Interview du Président du Conseil des Entrepreneurs Etats-Unis/Cuba à la Chambre de Commerce américaine

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Carlos Gutiérrez vient d’effectuer son dernier voyage à Cuba, à la veille de la première visite du président Barack Obama, qui sera historique.
Pour Gutiérrez, qui préside actuellement le Conseil des entrepreneurs États-Unis - Cuba à la Chambre du Commerce américaine, c’est le cinquième voyage en six mois. Ou en plus cinquante ans. Parce que depuis qu’il a abandonné l’île avec ses parents en 1960, cet ancien secrétaire de Commerce du président républicain George W Bush n’avait plus remis les pieds dans son pays d’origine jusqu’à ce qu’il a accompagné le secrétaire d’État, John Kerry, pour rouvrir l’ambassade américaine à La Havane, en août. Pas mal pour un homme qui avait reçu l’annonce de la normalisation des relations avec une grande méfiance.

Cuba, avec un peu d’énergie d’un secteur non étatique, avec davantage d’investissements étrangers, peut devenir une grande économie.

Question : Comment évaluez-vous le voyage du président Obama ?

Réponse  : Je crois que c’est une très bonne idée, la visite renferme un symbolisme très important. Et je crois que nous allons tous voir que les cubains sont heureux, que ceci est quelque chose que le peuple cubain veut, une normalisation entre les Etats-Unis et Cuba.

Q : Il y en a qui affirment que Cuba n’a pas encore fait suffisamment en matière économique ni de droits de l’homme pour mériter ce "prix".

R : Pendant la dernière année, on a avancé plus que durant les derniers 55 ans. On y utilise beaucoup plus le Wi-Fi ; il y a déjà deux accords avec des compagnies américaines, Sprint et Verizon ; il y a un accord pour que des compagnies aériennes viennent à Cuba sans avoir recours à des vols charter ou à des trajets ridicules pour y arriver. Il y a davantage d’activité dans le secteur privé cubain, davantage d’affaires privées. À Cuba, ça bouge. Et ce que beaucoup de gens doivent comprendre c’est que le droit au travail, à gagner sa vie, est aussi un droit de l’homme, un droit fondamental. Je ne sais pas pourquoi les gens disent qu’il n’y a pas de progrès en matière de droits de l’homme.

Q : Vous étiez enfant quand vous êtes parti de Cuba ; vous avez travaillé pour l’administration Bush, qui a durci l’embargo ; et au début, vous vous êtes montré sceptique par rapport à la normalisation des relations. Quelle est la raison de votre conversion ?

R : Ce genre de choses n’arrive pas du jour au lendemain. J’ai passé toute ma vie à penser à Cuba et à lire sur Cuba. Mais rien n’a été plus important que le jour où j’ai visité Cuba. Il est très difficile d’aller à Cuba, d’en retourner et de penser que les sanctions sont bonnes. Nous portons préjudice au peuple, qui a besoin d’aide, et je ne crois pas que ce soit une politique qui favorise l’image des USA devant l’histoire, parce que 57 ans se sont déjà écoulés. Cuba veut changer et commence à permettre une espèce d’économie mixte avec des entreprises libres, je crois que nous avons presque le devoir d’aider le peuple.

Q : Comment essayez-vous de convaincre d’autres républicains, et aussi quelques démocrates, réticents au processus ?

R  : Si Cuba est en train de changer économiquement, et je crois que les changements vont dans la bonne direction, il s’agit donc d’aider les cubains. Je ne peux pas imaginer un seul cubain, vivant à Cuba, qui pense que les sanctions sont une bonne idée. Il faut aller à Cuba, il faut admettre que ceci est pour le peuple, pour la nation, pour le pays natal de beaucoup de gens de Miami, la terre natale de leurs parents, de leurs aïeuls. Pourquoi ne pas avoir un peu d’intérêt à aider les gens, à aider la terre d’origine ? C’est l’occasion que nous avons et ce serait dommage de ne pas en profiter pour aider les cubains.

Q : Pourquoi une île petite et relativement pauvre intéresse tant les chefs d’entreprises américains ?

R : C’est la grande question de l’histoire. Pourquoi tant de gens se passionnent pour ce pays ? Cuba, ce n’est que 11 millions d’habitants, mais sa situation est stratégique et sa force de travail est hautement qualifiée. Le problème c’est qu’il y a des ingénieurs qui conduisent des taxis parce qu’ils ne trouvent pas un emploi où ils pourraient appliquent leurs connaissances. Mais Cuba possède tout ce qu’il faut tout : agriculture, emplacement, lieux touristiques uniques… Cuba a toujours eu du potentiel. Et je crois que Cuba, avec un peu d’énergie d’un secteur non étatique, avec davantage d’investissements étrangers, peut devenir une grande économie. Et nombre de gens peuvent voir ceci. À Cuba, la consommation par habitant va beaucoup augmenter un jour.

Q : Qu’est-ce qui manque à Cuba pour y voir le même rythme de changements qu’aux USA ?

R : C’est sûr qu’il y a eu un certain manque de patience. Les gens, les entreprises demandent que ça bouge plus vite. Eh oui ! Ça bouge un peu lentement. Il faut se déplacer à La Havane, retourner, parler à l’OFAC… À Cuba, on fait aussi des pas très prudents. Malgré cela, il y a déjà cinq ou six entreprises qui ont signé des accords avec Cuba.
Il reste beaucoup à faire des deux côtés. Les USA peuvent beaucoup aider pour que Cuba revienne dans les institutions financières internationales. L’aspect le plus important de la visite d’Obama c’est qu’elle va contribuer à ce que le processus soit de plus en plus irréversible.

Q : Une année est déjà passée et le Congrès n’a discuté aucune loi pour mettre un terme à l’embargo. Pensez-vous que cela peut arriver bientôt ?

R : Je préfère parler de sanctions, parce que l’embargo n’est pas une unité, mais un ensemble de règlements complexes assez profonds. Je crois que ce qui va arriver, c’est la suppression graduelle des sanctions. Je ne vois pas le Congrès votant la levée de l’embargo dans sa totalité, mais l’élimination, par exemple, de l’interdiction de voyager ; c’est la première chose qui peut être modifiée. Le reste des sanctions, dans leur totalité, ça va prendre un peu plus de temps. Le sujet est complexe et on négocie les expropriations aussi.

Q : Reste-t-il de l’espace pour qu’Obama puisse agir sur son compte ?

R : Oui, mais la limite c’est les élections présidentielles. Qui va gagner ? Si c’est (Hillary) Clinton, je crois que le rythme actuel se verra favorisé. Si c’est Donald Trump, là, personne ne sait. Personne ne sait qui c’est, Donald Trump.