La Tumba Française

Prix Maison Victor Hugo 2015

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Marianela Hernández Pérez
Premier Prix Catégorie Langue française

Introduction

La diversité et la contribution de la France à l’histoire et à la modernité de l’île de Cuba et des îles des Caraïbes en général démontrent l’intensité de son influence.
Il est certain que les Cubains et les Français ont tissé des liens durables dans les domaines culturel, politique et économique. Les documents ou les essais dans lesquels des analyses de ces relations ont été étudiées prouvent qu’il existe des voies d’échange et de reconnaissance mutuelle qui contribuent à renforcer les relations d’amitié entre nos deux pays.

Le présent essai invite le lecteur à découvrir quelques apports de la culture française dans le mode de vie de notre pays.

L’influence française est l’une des trois composantes de la nation cubaine, après l’Espagne et l’Afrique. Cuba a l’honneur de préserver trois expressions du Patrimoine Mondial de L’Humanité appartenant à l’héritage français : le paysage archéologique des premières plantations caféières, la ville de Cienfuegos et, considéré comme chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel cubain, La Tumba française « La Caridad de Oriente ». C’est cette dernière qui sera le sujet de notre analyse dans ce document.
Lorsque l’on commence des recherches sur ce sujet, on découvre très vite que les études sont toujours dirigées vers la musique et la danse, qui va surgir comme résultat du syncrétisme entre la danse « afro-cubaine » et l’imitation des danses de salon pratiquées en France, les contredanses française et anglaise.

Si à l’origine il existait quarante-cinq sociétés, de nos jours il n’en reste plus que trois : « La Bejuca » à Sagua de Tanamo à Holguin, « La Pompadour » ou « Santa Catalina de Ricci » à Guantanamo et surtout « La Caridad de Oriente », déclarée Patrimoine de l’Humanité en 2003 et dont la distinction lui a été remise officiellement lors de la célébration du Festival des Caraïbes à Santiago de Cuba le 9 juin 2004.
Nous allons donc procéder à une analyse argumentée en étudiant le processus de « transculturation » qui a contribué à la formation de la nation cubaine.

Étude de la formation de la nation cubaine

L’Histoire de Cuba constitue un processus complexe de « transculturation », commençant par le passage de l’Indien paléolithique à l’Indien néolithique, puis à la disparition de celui-ci comme conséquence de l’impact de l’arrivée soudaine de la culture espagnole. À la suite de l’arrivée d’un grand nombre d’immigrants blancs, l’« Histoire » commence. Les Espagnols d’abord, issus de cultures et de niveaux sociaux différents, des êtres « déracinés » qui découvrent un nouveau monde, un milieu naturel divers auquel ils ont dû rapidement s’adapter.

En même temps, notre île voit arriver un flux constant de noirs africains, victimes de l’esclavage et provenant des côtes africaines : Sénégal, Guinée, Angola, Mozambique. Tous ces êtres arrachés de leurs noyaux sociaux d’origine arrivent avec leurs propres cultures et vont fonder une nouvelle société fondée sur une mosaïque de langues, de rites, de couleurs de peau, de croyances, de savoirs. D’autres flux migratoires vont venir enrichir la culture cubaine : Indiens continentaux, Juifs, Anglo-saxons, Français, Américains, Chinois, Lusitaniens. Chacun constituant un élément essentiel de la création de la nationalité cubaine au cours des quatre siècles qui suivront. C’est à la fois un choc, mais également un extraordinaire mélange des cultures. L’évolution historique de tout peuple conduit à une transformation de la culture à un rythme plus ou moins rapide, mais concernant Cuba, cet immense métissage de races et de cultures a accéléré le processus de formation du peuple cubain. Alors que l’Europe s’est constituée en quatre mille ans, notre île n’a eu que quatre siècles pour créer une société multiraciale et multiculturelle et pourtant soudée.

Si l’« Inde américaine » était le « Nouveau monde » pour les Européens, pour le peuple amérindien, l’Europe l’était davantage. Ils étaient deux mondes qui se sont réciproquement découverts. Mais le contact entre ces deux cultures a été horrible. Et l’une d’elle a été littéralement foudroyée. Le « sédiment humain indien » de la société originelle cubaine a été détruit et il a fallu que la population migrante s’adapte à son nouvel environnement. Il n’y a pas eu de facteur humain plus transcendant par rapport à la nation cubaine que ces flux migratoires géographiques, économiques et sociaux. En premier les « Blancs », puis les « Noirs », avec leur esprit, mais pas leurs institutions ni leurs instruments. Ils sont arrivés déracinés, blessés comme les cannes dans les sucreries, et ce pour extraire de leur corps « le jus de leur travail ». Arrivés comme esclaves, on leur a volé leur liberté, leur volonté, leur ambition, leur dignité, leur vie.

