Le médecin que je veux être

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Community Doctors, du réalisateur Kunle Ekunkonye, un documentaire sur de jeunes Nord-Américains qui ont obtenu une bourse gratuite de Cuba pour étudier la médecine à l’École latino-américaine de médecine à La Havane

« IL ne s’agit pas de raconter mon histoire », affirme-t-il. Effectivement, les 99 minutes que durent le documentaire confirment qu’il nous raconte l’histoire de jeunes femmes et hommes, leurs motivations à passer six ou sept ans à Cuba, face à la mer, dans ce bâtiment qui fut autrefois une académie navale avant de devenir une école, de médecine, qui plus est, « la plus avancée du monde », comme l’a qualifiée Ban Ki-moon.

Kunle Ekunkonye nous donne des détails : où, quand, pourquoi ... et l’histoire devient alors la sienne également, parce qu’il est à l’origine de Community Doctors (Médecins communautaires), un documentaire réalisé pour raconter l’histoire de ces jeunes au monde, mais aussi à nous les Cubains. Cependant, il vise surtout le public étasunien, car que peut-il bien savoir de l’École latino-américaine de médecine (ELAM), de ce qu’elle inspire et de ce qu’elle réalise, de ce qu’elle se propose et de ce qu’elle réussit ? Le peuple étasunien sait-il que des centaines de ses jeunes ont fait leurs études de médecine à Cuba ?

Il y a dans l’histoire récente de l’Amérique centrale des événements que l’on n’oubliera pas, comme toujours avec ceux qui ont apporté du malheur.

1998 : l’ouragan Mitch traversait l’Amérique centrale. De catégorie 5, le plus haut niveau sur l’échelle de Saffir-Simpson, avec 290 km/h de vitesse maximale de vent soutenu. On raconte que l’œil du cyclone s’est déplacé parallèlement à la côte du Honduras et du Nicaragua, et qu’il les a frappés de plein fouet avec des pluies intenses, suivies d’inondations catastrophiques, si bien qu’il a été qualifié de deuxième ouragan le plus meurtrier de l’Atlantique.

Bilan : Près de 11 000 morts, des milliers de disparus et des millions de sans-abri.

Avant Mitch, le puissant Georges avait fait son entrée, touchant terre à sept occasions dans plusieurs pays, au cours de son long parcours entre la mer des Caraïbes et le Golfe du Mexique. Il devenait ainsi le deuxième ouragan le plus dévastateur de la saison. Un solde destructeur de plus de 600 morts.

On a coutume de dire qu’à quelque chose malheur est bon. En 1998, nous pouvons dire que ce fut le cas, car cette catastrophe donna naissance à un espoir.

Des brigades médicales cubaines furent mises sur pied sur le champ pour aider les populations sinistrées. Elles se rendirent sur les lieux et accomplirent le devoir de tout médecin : apaiser à la douleur des autres.

Cependant, l’idée de Fidel allait bien au-delà du fait d’envoyer des professionnels de la santé en Amérique centrale. Il proposa d’organiser à Cuba la formation de médecins de ces pays. Et ainsi fut fait, avec l’arrivée des premiers étudiants du Salvador, Guatemala, Nicaragua, Honduras et Mexique.

Quelques mois plus tard, l’École latino-américaine de médecine fut inaugurée, et elle compte aujourd’hui dans ses salles de classe des jeunes des Amériques, d’Océanie, d’Eurasie et d’Afrique.

Résultat du projet : plus de 24 000 diplômés en médecine d’environ 120 pays.

Kunle Ekunkonye est un jeune Étasunien, souriant, parfois silencieux. Il réfléchit, tente de partager cette « expérience extraordinaire » que fut de décrire la vie quotidienne des jeunes Étasuniens qui étudient à l’ELAM. Il fait en sorte (et il y parvient) qu’ils soient les protagonistes de cette histoire. Et on comprend immédiatement pourquoi ils ont voulu étudier la médecine dans cette île, de l’autre côté du détroit de la Floride. Dans cette Cuba diverse et « contradictoire dont ils savent beaucoup et si peu à la fois ».

