Partage Artistique Franco-Cubain

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Un article publié sur le site CUBARTE par Toni Pinera, artiste cubain, critique d’art de plusieurs site dont celui du quotidien GRANMA. (Merci à Claudio pour sa traduction et à Gérard pour sa mise en musique !)

Toni nous a apporté sa précieuse et extrême compétence dans l’organisation ce cette formidable exposition dont il nous parle dans cet article.Pour illustrer l’importance qu’a eu cet évènement vous pourrez également lire l’article qu’il a aussi publié dans Granma (http://www.granma.cu/cultura/2016-04-18/el-mar-frontera-de-amistad-18-04-2016-02-04-39)

Actuellement Toni Pinera nous aide dans la mise en oeuvre de l’exposition qui aura lieu dans la Maison Victor Hugo, "Ernest Pignon Ernest - Alejo Carpentier, dans le cadre officiel du Mois de la Culture française à Cuba. Nous aurons l’occasion de revenir dans le détail sur cette belle réalisation.

RG

Portada del Catálogo dela muestra Tres Mares.

Portada del Catálogo dela muestra Tres Mares.

Photos gracieusement fournies par l’auteur.

Gerlys Álvarez Chacón. El Salto (2012). Acrílico sobre lienzo, 150 x 75 cm.

Gerlys Álvarez Chacón. El Salto (2012). Acrílico sobre lienzo, 150 x 75 cm.

Julio Breff. Para mamita (1995). Óleo sobre lienzo, 70 x 50 cm.

Hilda Vidal. Con el silencio de la penumbra (1998-2006). Óleo sobre lienzo, 76 x 63cm.

Ernesto García Peña. Tatuaje (2002). Acrílico sobre lienzo, 88,5 x 73,5 cm.

Roberto González. Esperando la Marea (2008). Acrílico sobre lienzo, 70 x 60,5 cm.

Vicente Hernández. La cita (2014). Óleo sobre lienzo, 120 x 140 cm (2).

Aldo Soler. Sin título (1996). Técnica mixta sobre cartulina, 46 x 64 cm.

José Omar Torres. Todo en ti fue naufragio (2014). Acrílico sobre tela, 116 x 202 cm.

Alfredo Sosabravo. Sin título (2002). Técnica mixta sobre cartulina, 37 x 39 cm.

Eduardo Abela. Infanta y Malecón (2004). Acrílico sobre lienzo, 100 x 80 cm.

Trois mers. Aussitôt que le mot nous vient à l’esprit, nous pensons à l’immensité, à ce qui est bleu, à la profondeur et ses mystères, à la distance. Aucun mot du vocabulaire humain ne rend mieux l’éloignement que la mer… Ce n’est pas l’habitat idéal pour l’homme ; ce royaume appartient à des êtres mieux ’conçus’ pour y respirer, pour y vivre. Elle nous rappelle aussi bien la transparence que l’obscurité. Le silence y règne et, bien qu’elle recouvre la plus grande partie de notre planète, les océans sont moins connus que la banlieue cosmique qui nous entoure. L’homme consacre bien des efforts, des ressources et du temps à voyager dans le cosmos, mais les profondeurs abyssales sont rarement visitées.

Il y a presque trois ans, en 2013, des Français ont eu l’idée d’effectuer une exposition conjointe avec d’artistes cubains ; l’exposition aurait la mer comme protagoniste et la 12e Biennale de La Havane comme plate-forme pour la lancer. Des deux côtés de l’Atlantique, le travail a commencé et l’une des premières manifestations en a été un échange artistique avec le Comité Ardèche de l’association Cuba Coopération-France. L’exposition célébrerait le 20e anniversaire de cette association et le 10e de la Maison Victor Hugo, rattachée à l’Office de l’Historien de la Ville.