Quant aux migrants suivants, ils étaient de passage, rêvant à un nouveau monde et procédant à des réformes plus ou moins importantes.

Antécédents de la culture cubaine

Une fois arrivés à Cuba, les Espagnols rencontrent les communautés aborigènes, chacune ayant un développement culturel différent. D’elles nous sont restés certains vocables, la céramique, quelques aliments et certaines constructions rustiques.
Durant la première étape de la colonisation (XVI-XVIIe siècles), le développement culturel s’est reflété dans la construction des sept premières villes de l’île.

Entre les années 1555 et 1608, en raison des attaques des pirates et des corsaires, commence la construction de forteresses pour la protection des villes. En même temps, on construit les premières églises.

À la fin du XVIe siècle, apparaît le premier aqueduc et les premières rues. À cette même époque, naissent des manifestations musicales (Teodora Guines, fameuse chanteuse noire de la Ma Teodora).

Entre 1608 et 1700 commence le lent développement économique et social de l’île en raison de la destruction des flottes de bateaux, de l’impact sur Cuba des guerres en Europe et des attaques continues des corsaires et des pirates. La culture du tabac s’étend et la culture de la canne à sucre fait son apparition. La construction de forteresses, d’églises et de couvents continue. Le nombre d’esclaves noirs et mulâtres augmente de manière significative, ce qui exerce une influence sur la culture et les coutumes populaires
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Les villes une fois fondées, le comportement social, la façon de s’habiller, l’enseignement et les loisirs sont dirigés par les églises. C’est la raison pour laquelle les premières manifestations culturelles sont liées à la religion. Les « sacrées » et les processions : Corpus Christi et la fête des rois, dès 1588, sont célébrées par la danse et les chants (antécédents de notre théâtre) organisés et payés par l’Église.
En 1565, les esclaves s’organisent selon leur région. Ils sont autorisés à participer aux fêtes au cours desquelles ils font découvrir leurs chants et leurs danses qui témoignent de forts liens religieux. À cette époque commence le syncrétisme religieux lorsque les « Noirs » vont trouver une équivalence dans leurs divinités africaines avec les saints de la religion catholique. L’artisanat, la peinture et la musique sont considérés comme des métiers et sont adoptés par la population noire et métisse. Les villes continuent à se développer et vont se structurer dans un style médiéval espagnol.
Apparait le premier professeur créole.

La première œuvre littéraire cubaine date de 1608 : Espejo de paciencia.

XVIII-XIXe siècles

Après la guerre de succession, la dynastie des Bourbons s’installe. Ils vont appliquer la politique de « Despotisme illustré », c’est-à-dire militariser et centraliser au maximum la vie politique et économique des colonies et, en même temps, développer la vie sociale et culturelle en répondant aux intérêts de la couronne.

À cette époque commence la commercialisation du tabac et la Compagnie royale de Commerce est créée. En 1717, 1720 et 1723 se produisent les premières rébellions des planteurs. Les relations entre la colonie et la métropole deviennent de plus en plus difficiles. Mais apparait la première aristocratie créole qui va encourager le développement culturel. Durant cette période, on va aussi créer des Centres d’Enseignement Moyen et Supérieur : le « Séminaire de San Basilio » à Santiago de Cuba en 1722 et l’« Université royale et pontificale San Geronimo » (ou bien « Real y Pontificia Universidad de San Gerónimo ») à La Havane en 1728. Ces deux centres étant des établissements religieux.

En 1723, on inaugure le premier sceau et quelques décennies plus tard, en 1756, le premier service de poste de La Havane à Santiago de Cuba (à cheval). Des fortifications continuent de s’édifier ainsi que la construction de bâtiments publics.
En 1764 apparait le premier journal La Gaceta. Mais c’est le théâtre qui est l’activité culturelle la plus importante du XVIIIe siècle.

