Victor Hugo : Quand des critiques littéraires se lâchent.

C’est la faute à Gourdin

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Dès la première ligne des trois premières pages - qui ne sont ni un prologue ni une introduction- du livre de Henri Gourdin « Les Hugo » (Grasset, 2016), l’auteur donne le la , le ton, des 478 pages de son ouvrage, qui lui aura coûté dix ans de travail. Et aujourd’hui, une levée de boucliers des hugolâtres. Car on peut être hugolien sans être hugolâtre.

« Les Hugo » est-il pour autant une entreprise de démolition, un pamphlet ? Qui se revendiquerait comme tel. Non. Mais pourquoi les 12 lignes bien sages de la 4e de couverture (« ces pathétiques exhortations à lire qu’on colle au dos des livres », Daniel Pennac) sont –elles trompeuses ? Elles ne reflètent en rien le regard incisif de Henri Gourdin sur les familles Hugo, à commencer bien sûr par le monumental Victor H., cible n° de Henri Gourdin.

Plusieurs critiques littéraires, qui probablement ont l’habitude d’ignorer « la 4e de couv » (ce n’est pas le cas de tous) ont heureusement lu le « vrai » livre de Henri Gourdin. Ils se lâchent, car Henri Gourdin leur en donne l’occasion et la matière, on l’appellera une « gourdinade ». 

Coups de gourdin sur Victor Hugo

Par Michel Porcheron

[Pour ceux, très peu nombreux, qui auraient manqué le début (8 mai 2016) :

http://cubacoop.org/spip.php?page=article&id_article=2757 ]

Si certains critiques littéraires signent des chroniques plutôt conformistes sur le livre « Les Hugo » de Henri Gourdin (Grasset, 2016, 477 pages), à l’instar de Vincent Roy de la revue Transfuge (« Une passionnante biographie des Hugo (qui) se lit comme une histoire de notre pays. Ce roman familial inédit est captivant » ou de Baptiste Liger de Lire (« Un passionnant essai biographique sur la famille de Victor Hugo, remarquablement écrit, habilement sourcé et construit personnage par personnage »), d’autres critiques, ah les misérables, sont franchement plus directs, incisifs, n’y vont pas de main morte, par quatre chemins, soulignant les grands mérites et la valeur de l’ouvrage d’Henri Gourdin. Ils se payent la tête à « Toto », c’est la faute à Gourdin et à sa « gourdinade » !

Les chroniques de ces derniers ont si peu à voir avec celles des critiques cités plus haut qu’on peut se poser la question : ont-ils lu le même livre ?

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« Le coup passa si près que le chapeau tomba »

Aperçus et avant-goûts

« Dans un essai qui égrène, chapitre par chapitre, l’histoire de chacun des membres de la famille Hugo, celui consacré à Victor n’est pas piqué des vers. Attention, démolition » (Pierre Vavasseur, Le Parisien)

« Dans son gros livre, Henri Gourdin, biographe sans concession, en l’occurrence trop bien nommé, c’est comme s’il réglait des comptes personnels avec le grand poète national » (Bruno Frappat, La Croix)

« Dans « Les Hugo », Henri Gourdin règle son compte à la légende édifiée par Victor à la gloire de Hugo. Et dont pâtit cruellement sa famille. C’est peu de dire que cet étonnant biographe déteste l’objet central de son enquête. Henri Gourdin ne peut pas voir Victor Hugo en peinture » (Jean-Luc Porquet, Le Canard Enchaîné)

Après ces amuse-gueules, les bons petits plats

« Dans la famille Hugo, je demande… » titre le quotidien La Croix pour qui « il vaut mieux ne pas demander le grand-père Victor »

« Il a trop de qualités et trop de défauts entremêlés. Il est devenu un personnage principal du roman national de la France, avec ses clichés, ses traits automatiques, ses vérités et ses faux-semblants. Ses légendes tenaces aussi. C’est surtout à ces dernières qu’Henri Gourdin, biographe sans concession, en a particulièrement.