Le documentaire nous emmène d’un lieu à un autre, s’intéressant à plusieurs médecins déjà diplômés qui désormais travaillent dans leurs communautés d’origine. Nous les écoutons parler de tout ce qu’ils ont emporté de cette Cuba qui les a accueillis.

Kunle a un frère qui étudie à l’ELAM. « Je savais qu’il s’était inscrit à cette école pour devenir médecin, mais pas beaucoup plus », dit-il, jusqu’à ce qu’il vienne lui rendre visite.

C’est alors qu’il a eu des informations sur le système de santé cubain, aux résultats « identiques ou supérieurs à ceux des États-Unis. Il est également surprenant de voir comment Cuba mène tout ce projet. Nous pouvons apprendre ici beaucoup du système de santé. »

Ingénieur informatique, le cinéma n’est qu’un passe-temps dans sa vie. Cependant, l’ELAM a éveillé en lui suffisamment de passion pour le décider à tourner, pendant quatre ans, un documentaire qui « aiderait le monde à connaître ce projet ».

« Je voulais montrer que ce programme diplôme des professionnels de très haut niveau, des gens qui font du très bon travail aux États-Unis. C’est une occasion pour les gens à très faibles revenus, qui ne peuvent pas s’inscrire dans les écoles de médecine, de devenir de bons médecins, et qui plus est gratuitement, à Cuba », dit Kunle Ekunkonye.

Ensuite, nous avons posé des questions sur ceux qui ont déjà obtenu leur diplôme, et la réponse est évidente : « ils se sont bien insérés ; ils travaillent dans les communautés à faibles revenus et mettent en pratique sur le terrain ce qu’ils ont étudié ».

La seule chose qui est demandée aux jeunes qui viennent étudier à l’ELAM est de ne pas oublier. Pas Cuba, mais d’où ils viennent : leur humble quartier marginalisé.

La seule chose qu’on leur demande, en fait, c’est de rendre ce qu’ils ont appris.

En effet, depuis le début cette école n’a eu d’autre objectif que de former des médecins axés sur le travail de prise en charge des soins de santé primaires. La priorité est donnée à une formation au niveau scientifique élevé, humaniste, éthique et solidaire, afin que ces médecins soient capables d’agir dans leur environnement, de répondre aux besoins de santé de leurs compatriotes et de contribuer au développement humain durable.

« J’ai pu apprécier dans diverses communautés, dont beaucoup étaient jusqu’alors abandonnées à leur sort, un facteur commun : les médecins formés à Cuba, sont là-bas pour aider à sauver des vies », affirmait lors de sa visite à Cuba le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, Ban Ki-moon.

Et il parlait également des jeunes étudiants de l’ELAM.

Comment 20 000 jeunes ont-ils pu étudier la médecine à Cuba pour se retrouver ensuite au service de leurs communautés, y compris plus de 140 jeunes Étasuniens ? L’ELAM en est la réponse : six années d’études de médecine, ainsi que l’hébergement et la nourriture gratuits.

Comment l’un des pays les plus pauvres de l’hémisphère occidental peut-il faire quelque chose de semblable sans rien attendre en retour ? Ce sont quelques-unes des premières questions que nous nous posons dès les premières images de Community Doctors.

« De nos jours, nous sommes confrontés au dilemme mondial des inégalités en matière de santé. Le revenu et le statut social peuvent déterminer si une personne peut recevoir des soins de santé ou si elle a accès à des soins de qualité. Aux États-Unis, nous dépensons plus que l’ensemble de la planète dans ces soins : 3,46 milliards de dollars en 2014 », signale-t-on dans le documentaire pour conclure immédiatement que « malgré toutes ces dépenses, nous ne sommes pas en meilleure santé et les disparités en matière de santé persistent ».

