Cuba : Pour marcher d’un bon pied

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La nouvelle technique permet de dépasser la technique traditionnelle, et souvent excessive : traitement par chaussures orthopédiques, soutiens et semelles, des moyens par ailleurs inefficaces dans presque 90% des cas, car ils ne sont pas en mesure de maintenir la correction du pied de l’enfant, lorsqu’ils sont prescrits pour le pied plat durant l’enfance.

Le Dr. Roberto Balmaseda a introduit à Cuba une technique chirurgicale qui assure la correction du « pied plat ». Plus d’un millier d’enfants ont été opérés avec d’excellents résultats

Les mercredis ne sont pas des jours ordinaires. Pas dans le secteur de la consultation en pédiatrie du Centre de recherches médicales et chirurgicales (Cimeq), et notamment aux portes 9 et 13, qui sont celles des « pieds plats ».

« Alors, ils te plaisent comme ça ? ». C’est la question que l’on entend répéter à longueur de matinée… jusqu’au dernier enfant.

Ils répondent, sans crainte… Il insiste, ils bavardent, ils se sourient. On perçoit la complicité entre eux… Définitivement il faut un don pour soigner les plus petits. Ici, ce don ne manque pas.

Voilà 16 ans, peut-être un peu plus, que le colonel Roberto Balmaseda Manent livre ce que l’on pourrait appeler une sorte de croisade. Il est médecin, spécialiste de second degré en orthopédie et traumatologie, docteur ès sciences, professeur et chercheur et membre de l’Académie des Sciences de Cuba, n’en déplaise à sa modestie.

Cet homme, qui arbore également des décorations telles que l’Ordre de Carlos J. Finlay, octroyé depuis les années 80 à Cuba pour récompenser les contributions scientifiques les plus importantes, a introduit une technique chirurgicale qui assure la correction de ce que l’on connaît communément comme le « pied plat ». Plus d’un millier d’enfants ont été opérés avec d’excellents résultats.

Il y a une vingtaine d’années, le Dr Balmaseda eut l’occasion de consulter un ouvrage sans se douter – bien que parfois on ait quelques pressentiments – que ces pages allaient lui ouvrir une voie dans le traitement des pieds plats. Il s’agissait du Traité de chirurgie du pied, de l’Italien Giacomo Pisani.

Il n’imaginait sans doute pas qu’il ferait sa connaissance, leur amitié future, les enseignements sur tout ce qui peut être fait pour avoir des pieds, plus sains ... Opérer un pied, puis l’autre... Ensuite, faire des recherches, perfectionner la technique. Les résultats d’aujourd’hui en disent long.

La littérature spécialisée affirme que « le pied normal est le pied qui nous permet de marcher, de courir ou de rester debout sans présenter de symptômes tels que la douleur, la fatigue ou des déformations ».

L’évolution a légué à l’Homme une énorme responsabilité. En effet, en élevant son centre de gravité, il en a fait l’être vivant ayant la plus grande instabilité. Parallèlement, le pied a assumé les fonctions d’organe de contrôle de la gravité, capable de transformer la force de gravité en facteur de stabilité, en tant que mécanisme efficace pour la position verticale et la marche, et qui nous permet de ne pas céder face aux forces gravitationnelles.

Les spécialistes estiment qu’un individu marche en moyenne environ 241 400 kilomètres tout au long de sa vie.

« Subtil et vulnérable », ainsi qualifient-ils le pied. C’est un organe proprioceptif (qui donne des informations sur la position du corps et le mouvement des muscles). Miroir de la santé, précisent-ils.

Des douleurs aux pieds peuvent affecter la concentration, nous rendre irritables, et souvent ce sont la cause de douleurs au niveau des jambes, des genoux, des hanches et du bas du dos.

« L’enfant d’aujourd’hui est l’adulte de demain, et nous devons avoir les connaissances qui nous permettent de leur garantir une meilleure qualité de vie. Éduquer le pied pour un développement harmonieux en fait partie », souligne le Dr Balmaseda.

Le pied est une structure complexe. Il comprend de 26 à 28 os (un quart de la totalité des os du corps), 33 articulations, 57 surfaces articulaires, 112 ligaments et 20 muscles. Et cependant, disent les médecins, il est souvent la Cendrillon de l’orthopédie. Soit sous-estimé, soit relégué.

Toutefois, certains lui consacrent leur vie.