Le XIXe siècle est considéré comme le siècle du nationalisme cubain. Entre 1790 et 1820, de nombreux évènements culturels importants démontrent ce sentiment national parmi les créoles. À cette époque l’économie s’accroît en raison du développement du système de plantations de canne à sucre et du rythme des moulins à sucre manœuvrés par les mains des esclaves grâce à la loi de la « Libre Trata » de 1789. Accroissement favorisé par des évènements historiques décisifs, comme la Révolution d’Haïti en 1791 qui a favorisé la production de sucre. À partir de ce moment, Cuba est devenue le premier producteur mondial de sucre et, par conséquent, les sucriers créoles se sont considérablement enrichis et la pensée libérale espagnole s’est introduite dans le pays s’est introduite dans le pays au travers du gouvernement et d’ecclésiastiques comme Don Luis de las Casas, évêque de Espadas.

Équilibre de races, facteur social de l’immigration

Les relations entre la France et Cuba ont pour origine la colonisation espagnole. Les premiers Français qui s’installent à Cuba étaient des prisonniers autorisés à immigrer par le roi d’Espagne. Puis, plus tard, ce seront des pirates et des corsaires attirés par la situation des Caraïbes.

Bien entendu, ces relations sont devenues plus importantes à partir du XVIIIe siècle, lorsque des flux migratoires commencent vers Cuba.

L’élément déclencheur a été la Révolution française car c’est la première grande révolution anti-esclavagiste qui allait aboutir à l’indépendance de Saint-Domingue et marquer le début des relations avec la France. Ce ne sont pas seulement les facteurs économiques qui ont favorisé cette migration mais aussi le facteur social qui a joué un rôle important. De nombreux créoles de la bourgeoisie cubaine ont encouragé cette migration comme moyen de réduire les effectifs de la population noire qui était « importée » massivement sur l’île comme esclaves. Cet accroissement de la population noire était aussi un souci pour le gouvernement espagnol. Il ne doutait en aucune manière de la nécessité de renforcer la population blanche, et en particulier à l’est de l’île.

Entre 1800 et 1868, il y a eu quatre flux migratoires : le premier concerne les immigrés en provenance de Saint-Domingue qui s’établissent principalement dans la partie sud-orientale de Cuba (Santiago, Guantanamo, Baracoa), ce qui provoque un considérable développement urbain, démographique et économique. Certains secteurs s’améliorent comme le commerce, l’agriculture, le système de santé, l’éducation, l’industrie et les services.

La plupart des immigrés commencent par exercer des professions liées aux activités maritimes et portuaires, ainsi que la contrebande d’esclaves, le développement de l’économie de plantation, en particulier les techniques de plantation du café. La production de café devient alors la production essentielle de la région orientale de Cuba. En même temps se développent celles du cacao, du sucre, de l’indigo, du coton et des fruits.

La migration française devient plus importante encore à partir de 1817, surtout à Santiago, en raison du phénomène de regroupement familial, et ce jusqu’en 1868. La nation cubaine s’est donc nourrie et enrichie à tous points de vue, mais surtout dans le domaine de la culture.

Les Français, quant à eux, ont découvert un pays qui a su accepter leur mode de vie, leur culture, leurs usages et ils se sont adaptés eux-mêmes au mode de vie des habitants de l’île.

Au XIXe siècle, un certain antagonisme règne dans la société cubaine. Les riches créoles vont prendre conscience du raffinement et de la supériorité de la société cubaine par rapport à la société espagnole. La façon de se comporter, de s’habiller et de penser change. Cuba devient une Patrie.

Entre 1820 et 1844, les mesures libérales dictées par le gouvernement espagnol ne satisfont pas les besoins de développement économique de la bourgeoisie sucrière. Les différences entre l’Orient et L’Occident s’accentuent. Les guerres d’indépendance des colonies anglaises et françaises qui éclatent tout au long du continent apportent des idées libérales à Cuba.

Sur l’île, apparaissent trois courants idéologiques au sein de la bourgeoisie créole : les Indépendantistes (Félix Varela), les Réformistes (José Antonio Saco), et les Abolitionnistes. Chaque courant va tenter de matérialiser ses idées par l’intermédiaire de la culture. C’est aussi une époque de lutte entre néoclassicisme et romantisme. Lutte également entre imitation du modèle européen et défense des valeurs nationales. Dans toutes les manifestations artistiques et culturelles créoles, on constate un processus d’assimilation des cultures des migrants français, noirs, métis.

