Victor Hugo, barreaux d’honneur

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Plusieurs détenus, hommes et femmes, de la prison de Réau, en Seine-et-Marne, ont endossé le rôle d’éphémères commissaires pour une exposition sur le thème des « Misérables » de Victor Hugo (jusqu’au 26 avril).

Il y a des tableaux, des gravures, des costumes d’époque et même des œuvres contemporaines, 90 au total, prêtées par plusieurs musées.

L’exposition ne peut être vue que par un cercle restreint de visiteurs : les détenus de l’établissement, les familles des commissaires d’exposition et le personnel pénitentiaire
L’exposition devrait ensuite tourner dans d’autres établissements pénitentiaires en France.(mp).

Une expo inédite sur les Misérables montée par des détenus

Posté par Michel Porcheron

(Source : Frédérique Roussel/Libération/ 10 avril 2016/posté par Michel Porcheron
Plusieurs détenus de la prison de Réau, en Seine-et-Marne (entre Evry et Melun) ont endossé le rôle d’éphémères commissaires pour une exposition sur le thème des « Misérables » (jusqu’au 26 avril)

"La Conscience devant une mauvaise action". Dessin de Victor Hugo.
PHOTO Maison de Victor Hugo. Roger-Viollet

On le sent un peu ému. Raide comme la justice, il attend le cortège venu de l’extérieur avec sans doute une petite boule au ventre. De leur côté, les visiteurs, une vingtaine, arrivent avec une certaine curiosité. Il leur a fallu passer un contrôle de sécurité serré et plus de cinq grilles à verrous depuis l’entrée du centre pénitentiaire de Réau, en Seine-et-Marne, pour arriver devant le détenu.

Il les accueille au chevet d’une exposition dont il est le commissaire, comme huit autres prisonniers. Une pile de catalogues voisine avec l’entrée. Sur la couverture, un dessin de Victor Hugo à la plume et lavis d’encre brune représente une main tendue.
L’exposition a pour sujet les Misérables. C’est de ça que se met à parler le détenu : de son auteur et de la pertinence contemporaine du roman. « Victor Hugo est un écrivain reconnu, un homme politique engagé, qui dénonce pas mal d’injustices dans ses œuvres, comme dans les Derniers Jours d’un condamné. »

Rédemption

A peine la première salle entamée, le visiteur constate qu’au bout du chemin panoptique de la prison, loin du regard public, c’est à une expo incroyablement professionnelle qu’il a affaire. L’accrochage sur des murs peints en gris, la lumière, les œuvres, tout a été installé au cordeau.

Le travail a été mené sur une année avec Vincent Gille, chargé d’étude documentaire à la Maison de Victor Hugo (Paris IIIe), qui a commencé pour les volontaires par la lecture des Misérables, suivie du choix des œuvres sur catalogue, leur ordre, leur emplacement dans le parcours et l’apprentissage du métier de commissaire d’expo. « On se voyait une fois par semaine tous les jeudis, raconte Pierre (1). On nous a sensibilisés au métier de commissaire, et ça nous a fait un peu peur au début. Pour moi, un commissaire, c’était un commissaire de police. »

Du groupe de détenus qui a participé à l’aventure, certains sont partis avant la fin de la préparation de l’expo. Au centre pénitentiaire de Réau, qui compte environ 620 détenus pour 800 places et une cinquantaine de femmes, les transferts et les libérations sont fréquents.

L’exposition se décline sur plusieurs salles, chacune étant dédiée à un thème : la rédemption, la misère, l’amour, l’insurrection

« Je vous invite à regarder cette œuvre originale de Victor Hugo, qui montre la conscience devant la mauvaise action », signale Lily.
Il y a des tableaux, des gravures, des costumes d’époque et même des œuvres contemporaines, 90 au total, prêtées par plusieurs musées.

« Je me suis retrouvée dans Gavroche, un de mes personnages préférés », commente Fabienne, sous les verrous depuis deux ans. « Cela m’a permis de m’évader du quotidien de la prison, explique Bastien. Le texte de Victor Hugo traite de la chute, de la manière de s’en relever. L’insertion est toujours d’actualité cent cinquante ans après. »

« La culture en prison, souligne Vincent Gille, c’est aussi de ne pas répondre qu’à des besoins primaires. La culture, c’est ce qui fait qu’on est un être humain. »
Arrivé à la direction de Réau depuis mai 2015, Arnaud Soleranski voit d’un très bon œil la culture investir son établissement, tout en soulignant les contraintes de logistique et de droit d’accès : « Réau est un terrain propice car le bâtiment, ouvert en 2011, a été conçu avec des espaces susceptibles de s’ouvrir à des types d’animation », précise le directeur, qui n’avait jamais vu une réalisation in fermo de cette qualité depuis vingt-cinq ans qu’il « est dans le métier ». Hormis l’atelier de commissaire d’exposition, la prison compte un groupe de musique, un prix littéraire avec Paris-Diderot remis à l’automne, un atelier de peinture

« C’est important pour le détenu de concrétiser quelque chose. Cela permet une meilleure confiance en soi, et d’être un peu considéré. »

Partenariat

Avant « Les Misérables », une autre exposition avait été organisée en 2013 à Réau, avec la Réunion des musées nationaux (RMN), sur le thème du voyage, à partir de 87 œuvres. En 2011, à la prison centrale de Poissy (Yvelines), en partenariat avec le musée du Louvre, avait été monté « Au-delà des murs » : un groupe de détenus avait choisi dix tableaux dont les reproductions grandeur nature avaient été accrochées dans la cour de promenade.

Paris Musées, qui compte 14 musées avec 1,3 million de visiteurs par an, a décidé depuis 2013 d’élargir son cercle d’actions pour toucher des publics empêchés, ou qui ne viennent pas dans les musées.

C’est le cas avec son partenariat de Réau, mais aussi avec d’autres initiatives, notamment avec des centres d’hébergement pour enfants. Quant à la Maison de Victor Hugo, elle prépare une exposition en novembre autour du poème la Pente de la rêverie, avec une partie hors les murs : une dizaine de classes de seconde planchent sur le texte en amont, avec pour objectif de montrer leurs travaux.
A Réau, l’exposition ne peut être vue que par un cercle restreint de visiteurs : les détenus de l’établissement (620 personnes) les familles des commissaires d’exposition et le personnel pénitentiaire. Son enjeu ne tient pas dans son seul achèvement, mais dans le processus de réalisation et dans l’abolition de la distance avec l’extérieur.
* Les prénoms ont été modifiés/Frédérique Roussel

Voir aussi :

Visite guidée : Victor Hugo en prison, l’expo que vous ne verrez jamais

http://www.telerama.fr/scenes/visite-guidee-victor-hugo-en-prison-l-expo-que-vous-ne-verrez-jamais,138207.php

http://www.artsixmic.fr/exposition-les-miserables-au-centre-penitentiaire-sud-francilien-reau/

http://www.exponaute.com/magazine/2016/02/02/les-miserables-a-la-prison-de-reau-paroles-de-detenus-paroles-despoir/

http://www.franceinter.fr/emission-grand-angle-exposition-sur-les-miserables-de-victor-hugo-en-prison

(mp)