Le réel merveilleux dans une école

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Visiter l’école "Solidarité avec le Panama", un établissement scolaire qui accueille 180 enfants et adolescents atteints de handicaps physiques et moteurs ou de maladies cérébro-vasculaires, est un moment qui nous permet d’oublier nos malheurs, de nous remplir de joie et d’imaginer un avenir plein des forces nécessaires pour vaincre les difficultés

Un article publié dans Granma en français que nous a transmis notre ami Serge Bonneton, animateur du comité lyonnais "Marie-Dominique Bertuccioli" de France-Cuba. Merci à lui.

Photo du logo : Alberto Borrego

Apprendre à travailler avec les caractéristiques de chaque élève

Ces enfants, qui chaque jour éprouvent le désir de vivre une vie meilleure, sont encadrés par 140 travailleurs, dont 64 instituteurs et plus de 40 auxiliaires, physiothérapeutes et autres techniciens et spécialistes.

Certains ont prêté leurs services pédagogiques au Venezuela, Équateur, Bolivie, Nicaragua et dans d’autres pays. L’école, située dans le quartier de Fontanar dans la municipalité havanaise de Boyeros, est un établissement avec accessibilité pour les personnes handicapées. Il se caractérise par la propreté, l’ordre, la discipline, l’éclairage adapté et les couleurs qui transmettent paix et bonne humeur. Inaugurée par le leader de la Révolution cubaine, Fidel Castro le 31 décembre 1989 dans le contexte d’agression militaire nord-américain contre l’Île, l’école Solidarité avec le Panama regroupe trois cycles d’enseignement : primaire, collège et éducation spécialisée pour les enfants souffrant de retard mental. Elle propose également des outils aux parents pour vivre en harmonie avec ces enfants à travers le programme « Éduque ton enfant ».

En visitant ses espaces, on peut observer des enfants mangeant avec leurs pieds, d’autres qui se déplacent difficilement en poussant le fauteuil roulant d’un autre qui ne peut pas marcher, ou encore d’autres qui écrivent leurs cours avec un crayon entre les dents. Ils se livrent aux jeux de leur âge, s’intéressent aux arts et font des bêtises comme tous les enfants. Ici, pas de place pour la pitié ou la compassion.

Quelque chose de différent cependant : la joie qui se lit sur chaque visage. Tous veulent se faire photographier et sont prêts à discuter avec n’importe qui. Les instituteurs, les travailleurs et les élèves se souviennent avec précision chacune des minutes de vie commune au cours de cette histoire de plus de 25 ans.

L’ARTISANE

Alors que nous visitons l’école, nous sommes témoins d’une conversation téléphonique inattendue. Le Pr Miguel Cañete Ladron de Guevara reçoit un appel d’une élève diplômée il y a plusieurs années qui souhaite le saluer. Après quelques mots, elle lui dit : « je suis très fière de moi, je gagne ma vie avec mon artisanat ».

Miguel se souvient des longues heures qu’il a consacrées à lui expliquer l’association des couleurs, la disposition des figures, la qualité du dessin, mais en trouvant des différences. Dans sa classe de travaux manuels, il a enseigné à confectionner des colliers, des bracelets, des boucles d’oreilles, des décorations, des fleurs artificielles et autant d’objets qui font plaisir à ceux qui les reçoivent. Les enfants doivent développer leurs habiletés dans la maîtrise des ciseaux, le collage du papier, l’enfilage et l’assemblage des pièces, la combinaison des couleurs, l’interprétation des dessins et utiliser leur créativité pour concevoir des objets esthétiques, à usage individuel ou collectif.

À la suite de plusieurs chirurgies faciales à l’adolescence, le Pr Miguel a étudié à l’école Solidarité avec le Panama. Après le collège, il a poursuivi ses études à la faculté ouvrière et paysanne en cours du soir jusqu’au baccalauréat. Une de ses professeurs, Martha Balbina, lui proposa de revenir à l’école en tant qu’instituteur et sans aucune appréhension, il suivit une formation en pédagogie. Il a d’abord été diplômé comme technicien moyen, puis préparé une licence. Aujourd’hui, il est master en éducation. Il raccroche le téléphone et rejoint sa classe pour continuer son cours avec ses deux élèves, Denis Linares de Cardenas, âgé de 15 ans et Yoel Reyes Destrades, 17 ans, tous deux atteints d’un sévère retard cognitif. Il leur demande, avec une grande patience, de trouver les moyens d’élaborer un vase pour des fleurs artificielles.

LA PROFESSEURE DE COLLÈGE

Une classe de 3e, silencieuse, où les élèves se concentrent sur les paroles de leur professeur qui leur enseigne les règles de l’algèbre. Ils sont environ une dizaine d’adolescents vêtus de leur uniforme jaune et blanc. Tous portent l’emblème de l’organisation des pionniers José Marti. La professeur demande d’ouvrir le livre et demande à l’un des élèves de lire à haute voix. L’enfant obéit, mais il a des difficultés à lire correctement. La professeure lui conseille une respiration pausée avant de relire le paragraphe. Elle insiste auprès d’un autre pour qu’il continue la lecture et signale ce qui a été lu précédemment. Immédiatement, une autre élève est appelée à se rendre au tableau pour résoudre un exercice. La fillette marche avec difficulté et devant la bonne réponse, la professeure lui demande d’expliquer comment elle est arrivée à ce résultat. Les félicitations de la professeure créent une ambiance favorable à l’apprentissage.