Le « pied plat » chez l’enfant est l’affaissement du bord interne du pied, a signalé le spécialiste à Granma International. Il peut être physiologique jusqu’à vers les 5 ans, et dans ce cas aucun traitement n’est nécessaire, si ce n’est des mesures « naturelles », comme exposer le pied à l’agression de l’environnement, à savoir marcher sans chaussures, porter des chaussures souples et sous la cheville, sans aucune correction orthopédique, pas même les soi-disant « chaussures prophylactiques ».

Ainsi, insiste le Dr. Balmaseda, « ce pied d’enfant, – et il est important de comprendre qu’il ne s’agit pas d’un pied d’adulte petit – avec son patrimoine génétique, et exposé à la force extérieure : environnement et gravité, se développe et passe par ses différentes étapes de croissance et devient un pied adulte fort et normal ».

« Si nous mettons des bottes, des semelles, des corrections orthopédiques à un enfant en bonne santé, son pied ne se développera pas correctement, car même s’il a un patrimoine génétique normal, nous supprimons le stimulus environnemental. L’absence de ce stimulus peut être comparée à l’exemple d’un enfant sourd-muet : il est muet, parce qu’il est sourd, son système phonétique n’a pas acquis la capacité expressive, ne possédant pas l’information acoustique », explique-t-il.

Le spécialiste nous signale également que de nombreux auteurs confirment que certains adultes ont les pieds plats parce que durant leur enfance ils ont utilisé des chaussures orthopédiques, ce qui a empêché le stimulus environnemental d’agir. Aussi, le pied ne s’est-il pas développé de façon adéquate.

Dans certains cas, le « pied plat » devient pathologique. « Des douleurs aux pieds apparaissent, généralement la nuit. Il s’agit de ces enfants qui refusent de marcher et se plaignent de fatigue et de gênes », explique le spécialiste.

Les spécialistes considèrent le « pied plat » comme un symptôme plutôt que comme une maladie en soi, parce que le « pied plat » doit porter un « nom », et cela va de séquelles d’une fracture du pied chez un enfant à une maladie métabolique ou le signal d’un désordre neurologique, ou encore d’une maladie inflammatoire, explique le spécialiste. Par conséquent, les traitements sont différents selon les cas.

Mais, insiste-t-il, « le pied est un tout, et doit être envisagé comme tel ».

Les pieds plats sont souvent à l’origine des oignons (hallux valgus), des orteils en griffes, du métatarse plat, de lésions dégénératives du genou, de la perturbation de la colonne vertébrale, entre autres maux. Aussi se rend-on compte de l’erreur de beaucoup de prendre leurs pieds à la légère.

80% des enfants aux « pieds plats » qui viennent en consultation entre l’âge de 2 et 5 ans présentent un pied plat valgus de l’enfance, qui généralement évolue spontanément vers la structure d’un pied normal, non plat. Seuls 3% environ présentent des symptômes et ont besoin d’un traitement orthopédique.

« Ce groupe est également considéré comme présentant un trouble de la croissance », explique le professeur Balmaseda, qui le compare avec les malformations qui se produisent parfois avec la dentition chez les enfants.

Le dentiste doit intervenir en supprimant certaines dents lorsque cela s’avère nécessaire. Il procède à l’orientation des dents grâce à un appareil métallique ou élastique et réalise ainsi un réarrangement de la dentition de l’enfant afin qu’elle puisse continuer à se développer correctement. Ce traitement et son efficacité sont bien connus de notre population.

Rechercher des traitements de plus en plus efficaces, tout en conservant la biologie et l’intégrité humaine, tels sont le présent et l’avenir de la médecine.

C’est dans ce sens qu’a travaillé le Dr Balmaseda.

Le procédé thérapeutique cubain qu’il a établi, à partir de la technique du chirurgien espagnol, Recaredo Alvarez, remplace un implant en titane et polyéthylène par une vis en acier inoxydable de 15 à 20 millimètres, semblable à ceux utilisés dans les cas de fractures.

Les avantages : il s’agit d’une technique chirurgicale relativement simple par rapport à celles existantes, qui permet une récupération et une reprise de la marche rapides, et qui par ailleurs n’exige pas d’hospitalisation.

Le spécialiste a expliqué que l’opération permet de corriger l’éversion excessive du calcanéum, en soulevant le bord interne du pied, et un stimulus nerveux qui augmente le tonus d’un groupe de muscles pour maintenir cette correction. L’objectif est d’organiser les structures et de restaurer la physiologie normale du pied, par le biais d’une correction mécanique et d’une stimulation proprioceptive obtenue par l’implantation d’une vis correctement positionnée à l’intérieur du tarse (structure qui se trouve sur le bord externe du pied à l’articulation de l’astragale et du calcanéum).

