« Les sanctions économiques sont cruelles car elles affectent les catégories les plus vulnérables de la population cubaine »

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Voice of America, qui a débuté ses émissions en 1942, est un service multimédias international financé par le gouvernement des Etats-Unis à travers le Broadcasting Board of Governors.

La VOA diffuse environ 1 500 heures de nouvelles, d’informations, de programmes culturels et éducationnels chaque semaine, à l’intention de quelque 125 millions d’auditeurs, de téléspectateurs et de lecteurs.

Voice of America : Remontons un petit peu l’histoire. Plus d’un demi-siècle de rupture diplomatique. Pouvez-vous nous rappeler les dates-clé de ce blocage entre les deux pays ?

Salim Lamrani  : il convient de rappeler que le différend qui oppose les Etats-Unis à Cuba remonte au XIXème siècle car l’île a été le premier objectif de la politique étrangère de Washington. Les Pères fondateurs ont toujours vu Cuba comme étant l’appendice naturel à ajouter à l’Union américaine. Thomas Jefferson en avait parlé en 1805. Nous connaissons également la théorie du « fruit mûr » de John Quincy Adams.

Au XXème siècle, durant la période républicaine, les Etats-Unis avaient soutenu la dictature militaire de Fulgencio Batista et s’étaient opposés à l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro bien avant 1959. Permettez-moi de citer Allen Dulles, alors directeur de la CIA, en décembre 1958 : « Nous devons empêcher la victoire de Castro ».

Quand Fidel Castro arrive au pouvoir en 1959, il se heurte immédiatement à l’hostilité des Etats-Unis, qui avaient, dans un premier temps accueilli les dignitaires de l’ancien régime et qui avaient immédiatement imposé des sanctions économiques contre Cuba. Permettez-moi de rappeler le constat lucide de l’ancien président John F. Kennedy qui avait déclaré la chose suivante : « Nous aurons dû réserver un accueil plus chaleureux à Fidel Castro car cela nous aurait évité pas mal de problèmes ».

VOA : Avançons un peu. On se retrouve très vite à l’embargo. Comment cela se passe-t-il à ce moment-là ?

SL : Les Etats-Unis ont imposé des sanctions économiques à Cuba dès 1960. Il est important de rappeler que la rhétorique diplomatique de Washington pour justifier l’hostilité vis-à-vis de Cuba a fluctué au fil des ans. En 1960, lorsqu’Eisenhower a imposé les premières mesures de rétorsion économique, il avait évoqué le processus d’expropriation et de nationalisation des entreprises américaines. Ensuite, Kennedy évoqué l’alliance avec l’Union soviétique pour justifier l’imposition de sanctions économiques totales en 1962. Dans les années 1970 et 1980, on a fait allusion à l’interventionnisme de Cuba en Afrique en soutien aux mouvements indépendantistes. Depuis 1991 et l’effondrement de l’Union soviétique, les Etats-Unis justifient le maintien d’une politique hostile contre Cuba en raison de la démocratie et des droits de l’homme.

Il est donc important de rappeler que cette rhétorique diplomatique a fluctué au fil des ans.

Aujourd’hui, le Président Obama a fait un constat très lucide sur la politique des Etats-Unis. Il s’est rendu compte qu’elle avait été inefficace. Elle est obsolète car elle remonte à l’époque de la Guerre froide.

VOA : Cuba est-elle encore ce bastion communiste de la Guerre froide ?

SL : L’Amérique latine a changé depuis un demi-siècle. Cuba est évidemment une société différente avec un système politique et un modèle de société distincts de celui des Etats-Unis. Il y a à l’évidence deux conceptions complètement différentes de la démocratie. Les deux présidents l’ont d’ailleurs souligné lors de leur conférence de presse.

Je crois que Washington a compris qu’il fallait baser les relations avec La Havane sur un principe de réciprocité, d’entente cordiale et de dialogue. La politique d’hostilité a échoué.

Il y a aujourd’hui une majorité au sein de l’opinion publique des Etats-Unis qui est favorable à une normalisation des relations avec Cuba. Cela dépasse le clivage Démocrates/Républicains. De nombreux Etats à majorité républicaine, notamment dans le Midwest souhaitent avoir des relations normales avec Cuba pour des raisons économiques évidentes.

VOA : L’embargo n’a pas encore été levé et, sur le plan économique, cela risque de prendre du temps. Quelles seraient les conséquences pour l’île si le processus impulsé par Barack Obama n’allait pas à son terme ?

SL : Les sanctions économiques constituent le principal obstacle au développement du pays. Elles sont unanimement condamnées par l’immense majorité de la communauté internationale. En octobre 2015, pour la 24ème année consécutive, 191 pays sur 193, y compris les plus fidèles alliés des Etats-Unis, ont exigé de Washington un changement de politique et une levée de ces sanctions.

Les raisons sont évidentes. Ces sanctions sont anachroniques car elles remontent à la Guerre froide. Elles sont cruelles car elles affectent les catégories les plus vulnérables de la population cubaine, et non les dirigeants. Enfin, elles sont inefficaces dans la mesure où l’objectif initial de renverser la Révolution cubaine a échoué.

Le constat actuel est édifiant : au lieu d’isoler Cuba sur la scène internationale, ces sanctions ont isolé les Etats-Unis.

Le Président Obama a adopté des mesures constructives concernant la levée de certaines restrictions. Mais, malheureusement, les sanctions sont toujours en vigueur. Il est vrai qu’il y a l’obstacle du Congrès mais je crois qu’il reste marginal. Le Président des Etats-Unis, en tant que chef de l’exécutif, dispose de toutes les prérogatives pour démanteler 90% de ces sanctions. Il y a très peu de secteurs qu’il ne peut pas atteindre.

VOA : Etes-vous d’accord pour dire que Barack Obama a posé un acte historique, même si l’avenir de Cuba suscite encore beaucoup d’interrogations ?

SL : Indéniablement. Le Président Obama a mis un terme à une anomalie historique. Il a rétabli le lien avec le peuple cubain. Il a reconstruit le pont rompu en 1959 et je crois qu’il marquera l’histoire comme étant le président qui aura adopté l’approche la plus constructive pour résoudre un différend qui date de plus d’un demi-siècle. S’il est une chose que nous devons retenir de la présidence de Barack Obama, cela sera le processus de normalisation des relations avec Cuba.

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba, parole à la défense !, Paris, Editions Estrella, 2015 avec une préface d’André Chassaigne.

Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr

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