Entre 1845 et 1878, les contradictions entre la bourgeoisie créole et le gouvernement espagnol s’aggravent, influencées par le développement inégal de la colonie. Une classe moyenne professionnelle se consolide et naissent alors deux classes sociales : celle de la ville et celle de la campagne. La conscience prolétaire apparait, c’est la crise du système colonial et l’échec du réformisme.

Entre 1878 et 1898, période d’entre deux guerres, on note un essor des manifestations culturelles, reflet des courants politiques différents.

Par rapport à la musique, Manuel Samuel développe la musique de salon et va créer une nouvelle contredanse de style cubain, avec des influences françaises. La musique populaire assimile le « noir » : la guaracha et à la campagne le punto guajiro naît avec le « repentismo » à travers la décima. L’Académie de Musique de Santa Cecilia ouvre ses portes à La Havane.

La migration française et haïtienne.

Comme nous venons de l’analyser plus haut, la période comprise entre 1790 et 1868, constitue l’une des périodes les plus complexes de l’histoire de la colonisation cubaine. Au cours de cette époque, on peut noter une série d’étapes chronologiques par rapport aux positions politiques existantes ci-dessus citées. C’est précisément pendant cette période que la migration franco-haïtienne s’infiltre à Cuba et avec elle ses caractéristiques culturelles.

Les fêtes de société constituent un apport culturel dont le développement à Cuba a influencé l’art cubain et plus particulièrement la musique.

À l’époque, on appelle « Français » les noirs et les créoles haïtiens arrivés à Cuba esclaves ou libres et qui ont apporté leur culture, résultat d’un premier processus de transculturation. La langue passe du français au créole ou au patois. Les générations suivantes, nées à Cuba, garderont le français comme langue et seront soumis à un second processus de transculturation déterminé par les nouvelles relations socio-économiques du territoire. Mais « français » était aussi la manière d’appeler tout ce qui faisait partie de leur vie : la danse, les instruments de musique, même les sociétés et les groupes ont toujours porté ce nom distinctif.

On suppose que les migrants français sont restés à l’est de l’île en raison du moindre prix des terres. Ils vont donc s’établir avec leurs esclaves et développer la culture du café. L’exportation de café devient alors plus importante que l’exportation de sucre. Afin d’éviter de possibles soulèvements des esclaves comme en Haïti, les patrons vont alléger progressivement les punitions et vont permettre aux esclaves de participer régulièrement aux fêtes et aux célébrations. Ils commencent à permettre aux esclaves d’acheter leur liberté. Les descendants d’esclaves libres commencent à former des associations d’aide mutuelle et à obtenir un début d’autonomie face à la colonisation espagnole.

On a calculé qu’environ 30 000 personnes sont arrivées à Cuba. Malgré les recommandations d’Arango y Parreno, homme d’état et réformiste cubain, défenseur de l’esclavage qui voulait que ces migrants restent à l’est, certaines familles réussirent à s’installer dans d’autres régions comme celle de Pinar del Rio.

La « Tumba Francesa », ses origines

Les esclaves haïtiens s’occupaient généralement de l’agriculture, et surtout de la plantation et de la récolte du café. Mais ils vont assimiler aussi les influences aristocratiques de leurs patrons français par exemple en adoptant leurs danses.

Au début, les esclaves organisaient leurs fêtes dans les séchoirs de café. Plus tard, c’est sous la forme de « chapitres » ou de sociétés appelées Tumbas françaises. Ces sociétés sont organisées comme la noblesse française. Un roi ou président comme chef, un vice-président, une reine ou présidente qui avait la charge des femmes. Dans la danse, le maître ou la maîtresse de danse avait une place majeure pour diriger le groupe, le compositeur et le chanteur ou la reine conduisaient le chœur. La fête ou la musique de la Tumba française s’appelait « toque ».

Le mot « tumba » est d’origine congolaise et en langue bantoue, tumba signifie fête. À Cuba, on appelle tumba l’union des tambours, des chants et des danses de style menuet.

Il y a différentes modalités de « toque » dans la Tumba française :

  • Le « mason » formé de huit couples qui représentent les formes de danses européennes de salon comme le menuet et la contredanse très répandues en France.