Dans son gros livre consacré à la totalité des membres de cette famille mythologique, c’est comme s’il réglait des comptes personnels avec le grand poète national, écrit Bruno Frappat, qui poursuit :

Résumons l’argument de M. Gourdin, en l’occurrence trop bien nommé : tout ce que la France honore en Hugo père de famille exemplaire, grand-père admirable, époux charmant et romantique (forcément), tout cela masque la vérité vraie qui est que notre grand Hugo était un père odieux, un « tyran domestique » qui contraignit femme et enfants à le suivre, ainsi que sa maîtresse, dans l’exil contre leur volonté profonde, orienté exclusivement qu’il était à organiser sa gloire, à peaufiner pour les siècles à venir sa stature. On dirait aujourd’hui que Victor Hugo ne pensait à lui-même qu’en termes de marketing et de « com ». Comment apparaître comme l’incarnation même des vertus de liberté et de République, lui qui a, dans ses débuts, servi la royauté puis l’Empire ?

Selon Bruno Frappat, le livre de biographies croisées tricoté par Henri Gourdin nous retrace les destins de toutes ces planètes qui tournèrent autour du grand soleil et qui s’appelaient Adèle Foucher, son épouse trop serviable au point qu’elle accepta durant des décennies le voisinage avec Juliette Drouet, la maîtresse du grand homme, Léopold le premier enfant, né très vite après le mariage des Hugo et confié imprudemment à un grand-père (le général Hugo « au regard si doux », ce « héros », une brute qui réprima dans le sang plusieurs révoltes nationalistes en Europe, à commencer par celle d’Espagne).

Était-il le vrai père de Victor ?

Le biographe vengeur en doute , ajoute B.Frappat : il esquisse le scénario d’un enfant naturel né des rapports entre Adèle et le général Lahorie, parrain de Victor, ami du général Hugo, pourchassé par le régime de Napoléon le petit, réfugié chez les Hugo, arrêté, fusillé. Victor et Adèle ont péché au moins par imprudence en le confiant à l’aïeul général. Le bébé maltraité fut enterré à la sauvette en l’absence des parents qui avaient sans doute mieux à faire ce jour-là. La vie leur donna l’occasion de se venger de ce deuil avec l’apparition d’une petite Léopoldine chargée du fardeau de la substitution du Léopold massacré.

Le poids que cela pouvait représenter…

Sur Léopoldine, nous croyons tout savoir, considère B.Frappat.

Quel Français un peu cultivé ou studieux à l’école ignore ce qui lui arriva en 1843 peu de temps après son mariage avec Charles Vacquerie dont l’imprudence fut à l’origine du naufrage de la barque sur laquelle ils s’embarquèrent après l’avoir lestée maladroitement de boulets qui roulèrent aux moindres secousses. Aux yeux d’Hugo, un crime de la bêtise et de l’entêtement d’un gendre qu’il méprisait.

Pour la France, un drame national, sentimental, qui dure encore, le talent du poète s’étant mis à nous le décrire à l’envi. Mais pourquoi les parents de la belle Léopoldine n’assistèrent-ils pas à ses obsèques à Villequier et ne se rendirent-ils sur place qu’un an après le drame ? Ce n’est pas la peine de verser tant de larmes de papier si l’on n’est pas capable de s’abstraire de ses activités – littéraires ou adultérines… – pour aller rendre hommage à la jeune morte coulée en Seine comme un caillou, non loin de Paris.

Alors, chiqué, l’amour de Victor pour sa femme et ses enfants, dominé par les exigences d’une carrière qui ne pouvait jamais attendre ? Interroge le chroniqueur de La Croix. L’explication serait trop courte. Il y a chez Victor, comme chez tout un chacun, des fêlures inaugurales qui retentissent d’âge en âge et de paternité en descendance. Enfant, fils ou fille, de Victor Hugo !

On a encore du mal à imaginer aujourd’hui le poids que cela pouvait représenter dans le siècle qui fut le sien et qu’il domina de son talent phénoménal jusqu’à ses obsèques sensationnelles en 1885. Bruno Frappat

Pour Le Parisien, le titre est plutôt impertinent :

« Quel salaud, ce Victor Hugo ! »

Dans un essai qui égrène, chapitre par chapitre, l’histoire de chacun des membres de la famille Hugo, celui consacré à Victor n’est pas piqué des vers. Attention, démolition.

Pour Henri Gourdin, l’auteur des « Contemplations » était un personnage « machiavélique » porté par un « orgueil démesuré »

Pour Pierre Vavasseur, « le panthéon en est tout décoiffé. Victor Hugo, cette légende des siècles, statue du Commandeur de la littérature française, né à Besançon (Doubs) le 26 février 1802 et décédé à 83 ans le 22 mai 1885 à Paris, rassemblant 2 millions de personnes à ses funérailles, vient de se prendre un sérieux coup de Gourdin.

