Liseuses pour rouleurs de cigares

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Une tradition qui date d’un siècle. A ce moment là, la plupart des ouvrières et ouvriers dans les fabriques de cigares, étaient illettrés, ce qui n’est pas le cas actuellement. Cuba est un des pays qui a vaincu, c’était un des objectifs prioritaires de la révolution, l’illettrisme et il exporte dans de nombreux pays dans le monde son savoir faire en matière d’enseignement et d’éducation.
Grâce notamment à ces "lecteurs" Victor Hugo et ses écrits sont souvent plus connus à Cuba qu’en France...C’est en particulier le cas des "Misérables" dont on va fêter l’an prochain le 150e anniversaire...
RG

Liseuse pour rouleurs de cigares, une tradition centenaire à Cuba

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De Isabel SANCHEZ (AFP)

LA HAVANE — De la poésie, le quotidien du jour ou les aventures du Comte de Montecristo : ce sont les ouvriers de la fabrique de cigares qui choisissent ce qu’ils veulent entendre de leur liseuse publique, pendant qu’ils roulent les Havanes qui font la réputation de Cuba.
Assise sur une tribune de bois face à son micro, Grisel Valdes, 55 ans, est depuis près de 20 ans "liseuse de fabrique de cigares", un métier vieux d’un siècle et demi, dont l’inscription au patrimoine oral de l’humanité a été proposée à l’Unesco.

Dans la fabrique H. Upmann de La Havane, 600 ouvriers sont suspendus à ses lèvres pendant qu’ils sélectionnent, coupent et roulent les feuilles de tabac qui composeront les meilleurs cigares du monde.
"La lectrice est très importante pour nous. Elle est notre principal apport culturel. En plus, elle nous marque le rythme de travail, selon le tour de lecture qu’elle prend, on sait qu’on a roulé cinquante ou soixante cigares", explique à l’AFP Julia Curbera, qui a passé trente de ses 47 ans à rouler des cigares.
Face aux rangées de tables où travaillent les rouleurs, Grisel remet ses lunettes en place et commence à lire la une du quotidien Granma, le journal du Parti communiste de Cuba : aujourd’hui, des nouvelles du président Hugo Chavez, récemment hospitalisé à La Havane, les derniers résultats de la production de mangues et des appels du gouvernement à travailler mieux et plus.

"Beaucoup d’entre nous ont quitté l’école avant quinze ans, ça nous aide à nous dépasser et à nous maintenir informés", ajoute Irse Martinez, un quadragénaire qui roule des cigares depuis seize ans.
Ferme et douce, la voix de Grisel résonne à tous les étages de la fabrique où sont confectionnés les célèbres Montecristo. Comme les quelque 300 liseurs de Cuba, Grisel, une ancienne professeur, a été choisie par les ouvriers de la fabrique, parmi plusieurs candidats.
"Je gagne seulement 315 pesos (14 dollars) par mois, mais je suis contente parce que je sais que je suis utile, ils ont besoin de moi", explique la liseuse à l’occasion d’une pause, dont elle profite pour discuter avec les ouvriers et fumer le cigare que lui roule, spécialement pour elle, Hugo Zulueta.
A 41 ans -dont 18 à rouler-, Hugo est particulièrement attaché à sa liseuse : "La lecture nous permet de nous évader un peu, j’aime mon travail, mais c’est toute la journée à faire la même chose".
Les premiers liseurs remontent à 1865. Et dans cette importante activité industrielle, ils ont joué un rôle primordial dans la promotion des luttes sociales grâce au canal de communication qu’ils incarnaient.
Les lectures font l’objet de vote par les ouvriers. Le roman d’Alexandre Dumas qui a donné son nom à une des plus prestigieuses marques de Havanes, le Comte de Montecristo, est toujours un gros succès d’audience.
Grisel s’entraîne pour adapter sa voix aux personnages. Son collègue Jesus Pereira, liseur à la fabrique voisine de Partagas, est célèbre pour ses imitations de voix de femme ou ses effets spéciaux : un coup de feu, une porte qui claque ou le trot d’un cheval.
Le dialogue existe. Les ouvriers corrigent la liseuse qui écorche le nom d’un joueur de baseball, ils protestent ou éclatent de rire en écoutant les nouvelles du jour.
Le verdict est donné par la "chaveta", le couteau rond qui sert à couper les feuilles de tabac. Quelques coups sur la table, l’auditeur est content. Mais si la "chaveta" est bruyammment lancée au sol, c’est la désapprobation totale.
Pour Grisel, parfois émue aux larmes par ses propres lectures, la "chaveta" dit oui depuis bientôt vingt ans.