– Le « yuba » considéré comme le plus important et qui peut être exécuté par un seul ou plusieurs couples qui attendent l’ordre du « majeur » ou de la « majeure ». Après la sélection du roi et sa présentation à la présidence, les musiciens forment les couples qui réalisent des chorégraphies libres incluant des changements de partenaires.

– Dans le « fronté » ou « frenté », c’est l’homme qui a le rôle principal et la danse est exécutée par le couple considéré comme le plus important, qui improvise des pas liés au rythme des toques de tambours.

– Enfin, la « cinta » que l’on danse à Santiago de Cuba. La danse se déroule autour d’un arbre auquel on attache des rubans de couleurs différentes et on danse dirigé par la majeure. Cette danse se différencie des danses africaines par la manière de s’habiller : les femmes portent des robes longues et des foulards de couleur, alors que les hommes portent chemises et pantalons blancs. Ces façons de s’habiller avec élégance font penser aux manières européennes.

Les instruments utilisés sont quatre larges tambours appelés premier, redublé ou second, bula ou bébé et le tambora, la cata (pièce de bois ou de bambou posée sur un banc sur laquelle on frappe avec un bâton) et le chacha (sorte de shaker en métal).

Le dialecte parlé dans la Tumba Francesa est issu de l’espagnol et du créole avec une forte phonétique africaine chargée de certains mots de la langue française, et dont il ressort un profond sens de rébellion, d’identité, de lyrisme, de drame et de satire. Les sociétés de Tumba Francesa avaient pour objectif de s’aider mutuellement et de s’amuser. Quelques sociétés ont inclus plus tard l’enseignement. Dans ces groupes se sont créées des microsociétés fermées. Les sociétés se sont peu à peu agrandies grâce à l’arrivée de nouveaux individus, esclaves ou libres. De nos jours, les Tumbas Francesas existent toujours et organisent des fêtes à des dates précises.

Insertion et développement

Certains supposent que ces sociétés existaient déjà dans leur pays d’origine (Haïti) et qu’arrivées à Cuba, ces pratiques ont continué. D’autres observateurs pensent que c’est en arrivant à Cuba que ces sociétés se sont constituées pour maintenir la culture et les traditions d’origine. C’est Emilio Bacardi qui, dans son roman Via crusis, décrit des danses d’esclaves dans une caféière. D’après ces écrits, en ce qui concerne la danse et à la musique, on pense qu’il s’agit sans doute de la Tumba Francesa, mais pas encore organisée en sociétés. Ces sociétés en tant qu’institutions sont postérieures et d’origine cubaine.

Pendant le XIXe siècle, les Français ont fondé leurs colonies d’esclaves et caféières autour de leurs maisons. Certaines ont été très célèbres par le luxe qu’elles montraient. À l’intérieur des maisons des colons français régnaient les mêmes coutumes, les même manières « à la française », la danse, la musique. C’est ainsi que la culture française a influencé la culture cubaine, les planteurs « dominants » n’acceptant pas encore de processus de transculturation.

Cette situation se prolonge jusqu’au milieu du XIXe siècle, les planteurs de café constituant la force économique dominante et maintenant l’esclavage. Mais la faillite de 1848, la lutte contre l’esclavage, la diminution de l’activité caféière depuis 1850, sont les causes de la désintégration de la structure sociale. La situation va se généraliser pendant la guerre de 1868, en particulier à Guantanamo où incendier les plantations constituera une nouvelle et redoutable conception de la guerre à partir de 1871. Les esclaves seront dispersés, incorporés dans les forces révolutionnaires ou en fuite dans la campagne. Autre conséquence de la guerre, l’élimination de la bourgeoisie agraire créole de la région orientale et sa transformation en petite bourgeoisie rurale.

Réorganisation et fondation des sociétés pendant la période d’après guerre

L’abolition de l’esclavage en 1886 va mettre fin à la rivalité des classes et un quart de la population de l’île est salarié. Les esclaves venant des plantations de café des Français se déplacent vers les zones suburbaines les plus proches dans l’espoir de trouver du travail. Il est probable que la population noire ayant augmenté, les fêtes se réorganisent dans un modèle différent qui doit répondre aux besoins économiques.

La communauté noire s’organise en sociétés d’aide mutuelle, conservant leurs coutumes, leur langue et espérant trouver un appui économique. Le témoignage datant de 1972 d’un vieillard de 104 ans qui habitait près de Guantanamo affirme « qu’avant la guerre, la Tumba Francesa existait en Jamaïque et en d’autres pays… » Cet homme faisait référence à la guerre d’indépendance où il avait lutté comme « mambi ». Cependant, il est peu probable que ces sociétés aient atteint le grade d’organisations qu’elles avaient après la guerre.