Le documentaire Community Doctors enquête sur ce que l’on peut apprendre d’autres pays qui dépensent moins, sont en meilleure santé et offrent un meilleur accès aux soins. Cuba apparaît comme l’un d’entre eux : un pays aux faibles ressources qui a créé une école de médecine pour former des médecins qui iront soigner les populations marginalisées qui manquent de services médicaux dans le monde.

Viennent ensuite les anecdotes. Dasaw Floyd, originaire de Californie du Sud, raconte comment son intérêt pour le militantisme et l’organisation des communautés s’est concrétisé par le choix d’études de médecine. Laravic Flores, de Manille aux Philippines, nous explique comment le fait d’étudier à Cuba lui permet de lutter contre les racines de l’inégalité, tandis que Diana Gutier-rez, du quartier du Queens, à New York, nous rappelle que « tous les enfants rêvent d’être docteurs, avant que la société ne les enferme dans toute cette mauvaise énergie ».

Tia Tucker, de Sulphur, en Louisiane, une jeune femme déterminée, étudie la médecine parce qu’elle veut croire que tout un chacun peut, à partir de sa propre perspective, changer un peu l’ordre des choses.

Et beaucoup d’autres jeunes gens parlent des raisons qui les ont amenés à Cuba – des raisons qui semblent infinies. La remarquable réputation de l’Île de former des médecins qualifiés, qui exercent dans le monde entier, notamment la médecine préventive, est parmi les premiers arguments, mais aussi étudier dans un pays, dans une école, disent-ils, qui leur a appris à ne pas voir les patients comme des gains potentiels.

La phrase : « Une expérience vraiment transformatrice », est répétée par les uns et les autres, et cela ne saurait être fortuit. Étudier avec des gens du monde entier et apprendre l’espagnol, les a marqués. La diversité, pourrait-on dire. Mais aussi « l’esprit de coopération qui est encouragé ici, qui incite au partage ».

En fait, aider un autre étudiant à comprendre représente « les soins futurs que recevra le patient ». Il n’est pas question de concurrence, mais de soutien mutuel et de cause commune.

« Être à l’ELAM peut être un défi », dit Amandla Shabaca-Haynes, de Tallahassee, en Floride, parce qu’on est loin de la famille, de chez soi. On ne connaît personne et on doit apprendre une autre langue. À ce moment-là, elle s’est demandée si elle allait vraiment rester à Cuba pour faire des études de médecine.

« Mais lorsque l’ouragan Katrina a frappé la Louisiane, et qu’aucune aide ne nous parvenait, j’ai vu à quelle vitesse les Cubains ont organisé une brigade de professionnels spécialisés dans les situations de catastrophe »

Cuba a mobilisé environ 1 600 médecins et tous étaient à l’ELAM le lendemain de l’ouragan Katrina. « Ce fut incroyable pour moi qu’ils puissent organiser une telle aide en si peu de temps. Une aide qui fut d’ailleurs rejetée par les États-Unis. Cela m’incita à rester ici, parce que c’est ce genre de médecine que je veux pratiquer », s’est souvenue Amandla.

Ce n’est pas la seule histoire inspiratrice. Quelques minutes plus tard, ce furent les souvenirs d’Haïti, avec le tremblement de terre qui transforma le pays de Toussaint-Louverture en enfer. Plus de 300 diplômés de l’ELAM se rendirent à Haïti par leurs propres moyens et furent incorporés à la brigade de médecins cubains Henry Reeve pour porter secours aux Haïtiens. La graine semée commençait à germer.

Il faut savoir que la Fondation interreligieuse pour l’organisation communautaire (IFCO) et l’organisation Pasteurs pour la paix, fondée par le révérend Lucius Walker, ont joué un rôle essentiel dans le programme d’attribution de bourses aux jeunes étasuniens qui souhaitaient étudier la médecine à l’ELAM.

Et c’est cette histoire que nous raconte également le documentaire. « Ils sont restés du bon côté de l’Histoire, comme de véritables défenseurs du peuple. » La plupart des jeunes Etasuniens qui ont terminé leurs études de médecine à Cuba, l’ont fait à travers ces organisations.