Au terme de la classe, Lourdes explique qu’en 25 ans dans cette profession, elle a appris à travailler avec les caractéristiques de chaque élève. Même si elle enseigne à des jeunes au développement intellectuel normal, elle doit corriger la prononciation, exiger une posture correcte, inciter au déplacement, vaincre la crainte de se retrouver face aux autres et créer des habilités pour l’interprétation des textes, la présentation orale des contenus et la solution des problèmes d’algèbre. Elle-même souffre de rétinite pigmentaire et ses élèves l’aident à ne pas buter contre les objets. Ces enfants lui apportent du bonheur, de l’affection, de la tendresse et bien des satisfactions. Elle le résume en une seule phrase : « Ils donnent bien plus d’amour qu’ils n’en reçoivent ».

LE FOOTBALLEUR

Préparer la séance de thérapie occupationnelle de Luisito, un enfant de huit ans souffrant d’une atrophie des membres à la suite d’une paralysie cérébrale périnatale, est l’une des tâches confiées à Teresita Mirta Duran Noya, éducatrice, fondatrice de l’école Solidarité avec le Panama. Ce genre d’activité permet aux enfants présentant un handicap sévère d’accroître la motricité de leurs membres supérieurs, d’avoir une meilleure coordination des doigts et des mains par le biais de jouets didactiques et des kits d’assemblage et de construction, entre autres.

Elle apprend à ses élèves à boutonner, à nouer, à lacer, à utiliser des couverts à table, au transfert sans aide à la position assise (du fauteuil roulant au lit), à faire leur toilette, leur lit, à s’habiller… autrement dit : à être autonomes dans les activités de base de la vie quotidienne. Forte de 27 ans d’expérience, Teresita a mis en place un suivi individualisé de chaque dossier contenant le profit médico-psycho-pédagogique de l’enfant.

Au cours d’un premier contact, elle explore les aptitudes physiques afin de commencer les entraînements personnalisés, jusqu’à découvrir la magie des tâches qui semblaient impossibles à réaliser. Luis Antonio Torres Acosta (Luisito) ne peut qu’émettre des signes d’acquiescement ou de négation de la tête, des expressions de joie ou de douleur à travers les yeux, même si son coefficient intellectuel correspond à son âge biologique. Ses yeux brillent d’un éclat vif lorsqu’on prononce le mot football, et interrogé par ses éducateurs sur son joueur préféré, il fait des signes affirmatifs lorsqu’on prononce le nom de Cristiano Ronaldo. Il aimerait avoir un ballon ou un maillot signés de la star du Real Madrid, mais il se contenterait même d’une carte postale de ce grand joueur, ou d’entendre prononcer son nom lors d’un match du Real. L’éducatrice Teresita lui parle avec beaucoup de patience et de douceur en lui mettant une balle de toile dans les mains pour qu’il apprenne à ouvrir et fermer la main de façon consciente. Ensuite, ils travaillent aux déplacements d’objets. L’enfant s’exécute rapidement et avec un mouvement conscient de la tête pour répondre oui à une seule question : Tu vas jouer au football ?

LA FÊTE DES 15 ANS

La directrice adjointe, Anayeli Pérez Luis, peut citer le prénom et les deux noms des 180 élèves. Elle connaît la pathologie de chaque enfant, l’environnement psycho-social, les caractéristiques individu- elles et familiales. Elle organise les emplois du temps et les activités enseignantes et exige avec rigueur le respect des horaires de la journée. Quelques anecdotes : la première sortie avec les enfants au cinéma ou au théâtre, une journée à la plage et l’expression joyeuse d’un enfant qui ne pouvait pas marcher : « Regardez, maîtresse, mes pieds flottent ». Elle a passé des moments délicats : les espiègleries enfantines, les bagarres pour un jouet ou la surveillance des amours adolescentes, mais elle doit aussi savoir donner les premiers soins face à une convulsion.

En ce moment, elle est très enthousiaste. Le 21 avril, l’école va fêter l’anniversaire de tous les enfants qui ont 15 ans en 2016. Comme c’est la tradition dans les familles cubaines, l’établissement organise une fête où les filles viennent vêtues de longues robes ornées de broderie et de paillettes, et les garçons en costume. La soirée commence par la traditionnelle valse, les félicitations des parents. Puis on découpe un grand gâteau, on offre des cocktails et on danse sur tous les rythmes à la mode. La soirée est photographiée en souvenir de cette date.

Les parents, la famille, les amis et les voisins sont plus que des invités. Ce sont eux qui préparent le repas, décorent le lieu, prévoient la musique et se chargent de la coiffure et du maquillage. Aujourd’hui, on entend les mêmes conversations dans les couloirs et tous les espaces de l’école : la chorégraphie de la soirée.

LE CHEF DE GROUPE

L’organisation des pionniers est également présente à l’école Solidarité avec le Panama. Les plus petits font partie du groupe des Moncadistes en portant le foulard bleu et les plus grands à celui de José Marti avec le foulard rouge du CM1 à la 6e. Ensuite, en arrivant au collège, ils porteront l’emblème sur le col, la manche ou la poche de leur chemise.

Organisés en 18 groupes, les enfants réalisent une assemblée mensuelle pour débattre des études, de la qualité des cours, de la discipline scolaire,du port correct de l’uniforme, des loisirs qu’ils souhaitent et de l’émulation des pionniers (ils choisissent les élèves au meilleur comportement). Chaque mois de septembre, en début d’année, ils élisent leurs représentants, d’abord pour chaque groupe et ensuite à main levée, ceux qui seront à la tête du collectif, à savoir chef de collectif, d’émulation, d’étude, d’activités, de découvertes et d’activités en plein air. Kenny Matos Gomez, âgée de 13 ans, qui souffre d’un handicap moteur est admirée par ses camarades, car elle a gagné le concours de lecture au niveau national. Elle a également participé à d’autres compétitions par matière, elle chante et joue du piano. Selon elle, elle ne sait pas pourquoi elle a été élue depuis deux ans comme chef de groupe, mais ce dont elle est sûre, c’est qu’elle sera journaliste.