Développement pendant la guerre d’indépendance, fin du XIXe siècle

Ce qui est étonnant, c’est de découvrir que l’on a dansé « français » dans les campements ! Des informations ont été découvertes sur les danses des Tumba Francesa en 1895 dans certains villages. Et c’est quand elles seront revenues dans les zones urbaines que ces sociétés vont adopter une forme définitive, s’habituant rapidement aux exigences de la République.

Il est possible d’expliquer les raisons de la persistance des sociétés pendant le capitalisme en raison de facteurs économiques (soif de richesse des individus) et du réel intérêt des membres pour maintenir le groupe.

La Révolution

En 1959, la Révolution triomphe et avec elle se produit un renversement des valeurs imposées par la société de consommation. À cette époque, les deux sociétés qui subsistent sont : « Santa Catalina de Ricci », renommée « La Pompadour » à Guantanamo et « La Caridad » à Santiago de Cuba, auxquelles s’ajoute « La Bejuca » à Holguin.

Le Ministère de la Culture s’est chargé de la propagande des valeurs folkloriques de ces sociétés, invitant de nouveaux membres à s’insérer dans les groupes existants.

La Tumba Francesa est devenue un immense mélange de cultures fondées sur les traditions haïtiennes, le folklore cubain, influencé par les éléments des anciennes coutumes françaises et l’assimilation de l’accent rythmique provenant des instruments africains. Des quarante-cinq sociétés existantes au départ, il n’en reste plus que trois de nos jours.

La Caridad de Oriente

Société de Santiago de Cuba fondée en 1862, c’est un exemple des empreintes laissées par les Haïtiens-français dans l’Oriente.

Leurs membres ont essayé de maintenir vivantes les traditions culturelles héritées de leurs ancêtres pendant sept générations. De nos jours, son siège se trouve au centre ville de Santiago. Elle a été proclamée Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco en 2003.

La Caridad de Oriente se présente de nos jours avec ses trois grands tambours ou tumba originale. Un premier ou « mamier » (premier « bula »), au son grave et aigu, tambour principal. Celui qui en joue se nomme le « mamamier ». Les autres joueurs sont appelés second et « bula ». Ce petit orchestre utilise également une petite guitare pour les rythmes « mazon » ou « tahona ».

Pour guider le rythme, les musiciens se servent du « cata » ou cataje qui est un instrument basique au son pénétrant, fabriqué dans un tronc vide. La personne qui en joue s’appelle catayer. Consuelo Venet Danger, petite fille d’esclaves, a fait en sorte que cet instrument soit utilisé par des femmes. Confectionnées dans du métal blanc pour une meilleure sonorité et décorées de rubans, les chachas ou marugas sont aussi jouées par des femmes.

En 1905, les sociétés se divisent mais celle de Santiago garde le nom de Caridad de Oriente en hommage à la vierge de la charité, patronne de Cuba.

Santa Catalina de Ricci

C’est une des sociétés qui existe toujours de nos jours sous le nom de « La Pompadour de Guantanamo ». Les enfants ont appris à jouer du tambour français et ainsi assurent la pérennité de cette société.
On estime que cette société a conservé ses origines folkloriques du fait que peu de nouveaux membres étrangers s’y sont introduits.

La bejuca

Cette société est à Holguín. Elle existe depuis plus de deux cents ans. Créée par Candelaria Noblet, femme noire arrachée à sa terre natale de Guinée Bissau et employée comme esclave dans l’Oriente qui a contribué à faire connaître cette société.

Importance et influence

Les sociétés de Tumba Francesa constituent une source constante d’éléments culturels, elles perpétuent le folklore primaire et sont la mémoire des premières traces de la culture cubaine, en particulier la musique et la danse. La Tumba Francesa a également influencé directement ou indirectement d’autres manifestations culturelles urbaines.

On constate une réelle influence de la tumba sur les genres musicaux urbains comme sur la musique populaire cubaine. Par exemple, dans la « Comparsa » de Santiago dans laquelle on découvre la « carabali » comme dans les improvisations d’un guaguanco dans lequel on perçoit des éléments rythmiques basiques de toque de tambours de la Tumba Francesa.