Être diplômé du baccalauréat ou issu d’une Hight School, dans le cas des États-Unis, être âgé de moins de 25 ans et ne présenter aucune contre-indication pour pratiquer la médecine, et surtout disposer de faibles revenus – y compris dans le cadre d’une convention – sont les conditions exigées pour être admis à l’ELAM.

À ce moment du documentaire intervient un élément fondamental : le blocus. « Il fait partie des relations entre Cuba et les États-Unis, nous ne pouvions pas le passer sous silence », signale Kunle à notre journal, tout en reconnaissant : « Il est extraordinaire que Cuba puisse offrir des systèmes de santé et d’éducation, dans de telles conditions.

Akin Ekunkonye, le frère de Kunle, a appris l’existence de la bourse pour l’ELAM à travers les Pasteurs pour la paix, et il se dit toujours aussi ému de faire partie d’une telle diversité. « Ce qui rassemble les étudiants de différents pays, c’est que nous voulions tous apprendre l’espagnol et faire le bien à travers la médecine. »

Ce qui l’a marqué ? « Le véritable intérêt des enseignants cubains » à faire que les étudiants apprennent et comprennent l’importance de créer cette « connexion avec le patient, tellement nécessaire face au manque de ressources ».

« J’aime la médecine et la façon dont on l’exerce à Cuba. Je rêve de m’intégrer à d’autres étudiants déjà diplômés, travailler ensemble et parvenir à un changement », dit-il

Abraham Vela, de Californie, signale que lorsque l’on s’approche de la fin des études, Cuba commence déjà à nous manquer. « L’ELAM a été l’une des plus belles expériences de ma vie. La diversité et les amis. C’est une famille que l’on crée ici et s’éloigner de sa famille, c’est difficile. »

Abeeku Ricks est un jeune afro-américain, né à Atlanta, en Alabama. Il veut revenir dans son pays pour faire une spécialité, parce qu’il souhaite ardemment aider « la communauté où vit ma famille en Louisiane, au sud des États-Unis. Là-bas, ils ont besoin de médecins comme nous.

L’ELAM pour lui, c’est « l’internationalisme, l’occasion d’apprendre l’unité. C’est un vœu aussi parce qu’elle nous donne l’espoir et l’exemple qui nous pouvons être médecins, aller partout dans le monde et apporter de la lumière et de la vie. L’École nous a changés ; nous sommes devenus de vrais professionnels », dit-il.

Le documentaire Community Doctors est en ligne gratuitement sur Internet à disposition de tous ceux qui voudraient le voir, penser, écouter ...

« Je suis reconnaissant envers le programme de l’ELAM et j’espère que les gens qui verront le documentaire comprendront l’humanisme de Cuba et le considèreront comme quelque chose de formidable. Ce pays a prouvé qu’il est possible, sans beaucoup de technologie ni d’argent, d’y parvenir à travers l’éducation », affirme Kunle, directeur de ce documentaire.

Le 17 décembre 2014 a marqué une nouvelle voie vers la normalisation des relations entre Cuba et les États-Unis. L’ELAM est l’un de ces liens qui, à force de volonté et de persévérance, existaient avant ce jour, et que le gouvernement étasunien pourrait valider comme une excellente opportunité de formation pour les jeunes étasuniens à faibles revenus.

Selon des statistiques officielles, en 2013, le coût moyen des études de médecine aux États-Unis était de 278 455 dollars dans les écoles privées et 207 866 dans les universités publiques. À ce jour, 145 jeunes Étasuniens ont été formés à l’ELAM, tandis que 89 poursuivent leurs études de médecine en ce moment.

Ne serait-il pas formidable si davantage de jeunes étasuniens pouvaient réaliser leurs rêves de devenir médecins à l’Ecole latino-américaine de médecine ? Ce serait la meilleure fin pour cette histoire.