Les riverains des 2 454 rues, avenues et autres sites, sans compter 1 900 monuments, tous baptisés du nom de l’auteur des « Misérables », ne diront pas merci à ce biographe averti (du peintre Eugène Delacroix ou encore du violoncelliste Pablo Casals) qui ratiboise sans vergogne le mythe du bon patriarche.

Gourdin dézingue

Déjà auteur d’ouvrages consacrés à deux figures phares du clan hugolien — ses filles Adèle et Léopoldine —Henri Gourdin, 65 ans, qui vit à Tarbes, délaisse la brosse à reluire et passe le tombeau sacré au gant de crin dans un livre qui fait le tour de la famille.

Dans le chapitre consacré à Victor, relève P. Vavasseur, Gourdin dézingue « l’auteur le plus étudié de la langue française et très certainement l’écrivain le plus connu des Français ». Non, mille fois non ! s’insurge- t-il en substance, Hugo n’avait rien de « l’être surnaturel, proche de la perfection ».

Au téléphone, Gourdin persiste et signe. Hugo était un personnage « machiavélique » porté par « un orgueil démesuré », bouffi d’« autosuffisance » et capable de toutes les minauderies : « Il était très caressant avec sa femme, sa maîtresse et ses enfants mais c’était pour mieux arriver à ses fins par des voies détournées ».

Et d’évoquer le cas de la malheureuse Adèle, popularisée au cinéma par le visage d’Isabelle Adjani dans « l’Histoire d’Adèle H », de François Truffaut (1975). « Regardez leur correspondance ! Elle en dit plus qu’un long discours. Quand elle s’évade de Guernesey (NDLR : où l’auteur des « Contemplations », proscrit par Napoléon III, avait emmené toute sa famille en exil), on voit bien qu’il est humilié d’avoir perdu la partie. »

Côté amour, c’est rock’n’roll. Hugo, rappelle son contempteur, remplace Adèle Foucher, l’amour de jeunesse réduit à « une servitude conjugale », par l’actrice Juliette Drouet et n’en papillonne pas moins de-ci de-là. Le saint patron de tous les Gavroche s’est employé, dans son œuvre, à faire de son propre père, le général Léopold Sigisbert Hugo, un héros de la liberté. Alors que le papa réprimait à la schlague, là où on l’envoyait, le moindre soulèvement.

L’auteur évoque aussi la passion d’Hugo pour les esprits. Cet homme dit de raison faisait tourner les guéridons « à un pied et à trois doigts ». Déjà psychiquement fragilisée par la solitude, Adèle se frotta, elle aussi, à ces expériences. L’un des participants à ses séances en devint fou.

Sur le charisme politique d’Hugo, c’est la même limonade, ajoute le journaliste du Parisien.

« Inséparable de son image, il brille à travers les siècles de l’éclat de son éloquence, de la rondeur de sa phrase, et de pauvreté de ses programmes. » Mais pour s’occuper de lui, s’extasie Gourdin, Hugo était un maître. « Il est le premier grand communicant de l’histoire de la littérature. Il a tout inventé ! Mais pour son propre intérêt ! Pour un Zola ou un Balzac, il se gardait bien de faire quoi que soit ».

Y a- t-il donc tout à jeter chez Hugo ? « Non, tempère son accusateur. Je reste un admirateur de sa poésie. » C’est la raison sans doute pour laquelle ce portrait n’est pas piqué des vers »Pierre Vavasseur.

Le titre de la chronique du Canard Enchaîné est un titre maison, « Hugo à gogo »

« Dans « Les Hugo » (Grasset), Henri Gourdin règle son compte à la légende édifiée par Victor à la gloire de Hugo. Et dont pâtit cruellement sa famille ». Ainsi commence le papier de Jean-Luc Porquet

C’EST peu de dire, estime-t-il, que cet étonnant biographe déteste l’objet central de son enquête. Henri Gourdin ne peut pas voir Victor Hugo en peinture. Que sa ville natale, Besançon, ait « sa rue Victor - Hugo, sa place Victor-Hugo, son lycée Victor-Hugo, son collège Victor-Hugo, son cinéma Victor-Hugo, ses statues à l’effigie de Victor Hugo », et aussi son musée Victor-Hugo, l’insupporte : « Se ranger sous la bannière d’un homme qui n’y vécut que six semaines et n’y mit jamais le pied ! » Qu’il ait « donné son nom au plus grand nombre de lieux en France », avec 2 454 rues, avenues, places, impasses, boulevards, allées, l’énerve.

