La Chine a toujours « apporté son soutien au gouvernement de La Havane ».

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Salim Lamrani, Docteur ès études ibériques et latino-américaine de l’Université Paris-Sorbonne et Maître de conférences à l’Université de La Réunion, travaille sur les relations entre Cuba et les États-Unis. Ce dernier a répondu aux questions de Chine-Magazine sur les relations entre la Chine et Cuba.

 

https://chine-magazine.com/2016/04/22/la-chine-a-toujours-apporte-son-soutien-au-gouvernement-de-la-havane/

Son dernier livre s’intitule « Cuba, parole à la défense », préfacé par André Chassaigne, Président du Groupe d’amitié France-Cuba à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un ouvrage de conversations avec dix personnalités cubaines et internationales sur Cuba, son histoire, son système, sa société, ses défis, ses relations avec les États-Unis et son futur.

 

Quels sont les liens entre la Chine et Cuba ? Et que représentent les échanges économiques et politiques entre les deux pays ?

 

Salim Lamrani : La Chine et Cuba sont deux pays amis, alliés d’un point de vue politique et économique. Dès le triomphe de la Révolution cubaine en 1959, la Chine a exprimé son soutien et sa solidarité au peuple de José Martí. Dès son arrivée au pouvoir, Fidel Castro a rompu les relations diplomatiques avec Taïwan et a décidé d’établir des liens avec la Chine.

Cet évènement historique est inscrit dans la « Déclaration de La Havane », document fondamental de l’histoire politique de l’Amérique latine du XXe siècle. Les deux nations ont ainsi instauré des liens officiels en 1960. Cette même année, le Che Guevara a réalisé une visite historique en Chine.

Les relations se sont ensuite distendues pendant près de vingt ans durant la Guerre Froide. Puis, à partir des années 1990, les deux pays ont renforcé leurs relations à tous les niveaux. En 1993, le Président Jiang Zemin a réalisé une visite historique à Cuba. En 1995, Fidel Castro s’est à son tour rendu en Chine. Ces deux visites ont contribué au développement des relations bilatérales. Aujourd’hui, la Chine et Cuba disposent de multiples accords de coopération politique, économique, technique et culturelle.

Au niveau économique, la Chine est le deuxième partenaire commercial de Cuba après le Venezuela. Cuba importe du riz, des équipements mécaniques (voitures, bus, machines agricoles, matériel de construction), électriques (produits électroménagers) ainsi que des produits textiles. De son côté, Cuba exporte du nickel et des médicaments. Le commerce bilatéral représente près de 2 milliards de dollars.

Sur la scène internationale, Cuba et la Chine sont de solides alliés qui partagent une vision commune de la nécessité d’un monde multipolaire régi par la force du droit international et la résolution pacifique des conflits. De la même manière, les deux pays sont très attachés aux principes de souveraineté nationale, de réciprocité et de non-ingérence. La Chine a toujours condamné la politique hostile des États-Unis contre Cuba, notamment les sanctions économiques. De son côté, Cuba a toujours soutenu la Chine dans ses revendications concernant Taïwan et le Tibet.

Les Cubains ont une grande admiration pour le peuple chinois, pour son histoire et sa culture. A Cuba, le Chinois est perçu comme quelqu’un de noble, travailleur et plein d’humilité. Il y a eu une émigration chinoise à Cuba au début de XXe siècle. D’ailleurs, la capitale cubaine dispose d’un quartier chinois que le Bureau de l’Historien de La Havane, dirigé par Eusebio Leal, préserve avec beaucoup de fierté car il fait partie de l’identité culturelle de Cuba.

 

La Chine met en avant son soft-power en Amérique Latine, devenant d’ailleurs le premier partenaire économique du Chili, qu’attendent les autorités cubaines de leur coopération avec la Chine ?

 

SL : Le gouvernement cubain est satisfait des relations actuelles avec la Chine qui est un partenaire historique, solide et fiable. En toute logique, La Havane aspire à renforcer ces liens à tous les niveaux. Le tourisme est devenu de plus en plus important et nul doute que les deux nations vont accroitre leur collaboration dans ce secteur. La Chine peut également apporter son expérience, son savoir-faire et sa puissance financière dans des domaines tels que les infrastructures et l’agriculture qui sont également des priorités pour Cuba.

 

Selon vous, quel intérêt a la Chine pour Cuba ?

SL : D’un point de vue économique, Cuba est une nation relativement modeste. Son PIB est de 70 milliards de dollars, soit un chiffre bien inférieur à celui du Brésil (2 250 milliards), du Mexique (1 260 milliards) ou l’Argentine (610 milliards). L’île n’est donc pas une priorité économique pour La Chine.

Néanmoins, Pékin est conscient de l’importance politique de Cuba en Amérique latine. Il s’agit de la porte d’entrée du continent, en raison de son autorité et de son prestige. Tout pays qui aspire à entretenir de bonnes relations avec les pays latino-américains doit privilégier les rapports cordiaux avec La Havane. C’est ce qui explique, par exemple, la visite historique du Président français François Hollande à Cuba en mai 2015. C’est également pour cette raison que les États-Unis ont décidé d’établir un processus de dialogue avec Cuba depuis décembre 2014.

Ensuite, des liens politiques, historiques et affectifs lient les deux pays. Cuba et la Chine sont très attachées à ce type de relations qui dépasse le cadre économique.

 

En juillet 2014, près d’une trentaine de contrat ont été signé, un an auparavant Xi Jinping a rencontré Fidel Castro, ces évènements n’ont-ils pas poussé les États-Unis à s’allier rapidement avec Cuba, quand on sait que l’Amérique latine est désormais le nouveau terrain de la politique extérieure chinoise ? 

 

SL : Je crois que c’est surtout l’isolement des États-Unis sur la scène internationale et en particulier en Amérique latine avec une grande perte d’influence qui a amené Washington à se rapprocher de Cuba. Il convient de rappeler qu’en octobre 2015, pour la 24ème année consécutive, 191 pays sur 193 ont voté contre les sanctions économiques que les États-Unis imposent à Cuba depuis plus d’un demi-siècle et qui affectent tous les secteurs de la société et les catégories les plus vulnérables de la population.

De son côté, la Chine a toujours condamné les sanctions contre Cuba et a apporté son soutien au gouvernement de La Havane.

Ainsi, au lieu d’isoler Cuba, la politique agressive des États-Unis a isolé Washington. Y compris les plus fidèles alliés de Barack Obama demandent la fin de l’état de siège qui étouffe la population cubaine. Les critiques sont également très fortes au sein de la société étasunienne. L’opinion publique est favorable à plus de 70% à une normalisation des relations avec Cuba car elle ne comprend le maintien d’une politique qui remonte à la Guerre froide.

Le monde des affaires aux États-Unis est également favorable à un rapprochement avec Cuba et à une levée des sanctions car il voit un marché naturel et proche de 11 millions d’habitants qui est investi par les multinationales étrangères. Les grands médias tels que le New York Times, le Washington Post et le Los Angeles Times qui sont des faiseurs d’opinions ont également exprimé leur opposition à toute politique hostile à l’égard de Cuba.

Toutes ces raisons ont amené le Président Barack Obama à mettre en place un processus de rapprochement avec La Havane afin de résoudre pacifiquement les différends et mettre un terme à une politique anachronique, cruelle et obsolète.

 

 

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba, parole à la défense !, Paris, Editions Estrella, 2015 avec une préface d’André Chassaigne.

Contact : lamranisalim@yahoo.fr  ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr

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