« Chocolat », les comédiens sont formidables, mais…

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De « Chocolat », le film, avec en haut de l’affiche Omar Sy et Roschdy Zem, en salles depuis le 3 février, les lectures sont multiples. Si le public en général a bien répondu (sans plus ?) avec, en 5 semaines largement plus d’un million d’entrées (loin derrière « Tuche2 » d’Olivier Baroux !) , grâce, comme toujours, au bouche à oreille, il est facile de déduire que les spectateurs ont d’abord voulu voir Omar Sy (imaginons le même film, avec le même réalisateur, mais le rôle de Chocolat joué par un autre comédien…) et dans un film « costumé », à forte distance d’Intouchables, de Samba ou De l’autre côté du périph’.
Le ton de la critique, des critiques, n’a pas été dithyrambique. Plutôt sympathique, à l’occasion très sympathique, soulignant surtout que les comédiens Omar Sy-Chocolat et James Thierrée-Foottit sont formidables.
Parmi ceux qui ont vu le film, il y a forcément les déçus, qui attendaient autre chose, qui en ont vu les limites, qui n’ont pas apprécié le « mélo » de Roschdy Zem. Il est vrai que les plus critiques n’appartiennent pas généralement au « grand public », leur prisme est celui de spécialistes, historiens, chercheurs, comme c’est le cas de Sylvie Chalaye. Nous reproduisons le texte qu’elle a consacré au film, publié sur le blog (de référence) des « Amis du clown Chocolat ».

« Chocolat », les comédiens sont formidables, mais…

Par Michel Porcheron

Entre un et deux millions de spectateurs ont vu, depuis le 3 février, le film « Chocolat » de Roschdy Zem, avec le formidable duo Omar Sy et James Thierrée. C’est un demi-succès ou un demi-échec. On a lu les critiques, elles sont en général mi-figue mi-raisin, sympathiques. « On aime un peu », « Moyen »…

Pour en savoir plus, pourquoi ne pas aller faire un tour de piste sur le blog des « Amis du clown Chocolat », réputé pour bien connaitre son sujet. Il a choisi de publier un texte de Sylvie Chalaye, qui ne fait pas dans la critique professionnelle. Elle est universitaire, spécialiste de l’histoire des arts du spectacle et des représentions de l’Afrique et du monde noire dans les sociétés occidentales.

Nous reproduisons à notre tour le texte de cette anthropologue, professeur et directrice de recherche à la Sorbonne Nouvelle (Elle a co-dirigé « La France noire. Trois siècles de présences », La Découverte, 2011).

Selon le blog « Les Amis du clown Chocolat », où Jean-Pierre Lefèvre a le rôle de Monsieur Loyal, le film manque cruellement de nuances. « Il caricature la vie de Chocolat (alcool, femme etc.) la limitant à son rapport avec Foottit (mentor taciturne, artiste et raisonnable), un rapport de « maître à esclave » ?????? »

« On peut ne pas être d’accord avec Sylvie Chalaye, mais en lisant ce texte on ne peut éviter de penser que ce film entretien ces préjugés. On ne les combat pas même avec de la bonne volonté. Ils ont la vie dure ».

Chocolat, le film, vu par Sylvie Chalaye

« Un film qui réécrit l’histoire du Clown Chocolat : mélo et bons sentiments »

Avec Chocolat, le réalisateur Roschdy Zem s’empare du destin de Rafael Padilla. Pourtant la fiction qu’il en fait nous en éloigne et n’aborde pas frontalement la place de cet artiste noir dans le Paris de la Belle époque. Ci-dessous la version complète de la critique de Sylvie Chalaye, initialement parue dans Afriscope 45.

Chocolat : sombre mélo en noir et blanc !

Le biopic, qui devait faire connaître au plus grand nombre le clown Chocolat, n’aura contribué au final qu’à nous éloigner davantage du réel en faisant de sa vie un mélodrame sordide et en le condamnant encore une fois à disparaître pour laisser place dans les mémoires à la chute vertigineuse d’un « pauvre nègre » qui a voulu s’arracher à sa condition, sortir de sa « peau » et que la fatalité ramène à son point de départ.

Chocolat meurt d’avoir voulu s’élever plus haut. Non seulement cette morale fataliste n’aide pas les Afro-descendants à reconstruire leur histoire, mais surtout elle ne correspond en rien à la destinée de cet enfant d’esclave cubain que son étoile a conduit jusqu’à la piste du Nouveau Cirque dans le Paris de la Belle Époque et dont la notoriété a été extraordinaire.

Le film passe à côté

Le film passe à côté d’une vraie opportunité de donner aux Noirs de France un héros en référence, mais aussi de dresser un tableau de la Belle Époque qui montrerait la présence des Noirs dans le monde du spectacle, car Chocolat était loin d’être le premier et le seul artiste noir de la scène parisienne en 1900. Le réalisateur Roschdy Zem a préféré focaliser le film sur le tandem en noir et blanc qu’il a formé avec Foottit et le réduire à l’image qu’en a laissé un dessin de Toulouse-Lautrec : le nègre qui se fait botter le cul !

Pourtant Chocolat connaît le succès bien avant sa rencontre avec Foottit grâce à un spectacle qui fit fureur de 1888 à 1897 au Nouveau Cirque, La Noce de Chocolat. Il en était la vedette et s’affichait au bras d’une belle blonde, image de provocation remarquable pour l’époque. Mais le film préfère en faire un minable, perdu dans un cirque de campagne et réduit à jouer les cannibales, couvert d’une peau de bête et affublé d’un chimpanzé. C’est Foottit qui le prend en main et lui apprend le métier de clown.

Le romantisme sombre de James Thierrée, la bouille sympathique et la gouaille d’Omar Sy font mouche.

Et au final le film raconte surtout une « amitié impossible » entre le Blanc et le Noir. Foottit apparaît comme l’ami raisonnable, sombre et taciturne, alors que Chocolat courtise les femmes, fréquente des tripots, s’encanaille, contracte des dettes… La persévérance et la fidélité sont du côté de Foottit. Il ne tournera jamais le dos à son ami et lui donne même de l’argent pour survivre. Chocolat meurt dans ses bras de la tuberculose… sombre mélo en noir et blanc ! Mais, au service de la bonne conscience, cette fable moralisatrice, celle d’un grand enfant ingrat que Foottit a sorti du ruisseau et qui s’est retourné contre son bienfaiteur, n’est pas l’histoire de Chocolat.

Regarder la réalité, même au cinéma

Vouloir stigmatiser le racisme du temps des colonies et mettre en avant le paternalisme hypocrite d’une société française qui rit de Chocolat et s’émeut de ses pochades est une ambition nécessaire. Mais plier la vie de Chocolat à ses intentions et ajouter même de la violence physique pour atteindre son but, c’est comme fabriquer des preuves à charge pour mieux s’assurer que le coupable sera condamné et provoquer finalement un vice de forme qui prive la société française d’un vrai débat.

La brutalité que subit Chocolat dans le film, celle des policiers et celle des malfrats qui viennent lui briser la main pour récupérer leur argent se confond avec la violence raciste qui était celle des Amériques de la ségrégation. Or la France n’est pas l’Amérique ! Tant qu’on abordera pas la vraie histoire coloniale française et celle des premiers temps de l’immigration des Afro-Antillais en France dans toutes leurs complexités avec leurs paradoxes et leurs contradictions, on ne pourra pas dépasser le traumatisme qu’elle représente. Il ne faut pas se mentir, mais regarder la réalité en face même au cinéma »

Pour aller plus loin (version longue) : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=13438&texte_recherche=clown%20chocolat

(mp)