J.L Porquet poursuit : Gourdin s’interroge : « Pourquoi cet engouement ? Pas pour l’importance de l’œuvre : Rabelais, Montaigne, Chateaubriand ont fait au moins aussi fort, Balzac beaucoup plus fort. Pas par l’action politique : Chateaubriand, Lamartine, Zola ont fait mieux et plus. Alors ? »

Hugo a su entretenir une légende

Et de fournir sa réponse : « C’est parce qu’il a su forger et entretenir une légende. » Et ce grâce à une « stratégie de communication qui fut une des premières et qui reste une des plus avisées de l’Histoire ». Même son look était fabriqué : « La grosse pièce rapiécée aux coudes et le chapeau fatigué, le cheveu et la barbe hirsutes continuent l’habit arménien de Jean-Jacques Rousseau et préfigurent la moustache de Brassens, la chemise immaculée de BHL. »

S’il n’y avait que ça ! s’exclame le journaliste du Canard. Mais, sur sa vie, Hugo a énormément enjolivé, affabulé, menti. En bon détective, Gourdin traque tous les écarts avec la vérité. A commencer par ceux qui concernent Léopold, le père. Un général de l’Empire, certes, et Victor s’enorgueillissait de cette prestigieuse ascendance. Mais la Révolution et l’Empire fabriquèrent des généraux par milliers !

Mon père fut « un sage pur », « un penseur vrai », ne cessa d’affirmer Hugo. Faux, affirme Porquet : il fut un « serviteur actif de la tyrannie impériale » qui, en Vendée, en Espagne, en Italie,« a ordonné et dirigé la répression de soulèvements civils ». En prime : père absent, époux violent, chez qui mourut, à 3 mois, son propre petit-fils Léopold, le premier fils de Victor, qu’il faisait bêtement nourrir au lait de chèvre. Episode, note Gourdin, curieusement oublié par tous les biographes hugolâtres de Hugo...

(Dessin de Pancho)

Après avoir passé en revue la mère de l’écrivain, l’ami très proche de celle-ci (et vrai père de Victor ?), Victor Lahorie, puis l’épouse sacrifiée, Adèle Foucher, dont la vie ne fut qu’une longue « servitude conjugale », le biographe parcourt toute sa descendance, cette question en tête : quelle peut être la résonance, à travers les générations, d’une personnalité aussi écrasante ?

Folle, Adèle ne l’était pas

Pour les quatre enfants : drames, vide, folie, malédiction. Léopoldine meurt noyée à 19 ans. Après avoir beaucoup photographié son père et fait tourner les tables, le nonchalant Charles meurt à 45 ans. Le frêle François-Victor s’ennuie tellement à Guernesey qu’il traduit tout Shakespeare et meurt, lui aussi, à 45 ans. Adèle (…) fuit à 33 ans la férule du paternel : il la maudit et la fera interner dans une maison de fous, alors que, assure Gourdin, folle, « elle ne l’était pas ».

Les petits-enfants ? Cette Jeanne, si présente dans « L’art d’être grand-père », ne fait pas grand-chose à part se marier trois fois. Le fantasque Georges, l’unique petit-fils du père Hugo, passe sa vie entière à dilapider son fabuleux héritage.

Ce n’est qu’à partir de la troisième génération, note Gourdin, que, détachés de la grande figure hiératique, les descendants de Hugo font preuve d’une « sérénité enfin féconde » (…) « Si quelqu’un m’avait dit que ces questions occuperaient dix années de mon existence (...), je ne l’aurais pas cru », note le biographe.

C’est vertigineux, en effet, cet entrelacement de destinées tragiques et lumineuses à la fois, qui en dit long sur deux siècles d’histoire, et l’âme humaine, et le flot incessant de nos vies. En un mot : hugolien ! Jean-Luc Porquet .

http://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/Dans-la-famille-Hugo-je-demande

http://www.leparisien.fr/espace-premium/culture-loisirs/quel-salaud-ce-hugo-

Par ailleurs VOIR AUSSI (Libération) :

http://next.liberation.fr/arts/2016/05/24/les-hugo-canal-artistique_1454877

(mp)

PDF - 374.3 kio
Gourdin VS Hugo