« L’Homme qui rit » de Victor Hugo parmi les lectures « pour temps troublés »

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« L’Homme qui rit » de Victor Hugo parmi les « Lectures pour temps troublés »
Repéré par Michel Porcheron
Le quotidien Le Monde a sollicité des écrivains, des artistes et des scientifiques pour savoir quels auteurs les aident à « tenir bon » dans une période souvent perçue comme difficile à saisir et menaçante.
Selon eux, quels livres pourraient donner du sens à ce que nous traversons, communiquer de la force, de l’espoir ou de la joie ?
Dans un numéro spécial du « Monde des livres » (14/15 juillet 2016), 19 personnalités présentent leur livre « pour temps troublés ».
« L’Homme qui rit » (1868) de Victor Hugo est prescrit par Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse. Elle a intitulé son texte « Hugo, plus que jamais d’actualité ». (mp)

« L’Homme qui rit » de Victor Hugo parmi les lectures « pour temps troublés »

Posté par Michel Porcheron

« L’Homme qui rit » (1868) de Victor Hugo fait partie des 19 livres prescrits par autant d’écrivains, artistes et scientifiques, sollicités par le quotidien Le Monde sur le thème « Lectures pour temps troublés ».

C’est Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse qui a choisi ce livre de Victor Hugo.

Le Monde des Livres (14/15 juillet 2016, numéro spécial) que dirige Jean Birnbaum, a en effet demandé à ces 19 personnalités quels auteurs les aident à « tenir bon » dans « une période souvent perçue comme difficile à saisir et menaçante ».

« Selon eux, quels livres pourraient donner du sens à ce que nous traversons, communiquer de la force, de l’espoir ou de la joie ? »

Par Elisabeth Roudinesco

« Quand Jean Birnbaum m’a demandé de participer à cet ensemble, j’ai aussitôt pensé à L’Homme qui rit, le roman le plus fou, le plus baroque et le moins aimé de Victor Hugo, celui qui construit une épopée de la conscience de soi occidentale, incarnée autant par des sujets singuliers que par leur ancrage dans l’histoire des Lumières européennes. En un mot, Hugo, l’exilé de Guernesey devenu républicain, amoureux des familles, des animaux et des anormaux, orfèvre dans l’art des inversions identitaires, raconte ici l’Angleterre « d’après sa révolution et d’avant la nôtre ». L’ouvrage devait être inséré dans une trilogie politique, un premier livre traitant de l’aristocratie, un deuxième de la monarchie et un troisième de la révolution (Quatrevingt-treize).

Le livre relate donc les grandeurs et les misères du royaume d’Angleterre à travers le destin de plusieurs personnages. A la fin du XVIIe siècle, Ursus, saltimbanque misanthrope, guetteur de rêves et comédien, couvert de peaux d’ours, voyage dans une cahute, accompagné de son fidèle compagnon, un loup immense, qu’il a nommé Homo.

Ursus est la bête et Homo l’homme. Il recueille Gwynplaine, enfant de 10 ans abandonné par des Compra-chicos (voleurs d’enfants), après avoir été défiguré pour ressembler à un clown au rire permanent. L’enfant porte dans ses bras un bébé aveugle (Dea). Ursus décide qu’il sera le père de ces deux enfants et qu’Homo sera leur oncle : famille sublime et atypique, illuminée par l’amour. Dans la cahute, les enfants passent leur première nuit.

« Une nuit de noces avant le sexe. Le petit garçon et la petite fille, nus et côte à côte, eurent pendant ces heures silencieuses la promiscuité séraphique de l’ombre (...). Ils étaient mari et femme de la façon dont on est ange. »

Tableau frénétique

Pendant des années, la troupe présente dans les villages un spectacle, Chaos vaincu, où est narrée l’histoire de l’homme qui rit, de la jeune fille aveugle, de l’ours et du loup. Devenu célèbre, Gwynplaine apprend qu’il s’appelle Fermain Clancharlie et qu’il est issu d’une des plus illustres familles de la noblesse, héritier d’une fortune colossale. Manipulé par la duchesse Josiane, créature sensuelle et satanique- un œil noir et l’autre pervenche -, puis par Barkilphedro, bouffon au corps obèse et à la tête squelettique, il se rend à la Chambre des lords où il prononce un vibrant discours : « Je suis le peuple, je suis l’homme qui rit de vous (...). Je ris, cela veut dire : je pleure. » L’assemblée éclate de rire. Gwynplaine disparaîtra avec Dea dans les eaux de la Tamise.

Jamais Hugo n’avait encore déployé un style aussi rugissant. Les 800 pages de ce roman dressent le tableau frénétique d’une société qui, pour être différente de la nôtre, n’en n’est pas moins évocatrice de notre histoire immédiate : « Des sociétés vieillies résulte un certain état difforme, écrit Hugo. Tout finit par y être monstre, le gouvernement, la civilisation, la richesse, la misère, la loi (...). On se hait, chacun prépare sa tempête. L’âme se débat. De là le chaos (...). Chez deux peuples surtout, il est caractéristique. En Angleterre après 1688, révolution fausse ; en France avant 1789, révolution vraie. 93 conclut. »

Je ne sais pas si la littérature peut être un soutien dans des périodes troublées, mais ce livre-là me semble plus que jamais d’actualité. Victor Hugo n’abandonnait pas l’espérance et refusait tous les nationalismes. « Les vieilles jalousies de races n’existent pas pour moi, je suis de toutes les races. »

Sur lemonde.fr on peut trouver quatre réponses parmi les dix-neuf publiées par Le Monde des livres.

On y trouve aussi la liste des 19 personnalités qui ont répondu, ainsi que leurs 19 livres prescrits.

http://www.lemonde.fr/livres/article/2016/07/13/lectures-pour-temps-troubles_4968797_3260.html?xtmc=victor_hugo&xtcr=5

« L’Homme qui rit » est disponible en poche.

(mp)