Rafael-Chocolat, un héros de l’histoire de France ?

Partager cet article facebook linkedin email

Gérard Noiriel - est-il besoin de le rappeler- est l’auteur du livre dont Roschdy Zem s’est – assez librement- inspiré pour raconter à l’écran la vie du premier artiste noir de la scène française, interprété par Omar Sy.

L’auteur de « Chocolat, la véritable histoire d’un homme sans nom » (Bayard) est également commissaire d’une exposition qui retrace le destin du clown « Chocolat ». Dans ce (nouveau) livre, il a enrichi ses recherches, il a enquêté comme un historien-détective privé, mais malgré six ans de recherches, il n’a pas retrouvé un seul document dans les archives publiques, concernant la personne de Rafael-Chocolat, « esclave, noir, étranger et saltimbanque ».

Rafael n’eut jamais de nom propre, ou plutôt un seul, Chocolat, que l’Etat civil s’évertua toujours à effacer. Gérard Noiriel dit militer pour que Rafael-Chocolat, cet ancien jeune esclave cubain, soit reconnu comme un héros de l’histoire de France.

Le Cubain Rafael-Chocolat reconnu comme un héros de l’histoire de France, Gérard Noiriel y travaille.

Par Michel Porcheron

Comme pour lever une fois pour toutes la moindre incertitude sur le bien-fondé et sur l’intérêt de « ressusciter », de réhabiliter le clown Chocolat, c’est avec ces lignes que l’historien Gérard Noiriel commençait en 2012 son premier livre sur « Chocolat » (Bayard, 330 p) :

« Dans l’histoire de l’humanité, un petit nombre d’individus ont eu un destin hors du commun, non seulement parce que leur trajectoire leur a permis d’échapper à la condition sociale que leur origine rendait probable, mais aussi parce qu’ils ont été porteurs sans le savoir, des grands bouleversements qui ont changé la face du monde. Rafael le « clown Chocolat », a été l’un de ces hommes », issu d’une famille africaine réduite en esclavage et déportée à Cuba dans un bateau négrier » (page 7, « Chocolat, clown nègre, L’histoire oubliée du premier artiste noir de la scène française » (mp)

Entretien avec Gérard Noiriel (Source : Sabrina Silamo, telerama.fr / posté par Michel Porcheron).

Portrait de Rafael Padilla alias “Chocolat” par Du Guy en 1903

Sabrina Silamo- En quoi est-il pertinent de réhabiliter Chocolat en 2016 ?

Gérard Noiriel- Tout le monde connaît l’auguste, inséparable du clown blanc, mais sait-on que le premier auguste était noir ? Chocolat a été occulté de notre mémoire collective. Cet ex-esclave prénommé Rafael n’a jamais eu de nom. Son patronyme, Padilla, lui a été donné à sa mort par l’employé de l’état civil. Je milite pour que l’on reconnaisse Rafael comme un héros de l’histoire de France : lui s’est battu avec le rire.

Pourquoi Chocolat, l’esclave devenu vedette, est-il mort oublié et misérable ?

Son succès, Chocolat le doit aussi aux figures paternalistes et aux élites : ainsi, Julien Green le cite dans ses mémoires. A cette époque où il était de bon ton de se moquer des Noirs — comme Toulouse-Lautrec qui représente Chocolat en singe —, ce dernier a su faire de sa couleur de peau quelque chose de positif. Mais avec l’affaire Dreyfus et la création de la Ligue des droits de l’homme, une conscience antiraciste émerge : il devient impossible de rire d’un Noir humilié par un Blanc. Chocolat n’est plus reconnu par l’élite qui en fait le stéréotype du « Y’a bon Banania » : il est enterré vivant.

[“Chocolat a su faire de sa couleur de peau quelque chose de positif”]

Que représente pour vous cette plaque dévoilée en mémoire de Chocolat et de son acolyte, George Foottit ?

Cette plaque inaugurée au 251, rue St-Honoré, à l’emplacement du Nouveau Cirque, marque l’aboutissement d’une aventure commencée en 2009, quand j’ai décidé de sensibiliser le jeune public aux questions de discrimination. 

Le cirque à Paris à la fin du XIXe siècle ressemble-t-il à celui d’aujourd’hui ?

Il est important de rappeler le rôle du cirque dans notre histoire culturelle. A l’époque, c’est un lieu ouvert où les numéros sont interprétés par des artistes qui viennent de partout. Chocolat devient un membre à part entière de cette grande famille. Et même si souvent, il est représenté comme un Pierrot noir, certains vont même jusqu’à penser que Chocolat est un ménestrel blanc grimé en noir, le cirque pour Rafael est une forme de résistance. Avec son gilet rouge et son chapeau haut de forme, il joue dans les plus grands hôtels de la capitale comme le Scribe près de l’Opéra ou le Continental, rue de Castiglione, mais aussi à l’Olympia ou au Moulin Rouge. Il se produit dans les banquets organisés pour le tout Paris, des Rothschild aux élus républicains tels Raymond Poincaré du temps où il était ministre. Chocolat appartient à la « high life », une expression de la Belle époque. On dit que le Golliwogg’s cake-walk, pour piano, composé en 1908 par Claude Debussy. Son aurait été inspiré par Chocolat. Comme Guignol, Chocolat fait partie du paysage.

Rafael Padilla

Chocolat en 1910

Y-a-t-il d’autres artistes noirs à l’époque à Paris ?

La seule, c’est la trapéziste Miss Lala, qui a d’ailleurs été peinte par Degas (Miss Lala au cirque Fernando, 1879, National Gallery, Londres.). Mais contrairement à Chocolat, elle fait partie des artistes de passage, elle ne s’installe pas en France… Chocolat finit par rencontrer une Française, une Picarde mariée à un douanier corse et mère de deux enfants. C’est aussi elle l’héroïne de cette histoire. Marie est restée dans l’anonymat et pourtant, pour avoir toute sa vie soutenu Chocolat, elle a été complètement ostracisée par sa famille. On l’appelait la mère Chocolat et puis elle est devenue la veuve Chocolat. Mais à sa mort, un employé anonyme trop zélé, a transformé son état civil de veuve Chocolat en divorcée Grimaldi. Ses deux enfants, que Chocolat a adopté, sont aussi devenus des artistes de cirque et l’un d’eux, Eugène, fut grand clown chez Medrano dans les années 1920.

Chocolat est-il à l’origine de l’expression « être chocolat » ?

Je ne peux pas l’affirmer, mais Chocolat est enterré dans une fosse en pleine terre à Bordeaux, il ne reste aucune trace de lui. Il a cru à ce pays, il est même devenu le premier clown thérapeute. Qui sait qu’il jouait deux fois par semaine dans les hôpitaux pour enfants à Paris ? C’est d’ailleurs pour ce rôle qu’il a reçu la médaille du mérite. Alors s’il n’est pas à l’origine de cette expression, son existence en est une parfaite illustration.

(propos recueillis par Sabrina Silamo)

Chocolat… il y a déjà 7 ans :

http://www.telerama.fr/divers/l-historien-mouille-sa-chemise,41246.php

En trois vidéos : http://www.telerama.fr/idees/clown-chocolat-1-3,41432.php

http://www.telerama.fr/idees/le-clown-et-l-historien-2-3,41520.php

http://www.telerama.fr/idees/le-clown-et-l-historien-3-3,41589.php

(mp)

Portfolio