En mai de l’année dernière, le rêve s’est matérialisé. L’exposition Tres mares (Trois mers) a finalement vu la lumière dans le cadre de la Biennale de La Havane. Le catalogue de ce projet collectif, exemple de la coopération culturelle entre les deux pays, a été présenté il y a quelques jours à la Maison Victor Hugo, siège de l’exposition, en présence de Roger Grévoul, président fondateur de Cuba Coopération-France ; Bernard Montagne, secrétaire général ; Philippe Main, président du Comité Ardèche de l’association ; Lisa del Prado, spécialiste principale de la Maison Victor Hugo et conservatrice de l’exposition pour la partie cubaine ; l’auteur du présent article ainsi que des artistes cubains et français. Le catalogue, une belle œuvre d’art résultant de l’initiative, rassemble l’histoire de l’exposition dès le début et les pièces de chaque créateur comme un témoignage de la signification que renferme l’immensité bleue pour chaque homme sur la Terre. L’exposition se dresse, en images et en mots, comme rappel et certitude de ce pont d’amitié entre deux peuples éloignés, différents de par leurs cultures, mais unis par l’art, la mer et la Biennale de La Havane.

L’histoire en mots.

Pourquoi la Maison Victor Hugo ? Justement parce que l’année dernière, l’institution, fondée par l’Office de l’Historien la Ville et l’association française Cuba Coopération, arrivait à son dixième anniversaire comme centre consacré à la diffusion de la culture française et cubaine dans un amalgame fraternel qui dépasse les frontières du temps, de la langue, et de la distance.

La proposition d’organiser une exposition intitulée Trois mers, dans le cadre de la 12e Biennale de La Havane, a éveillé des attentes. Le projet va au-delà des artistes professionnels puisque des enfants, des personnes handicapées et des adultes âgés y prennent part avec des ouvrages qui ont été le résultat de divers ateliers préalables et qui l’ont enrichi avec des travaux artisanaux : des poupées et d’autres objets. Tous les travaux relèvent de différents domaines de la création manuelle dans un art pluriel sans frontière. Le noyau de la proposition artistique est une suite d’immenses ’voiles’ de trois mètres où figurent des reproductions des artistes plastiques cubains et français, bien que des créateurs d’autres pays européens vivant en France y soient aussi représentés. Et nous parlons au présent parce qu’après la 12e Biennale de La Havane, Trois mers a déployé ses ’voiles’, tel un immense bateau ancien, pour faire le tour de l’Hexagone. À la fin de l’année dernière l’exposition a été exhibée, avec un succès total, dans le cadre de la Fête de L`Humanité, à Paris ; ensuite ce cargo de l’amitié a poursuivi son voyage.

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Les peintres cubains participants étaient : Roberto Fabelo, Alfredo Sosabravo, tous les deux lauréats du Prix National des Arts Plastiques, Flore Fong, Manuel López Oliva, Hilda Vidal, Aldo Soler, Moisés Finalé, Eduardo Abela, José Omar Torres, Vicente Hernández, Luis Enrique Camejo, Roberto González, Reinerio Tamayo, Juan Moreira, Alicia Leal, Rubén Alpízar, Ernesto García Peña, Roberto Diago, Julio Breff, Rogelio Fundora, Aziyadé Ruiz, Joel Ferrer, Francisco Gordillo, Gerlys Álvarez, et Alejandro Rodriguez Sardiña. Tandis que la France était représentée par des créateurs tels qu’Ernest Pignon Ernest, l’un de de plus célèbres dans son pays, Matthias Olmeta, Ingrid Meyer, C-Bost, Jean-Jacques Surian, Olivier Vin, Javier Mariscal, Zaza Noah, Loren, Acocnha, Richard Campana, Sandra Dooley, Marc Ingoglia, Ghani Ghouar, Ricardo Ponce, Hervé di Rosa, Abiy Gediyon, et Alla Gadjyev.

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La mer (l’amitié) protagoniste...