La nouvelle technique permet de dépasser la technique traditionnelle, et souvent excessive : traitement par chaussures orthopédiques, soutiens et semelles, des moyens par ailleurs inefficaces dans presque 90% des cas, car ils ne sont pas en mesure de maintenir la correction du pied de l’enfant, lorsqu’ils sont prescrits pour le pied plat durant l’enfance.

C’est ce que démontrent des études comparatives de l’orthopédiste espagnol, Antonio Viladot et de l’italien Giacomo Pisani, des résultats corroborés dans la pratique médicale dans notre pays.

Sur ce point, le spécialiste nous signale également son désaccord sur le fait d’attendre la traditionnelle consultation chez l’orthopédiste à 2 deux ans, parce qu’à son avis, l’enfant doit être évalué durant les premiers mois de vie et avant de commencer à marcher. « À 2 ans, tous les enfants ont un pied plat physiologique qui est normal et n’a pas besoin de soutien, de chaussures orthopédiques, ni de chaussures dites prophylactiques. Ces enfants doivent être contrôlés périodiquement par le spécialiste, qui confirmera le diagnostic de pied plat valgus évolutif, et non un autre type de pied plat ».

Il souligne à titre d’exemple le fait que l’enfant peut avoir un pied plat neurologique, un pied plat congénital, un pied plat pour maladies métaboliques et d’autres qui, bien que rares, peuvent se présenter et qui requièrent un autre type de traitement.

Par ailleurs, il s’agit d’une méthode chirurgicale ambulatoire, idéale chez les enfants, mais qui peut également être utilisée chez l’adulte.

« La technique utilisée n’avait pas été étudiée du point de vue de la neurophysiologie. Nous l’avons réalisée avec le Pr. Lazaro Gomez Fernandez du Centre international de restauration neurologique. Nous avons étudié l’électromyographie et la neuroplasticité des membres inférieurs d’une vingtaine d’enfants, avant qu’ils ne subissent une opération chirurgicale », indique le Dr Balmaseda.

Ils ont ensuite comparé le membre opéré avec celui qui ne l’avait pas été, et ils ont pu démontrer que, une fois la vis placée, il y avait un stimulus dans les muscles du pied opéré, lesquels se contractaient et produisait la « voûte », résultat du stimulus proprioceptif reçu.

Par ailleurs, depuis le Centre de recherches médico-chirurgicales (Cimeq), qui est à la fois un centre d’enseignement et de recherche, l’expérience est diffusée à la communauté orthopédique cubaine.

Un enfant doit être ausculté par un orthopédiste dès les premiers mois de vie. Si son développement est considéré comme normal, il devra être examiné chaque année jusqu’à la fin de la croissance, vers les 16 ans.

Le traitement chirurgical proposé est indiqué chez les enfants porteurs de pied plat valgus, entre 4 et 7 ans de préférence, et souffrant de symptômes tels que douleurs nocturnes ou à la marche, de la fatigue à la marche ou des déformations à d’autres niveaux.

Lorsque les enfants de ces âges ont un pied plat valgus, mais ne présentent pas les symptômes décrits ci-dessus, ils sont considérés comme ayant une croissance normale Il s’agit dans ce cas de les surveiller jusqu’à la fin de la croissance et de les encourager à faire du sport afin de renforcer les muscles du pied.

« L’enfant d’aujourd’hui est l’adulte de demain, et nous devons avoir les connaissances qui nous permettent de leur garantir une meilleure qualité de vie. Éduquer le pied pour un développement harmonieux en fait partie », souligne le médecin.

La population doit savoir, dit-il, que le pied plat n’est pas sans conséquences. Il faut une meilleure prophylaxie et une prise de conscience de l’importance pour la santé des déformations du pied.

Le Dr. Balmaseda donne un exemple. Le pied est la partie du corps qui somatise les douleurs. « Vous avez une blessure au pied, et même une fois la blessure guérie, la douleur peut continuer un peu plus longtemps parce que l’information est stockée dans le cortex cérébral ».

La zone de représentation du cortex somato-sensoriel du pied a une extension plus grande que celle de la main, de sorte que le pied est considéré comme un excellent instrument de soutien.

Plus simple encore, les pieds, maltraités, peuvent provoquer un handicap.

« Alors, ils te plaisent comme ça ? » Entend-t-on.

Les enfants ne mentent pas, ils sourient. Derrière le paravent, l’infirmière Sandra Arias Avile change les bandages, retire les sutures, conseille ...

À l’extérieur, la complicité a un visage. « Allez, docteur, vous allez m’arranger ces grands pieds ! »