus de repositionnement économique visant à diminuer les traumatismes économiques associés à une fin possible des relations commerciales et financières avec ce pays. Cela passe non seulement par le rétablissement des relations avec les États-Unis mais également par une stratégie active pour la diversification de ses relations commerciales et financières.

La résolution des conflits existant au plan juridique sur la question de la dette cubaine joue un rôle de premier plan dans cette stratégie destinée à attirer le capital étranger et à permettre la réinsertion du pays sur les marchés financiers internationaux. Comme Cuba, les créanciers sont conscients de ce fait dans ce processus de négociation portant sur la dette du pays, dette qui en 2015 atteignait 25 milliards de dollars, y compris les intérêts de retard |5|. En 2013, l’île est parvenue à un accord avec des créanciers japonais pour restructurer 1,4 milliard de dollars. L’accord portait sur la même proportion que celui signé avec le Club de Paris, soit l’annulation de 80% de la dette contre le paiement des 20% restants sur une période de 20 ans |6|. En novembre 2013, Cuba a également conclu un accord avec le Mexique pour l’abandon de 70% d’une dette de 500 millions de dollars et le paiement des 150 millions restants sur une période de 10 ans |7|. Plus tard, en février 2014, Cuba a négocié l’abandon des 90% d’une dette estimée à 35,2 milliards de dollars |8|. Cuba s’est engagé à payer les 3,2 milliards restants d’une dette contractée du temps de l’Union Soviétique au cours des dix prochaines années |9|.

Pour chacun des accords conclus, y compris avec le Club de Paris, l’octroi par Cuba de bénéfices en matière commerciale et d’investissement a joué un rôle fondamental. Dans le cas du Club de Paris, deux événements l’illustrent. D’une part, la participation active de l’Espagne comme principal promoteur de l’accord en raison de la présence d’entreprises espagnoles sur l’île en particulier dans le secteur hôtelier et par la volonté du gouvernement espagnol de protéger sa position dans la perspective d’une ouverture à la concurrence étasunienne |10|. D’autre part, la conversion par la France de 230 millions de dollars de dette sur un total de 470 millions en investissements dans des projets conjoints avec la participation de l’Agence Française de Développement |11|. Cela illustre le calcul coûts/bénéfices des créanciers qui sont disposés à abandonner des dettes publiques pour favoriser les intérêts d’investisseurs privés. A côté de cela, la réduction croissante des obstacles en matière d’accès au financement externe est une autre caractéristique qui concourt au processus de réorientation économique.

C’est ce dernier aspect qui occupe toute l’attention des autorités économiques cubaines. En octobre 2013, celles-ci ont annoncé leur intention d’éliminer le double système monétaire en vigueur sur l’île depuis 1994. Il avait été introduit comme un des éléments du processus économique d’ajustement de la dite « période spéciale » qui avait suivi l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991. De manière simplifiée, on peut dire que les salaires des travailleurs sont payés en monnaie nationale tandis que les biens importés disponibles dans les commerces du pays sont seulement vendus en devises. L’objectif implicite de ce système a été de freiner l’accès des ménages aux biens importés et de faciliter ainsi la répartition du peu de devises disponibles dans le pays. La fin de ce système et son impact potentiel sur la demande de biens importés requiert l’accès à du financement externe, financement bloqué en partie en raison de la dette en défaut. Il s’agit de répondre à deux objectifs. D’une part, stabiliser les réserves internationales du pays dont le montant est inconnu. D’autre part, financer de manière durable le paiement des dites importations.

Les mesures adoptées par Cuba en matière de dette font clairement le lien entre les transformations des secteurs domestique et externe de l’île. Il semblerait qu’avec ces accords avec ses créanciers, Cuba poursuive l’objectif d’un processus d’ouverture semblable à celui de la Chine, processus dans lequel l’investissement étranger joue un rôle central dans le développement de secteurs économiques spécialisés dans les biens et services négociables. La clé du succès de ce processus résidera dans l’habileté des autorités économiques de l’île pour trouver un équilibre entre les incitants offerts au capital étranger ainsi que le maintien et l’approfondissement des caractéristiques et avancées sociales du modèle cubain.

Étant donné le niveau élevé de formation à Cuba ainsi que le développement poussé des services médicaux et pharmaceutiques, le pays commettrait une erreur s’il sous-estimait son pouvoir de négociation dans le processus d’ouverture. Si Cuba représente une destination si prisée des investisseurs c’est bien en raison de ces atouts. Renoncer à les maintenir pour suivre une formule magique de développement dicté par l’extérieur serait la pire des choses.

Il faut en ce sens rester optimiste car l’histoire de Cuba a prouvé la capacité de son peuple à sourire et à s’adapter à de nouveaux contextes.

Traduction : Virginie de Romanet