Le mot mer évoque de multiples réalités. Cerner le sujet est donc une tâche ardue quand il s’agit de l’art. Au-delà de ces considérations concernant cette énormité bleue qui baigne la planète, on peut en ajouter beaucoup d’autres. Tout dépend du point de vue de chacun. La mer est, avant tout, paradoxale. Elle peut être un havre de paix pour ceux qui s’en approchent désireux de regarder vers l’horizon. Cette considération est commune à tous les êtres humains, surtout lorsque l’on recherche un recoin tranquille pour évoquer des souvenirs au rythme de vagues, bercées par une brise fraîche. Mais, si nous prenons le large tout sera différent. Là, on découvrira sa force brutale, le bleu est plus intense et peut virer au noir, le mouvement est impétueux, la brise devient tempête quand les éléments se déchaînent. Plus de calme, plus de paix. Sans mentionner l’attraction qu’exerce le mystère éternel de ce qu’il y sous les flots. La mer garde des secrets de la vie et de la mort. Est-ce l’inconnu ?

Malgré tout, la mer a servi au fil du temps pour mettre en liaison les hommes des différentes régions de la Terre. Elle a été pont et moyen pour effacer les distances, pour atteindre des buts, elle constitue aussi une source d’alimentation, elle nous a fait rêver, penser, écrire, peindre… action, celle-ci, qui nous a rassemblés dans le cadre de la Biennale. Je vous présente les Trois Mers : celle des Caraïbes, celle de Chine et la Méditerranée. Si éloignés soient-elles les unes des autres, si différents soient-ils leurs noms, car l’homme a l’habitude de nommer les choses, elles ne constituent qu’un seul et même corps qui est en mouvement continu, qui est vivant, heureusement pour nous tous, qui court dans tous les sens, sans arrêt. Grâce à la mer on parcourt des distances, on relie des points et des hommes. Il en a toujours été ainsi. Il existe aujourd’hui des moyens plus rapides, emplis de technologie, qui traversent les cieux pour nous amener d’un lieu dans un autre. Autrefois c’était la mer, quand la voie terrestre n’était pas possible. Elle est toujours là, la mer. Les trois mers dialoguent avec ces nations dont elles baignent les côtes. Parfois ce sont des continents, plutôt que des pays. Et il y a, à l’intérieur, des hommes, des cultures, des sentiments, des rêves, des aspirations, des tristesses, des joies, des idées, des formes, des couleurs… qui dessinent et qui traduisent de différentes manières de voir et de construire le monde, selon la position géographique, la façon de le voir, de le vivre, de le sentir.

Une Biennale est un conglomérat de manières de faire, d’ouvrages qui sortent du plus profond de l’homme ; de ces êtres humains qui peuvent venir de n’importe où. C’est l’occasion d’atteindre, depuis un point, tout ce qui vibre autour de nous. Mais il y a des signes communs, il y a des moments où l’on répète les formes, il y a des symboles qui dénotent des similitudes, des espaces similaires… Et la mer apparaît, et l’homme à côté d’elle, depuis des temps immémoriaux. Parce que l’homme n’est jamais resté immobile au point où il est né. L’être humain a parcouru le monde et la mer l’a aidé à franchir les distances. Ces mers sont autant de témoins muets de tant d’exploits, d’aventures et de rêves ! D’un site à l’autre, les hommes se sont déplacés en portant des éléments culturels, en se mélangeant entre eux. Le mot mélange évoque par conséquent d’autres mots : amitié, amour, solidarité, avenir, …oublions les guerres cette fois-ci. Ils arrivent à la Biennale de La Havane chargés d’ouvrages qui dessinent des continents, des pays, des cultures, des ambassades, des arcs-en-ciel, des rêves…, qui se rassemblent comme des drapeaux chargés d’histoire et de vie, de passé et de présent, d’amour et d’amitié, comme des symboles imprégnés par la mer, comme de l’eau bénie qui nous purifie tous.

