Histoires de l’Hanabanilla : d’où vient le café cubain

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Un autre article sur le café, publié sur le site CUBANIA avec une traduction de BF

L’Escambray : un massif qui recèle de nombreux mystères

Le massif de l’Escambray et les coteaux environnant produisent de grandes quantités de café, une boisson consommée dans pratiquement le monde entier et que l’on pourrait qualifier d’infusion nationale des Cubains.

Tel un loup solitaire, Lisván arpente les montagnes du massif de l’Escambray. Depuis qu’il s’est installé dans la région, cet ancien alcoolique résidant à Cumanayagua -une ville de la province de Cienfuegos- n’a plus touché à la boisson.

Propriétaire d’une petite maison en bordure du barrage Hanabanilla, il ne quitte plus ses montagnes qu’en cas de nécessité absolue. Lisván n’a que ses pieds pour se déplacer : si le temps presse et que le niveau des eaux le permet, il prend la navette. Si ce n’est pas possible, il devra emprunter une barque à un voisin et ramer dans l’immensité de la mer d’eau douce.

Lisván a de petits yeux et les mains potelées. Son sac sur le dos, il marche le long du sentier et assure que c’est l’Escambray qui l’a éloigné de l’alcool. Est-ce la fraîcheur de ses collines et des eaux de l’Hanabanilla qui l’ont sorti de l’ornière ? Ou bien l’austérité de sa solitude et du travail sans relâche ? Lisván ne saurait le dire.

Dans son exploitation, baptisée El Junco, il plante et récolte du café. Avant de s’enfoncer dans la végétation verdoyante de l’Escambray, qui semble le préserver de ses mauvais penchants, Lisván nous explique qu’il cultive plusieurs variétés : le Caturra, le Café bonbon, et l’Isla 614, un arabica destiné à l’exportation qui domine désormais sur les terres d’El Junco.

Le massif de l’Escambray et les coteaux environnant produisent de grandes quantités de café ***

C’est sur les versants de Sitio Marco que le père de Claro a créé sa plantation de café au cours des années 1933-1934. Après cinq kilomètres de montée constante on parvient sur les terres de La Potencia (La Puissance), une exploitation qui porte bien son nom, car il faut bien de l’énergie pourgravir la pente raide qui semble défier le marcheur. Et de l’énergie, Claro en a.

Malgré ses 80 ans, Claro sillonne encore les sentiers de l’Escambray et il récolte toujours le café à La Potencia. Lorsqu’il comptait 30 ou 40 printemps, Claro a quitté ses terres pour travailler dans les mines, mais les années passées près de la rosée et des caféiers l’ont fait revenir sur les pentes escarpées de La Potencia.

Il n’y a plus autant de café qu’avant, se souvient Claro, et il évoque les jours où son père fournissait plus 1000 latas (unité de mesure équivalant à 4,4 kg). « À l’époque, il n’y avait même pas d’engrais et les cyclones étaient plus forts » assure Claro.

Lors de sa dernière récolte, Claro n’a ramassé qu’une vingtaine de latas de café d’or, une variété très appréciée. La quasi-totalité de cette récolte est destinée au dépulpage, explique Claro.

On peut se rendre à La Potencia soit en bateau soit à pied, mais le trajet terrestre est plus long car il faut longer les rives du lac pour parvenir à la plantation. Claro vit en contrebas de l’hôtel Hanabanilla et il possède une barque héritée de son fils Michael qui a quitté Cuba pour l’Espagne il y a peu. Lorsque la barque est à sa disposition, il rejoint plus rapidement les terres de La Potencia, où il cultive, en plus des caféiers, des haricots, des bananiers et du macabo.

Claro a 80 ans et il nous semble voir un sexagénaire. Ses yeux bleus sous les verres de ses lunettes révèlent le savoir inné des hommes qui ont grandi dans l’Escambray, un massif qui recèle de nombreux mystères.

Aujourd’hui, Claro n’ira pas à La Potencia : c’est dimanche et il pleut. La bruine persistante a couvert de boue les sentiers de l’Escambray, les rendant presque impraticables.

Demain lundi, le beau temps sera sans doute de retour. Claro se lèvera tôt et les premières lueurs du soleil n’auront pas encore percé qu’il sera déjà au milieu des caféiers, frôlant les feuilles sur lesquelles perlera encore la rosée matinale…

Hanabanilla : l’immensité de la mer d’eau douce
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Le massif de l’Escambray et les coteaux environnant produisent de grandes quantités de café, une boisson consommée dans pratiquement le monde entier et que l’on pourrait qualifier d’infusion nationale des Cubains.

L’Escambray abrite une grande diversité de caféiers : on y trouve plusieurs variétés d’arabica, l’Isla 614, le robusta, les Caturras rouge et jaune et le café d’or.

L’Isla 614, cultivé par Lisván, est produit par une greffe réalisée sur l’arabica afin d’élever les rendements et la qualité des grains. Son utilisation permet aussi de limiter la dégradation des sols en terrain escarpé, un relief que l’on retrouve dans presque tout l’Escambray.

Quant au café d’or, c’est sans doute le plus prisé au monde. C’est cette variété qui est à l’origine du café Crystal Mountain, une marque phare du marché japonais, l’un des plus importants au monde.

Claro, qui cultive cette variété, ignore à combien s’élève son cours sur le marché nippon : une tonne de Crystal Mountain se négocie entre 14 000 et 16 000 dollars. Ce qui l’intéresse, c’est d’arracher quelques kilos de café par jour aux pentes de La Potencia avant de redescendre chez lui, à proximité de l’Hôtel Hanabanilla.

Claro est incollable sur ces montagnes et leurs histoires ; loquace, il a le contact facile. Lisván en revanche est plus réservé. Agé de 47 ans et habitant la région depuis moins longtemps, il connaît peut-être moins bien l’Escambray que Claro, son aîné de 33 ans. Claro est né ici, sur la colline de Sition Marco alors que Lisván est venu de Cumanayagua. Malgré ces différences, les deux hommes sont unis par une même passion, le café et par cette dualité entre l’eau et la terre qui caractérise les habitants des rives du grand lac, une immense étendue d’eau douce qui semble leur appartenir. Tous deux cultivent les caféiers et sillonnent, en loup solitaire, les montagnes de l’Escambray.