À l’heure actuelle, les sociétés de Tumba Francesa conservent leurs fêtes avec une structuration analogue aux sociétés d’autrefois (danses et rythmes des tambours).
Au contact des genres musicaux nouveaux, les danseurs et les joueurs de tambours introduisent des combinaisons de rythmes différents comme la « rumba » plus proche de l’actualité musicale cubaine. À la fin du XIXe siècle, il devint obligatoire que chaque société ait un saint patron, mais à partir de l’avènement de la république, la dénomination roi et reine disparut au profit de président et présidente, termes reflétant la nouvelle hiérarchie de la république.

Les plantations de café s’étaient développées à l’est de l’île grâce à l’arrivée des esclaves et, avec eux, les traditions de danse et de musique. D’après les spécialistes, les antécédents du « guaguanco » et du « changuí » se trouvent dans la Tumba Francesa, ainsi que ceux du « son montuno », considéré comme le père de la Salsa cubaine créée dans les années 1970.

C’est au XIXe siècle, dans différentes régions des Caraïbes, surtout à l’est de l’île de Cuba que le « son » est apparu, mélange de musiques africaines, espagnoles et de la Tumba Francesa.

C’est le musicien noir Nene Manfugas qui va introduire, en 1892, les premiers « son montuno » au cours du carnaval de Santiago de Cuba.

« Son montuno » signifie littéralement « son des montagnes ». Ce sont les soldats de la guerre d’indépendance qui l’ont apporté à La Havane. Une fois connu, ce rythme a été adopté dans tous les quartiers, et surtout les plus pauvres, et par tous les danseurs de rumba, danse très populaire à l’époque, liée à la religion afro-cubaine pratiquée, résultat du syncrétisme entre la religion des esclaves et la religion catholique. Il existe donc un syncrétisme étroit entre religions, danses, musiques et Tumba Francesa.

Lorsque le « son » arrive à La Havane et dans d’autres villes comme Matanzas, il est influencé par les orchestres de l’époque comme les sextuors et les septuors et certains musiciens comme Arsenio Rodriguez. Le « son montuno » devient indépendant du « son » et s’oriente vers les improvisations. Il devient original et complexe, mélange de musiques africaine, française et haïtienne qui cependant donnent une musique nettement cubaine.

Ces rythmes cubains influenceront plus tard le « mambo » et le « jazz ».
Le « son montuno » est devenu la base de toute la musique populaire cubaine, comme le mambo, la salsa, la timba. À l’origine créé par des esclaves, il va évoluer au sein de groupes de grands musiciens comme le Trio Matamoros et Arsenio Rodriguez, et parvenir jusqu’aux États-Unis. Seront ajoutés des éléments congolais. Plus tard, à New York, les portoricains le transforment en « salsa brava », puis en « salsa romantique ».

Connu pour être le roi du « mambo » avec son Mambo 5, Perez Prado a été nettement influencé par le son montuno d’Arsenio Rodriguez. Il faut savoir que la salsa ne s’est pas construite que sur les rythmes cubains, les Américains ont aussi apporté des éléments. Les Cubains avaient des rythmes définis tels que guanguanco, rumba, cha-cha-cha, guajira, etc. Plus tard, tous ces rythmes ont fusionné pour donner naissance à la « timba », plus connue sous le nom de salsa cubaine et que d’ailleurs les Français, de nos jours, adorent danser.

En conclusion

Notre île de Cuba est culturellement très riche grâce aux influences des migrants qui ont à chaque époque de notre histoire apporté des éléments culturels nouveaux. La France se place au troisième rang de cette influence après l’Espagne et l’Afrique. La présence des Français sur le sol cubain a influencé l’histoire du développement de notre pays, de nos traditions, de notre mode de vie. L’influence française a marqué notre identité nationale et culturelle. Nous avons hérité du savoir français dans le domaine des arts plastiques, de la littérature, de l’architecture, de la médecine, de l’art culinaire.

La variété de notre culture constitue un monde très attirant pour la France moderne et c’est la raison pour laquelle, chaque année, de nombreux touristes français visitent notre pays à la recherche d’une culture dont ils ont fait partie dans un autre temps. À cette occasion, ils découvrent et apprennent la salsa, alors que ce sont leurs lointains ancêtres qui ont contribué à sa création.