Dans la mer des Caraïbes toutes les mers se croisent, avec ou sans Biennale. Il en a été ainsi au cours des années ; c’est une zone de confluences de tous les continents. Nous autres, Cubains, sommes comblés de toutes ces influences. Il est donc beau de les recevoir maintenant sous forme d’œuvres d’art qui parlent d’une histoire commune, une histoire qui réunit dans une salle d’expositions les rêves et les expériences d’hommes qui portent dans leur sang les Trois Mers et tout ce qui vibre en elles. Grâce à la Biennale, et non pas à magie, les histoires se réunissent et racontent en images une vie commune dévoilée dans le temps. Regarder chacune des toiles de l’exposition c’est sentir comment le vent parcourt les espaces les plus intimes de chaque existence ; c’est sentir la brise marine qui nous a menés d’un lieu dans un autre en poussant les voiles des bateaux, où tout ce que nous voyons aujourd’hui est enregistré à force de vie. Il ne manque pas d’images qui nous apportent des expressions singulières et des conjectures, parce que la mer nous a fait rêver. Voilà les sirènes, des êtres étonnants, moitié poisson moitié femme, qui hantent l’imagination des hommes et qui vivent quelque part dans les océans ; et la pluie, qui fait partie de la mer accumulée dans les nuages et qui arrive comme une bénédiction pour la vie de l’homme. D’autres découvrent des allégories des religions qui sont aussi arrivées sur nos côtes par la mer, ou distinguent des traits d’une culture lointaine, ou masquent la véritable existence, ou peignent la transparence de de la profondeur pleine beauté et de vie, ou dessinent la mer avec les vagues et les plages de rêve, ou surveillent les silhouettes des villes depuis l’horizon, comme le feraient les poissons. Ou cette bouteille qui traduit l’idée de parcours des distances en gardant une vérité ou un souvenir sous forme de message… La mer apporte de nouveau des surprises ARTISTIQUES. Elle peut être traduite de manière abstraite ou figurative, naïve ou académique, selon les tendances les plus variées de l’art, où vibre l’empreinte de l’homme, de sa vaste existence. Trois Mers symbolise avant tout un geste d’amitié, un seul être humain, au-delà des races et des couleurs, des pensées et des idées. L’exposition renferme ce moment où l’homme se regarde comme s’il n’en était qu’un, mais teint de cette diversité qui nous recouvre. Nous sommes d’ici et d’ailleurs. De cette accolade entre des artistes cubains et français jaillissent les grandes lignes d’une origine variée : des asiatiques qui sont arrivés aux Caraïbes, des africains qui ont été arrachés de leurs maisons il y a des siècles, des migrants européens en quête de nouvelles terres, des antillais qui sont retournées dans le vieux continent. Parce que la vie s’avère un incessant aller et venir dans le monde, une éternelle image de migrations qui ont laissé leur empreinte.

Et la mer, dans son labeur silencieux, témoigne de l’épopée humaine, parce qu’elle a été le véhicule, le réceptacle et l’espace où l’homme a recherché et a trouvé le site idéal pour vivre. C’est la mise en scène principale d’une pièce qui s’est enrichie au cours des siècles. Nous portons donc les traces de maints lieux. C’est, pour le dire avec des termes actuels, l’ADN artistique qui nous identifie, nous convoque et nous rassemble aujourd’hui dans une salle d’expositions ; des traits communs, réunis au fil des siècles, qui amalgament la vie moyennant la mer.

(Une partie du texte est tirée du catalogue Trois Mers, écrit par l’auteur).

Toni Piñera

Par Toni Piñera

Conservateur et critique d’art de plusieurs sites web dont celui du quotidien Granma. Il est l’auteur de Flora Fong : peindre avec des yeux obliques et de Une touche orientale dans la peinture cubaine. Sur le peintre Agustín Bejarano, il a écrit Pionnier de l’art cubain et Tour de la terre graphique. Actuellement il est journaliste et critique d’art à l’hebdomadaire en ligne Opus Habana.

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