Début 1957, le rapt de Fangio entrait dans les objectifs des clandestins de Fidel Castro

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Note de Roger Grevoul
Venu disputer le 2e Grand Prix de Cuba, l’Argentin Juan Manuel Fangio fut enlevé (23-25 février 1958) à La Havane par un groupe de rebelles castristes se réclamant du Mouvement du 26 Juillet. Ce fut « La Operación Fangio » dont le stratège s’appelait Faustino Pérez, un proche de Fidel Castro qui se trouvait depuis le mois de décembre 1956 dans les montagnes de la Sierra Maestra, à la tête de la guérilla. Cette action reste dans son genre comme une réussite jamais égalée (!). Elle eut une répercussion mondiale au-delà des espérances des ravisseurs. Ce fut « le premier enlèvement politique à but médiatique de l’histoire », selon Ignacio Ramonet (2006)
Michel Porcheron nous a proposé un premier volet sur ce sujet captivant (!) (l’enlèvement vu par le pilote français Maurice Trintignant, à son retour en France, chez lui à Nîmes) que nous avons publié le 13 janvier dernier.
Vous lirez aujourd’hui un deuxième « chapitre » : l’objectif du kidnapping de Fangio était déjà dans les plans des clandestins dès l’année précédente, en février 1957, à l’occasion du 1er Grand Prix de Cuba. Puis il y aura par la suite un nouveau texte, où le personnage central sera l’ambassadeur argentin à qui fut remis par les ravisseurs son compatriote Fangio, sain et sauf. Cet ambassadeur s’appelait Raul Lynch, cousin germain de don Ernesto Guevara Lynch, le père d’Ernesto Che Guevara…

Début 1957, le rapt de Fangio entrait dans les objectifs des clandestins de Fidel Castro

(Où il est question aussi de Herbert Matthews, Di Stefano, Che Guevara,…)
Par Michel Porcheron

Le premier Gran Premio de Cuba, une épreuve « Autos Sport » va se tenir le 25 février 1957 et Fangio est invité à le disputer. Il le fera au volant d’une Maserati 300 S que lui a prêtée l’écurie brésilienne « Madunina ». C’est avec cette même Maserati que Fangio participa au Mille kilomètres de Buenos Aires, le 20 janvier.

Le circuit de la compétition a pour tracé le Malecón (90 tours, 5591 m, 503,190 km) la ville tout entière s’était installée le long du parcours. Le chiffre de 150.000 personnes a été avancé.

Dans les épreuves de classification, Fangio obtient la pole position avec un temps de 2’04.6” pour une moyenne de 161,537 Km/h.

Pendant un long moment de la course, Fangio est relégué à la septième place. Une situation qui l’amène à lancer une attaque, parvenant à remonter à la seconde place, derrière (le marquis) de Portago qui doit s’arrêter un temps à son stand. Fangio remporte l’épreuve (temps : 3:11’02’, moyenne 161.537 km/h.)

La course s’avéra difficile pour des conducteurs pourtant aguerris. On enregistra les abandons de Eugenio Castellotti, Harry Schell, Phil Hill, Stirling Moss et Jean Lucas.

Classement final :

1- Juan Manuel Fangio (A) Maserati 300S 3.11:02,0’

2- Carroll Shelby (USA) Ferrari 410 Sport 3.12:11.3’

3- Alfonso de Portago (E) Ferrari 860S

4- Peter Collins (GB) Ferrari 500 TR

5- Olivier Gendebien (B) - Helburn (USA) Ferrari TR

6- Alfonso Gómez Mena (Cuba) Jaguar D-type

Détails de la course :

http://www.racingsportscars.com/results/Havana-1957-02-25.html

En espagnol : http://www.amigosdefangio.org/es/fangio-cuba

Voilà pour la course, un compte rendu sportif. Après Cuba, dont le Gran Premio ne comptait pas pour le classement de Champion du monde, Fangio, 46 ans, se rendit en Floride pour les Douze Heures de Sebring, puis ce fut le Grand Prix de Monaco, celui du Portugal…

Mais de cette course automobile à La Havane, qui fut un immense succès populaire et un succès indéniable pour Batista, il existe l’autre versant.

La Formule 1 faisait escale à Cuba alors que beaucoup de sports refusent de s’y rendre. Et pour cause, la vie dans la capitale est particulièrement agitée. Le Mouvement du 26 Juillet de Fidel Castro est engagé dans une lutte de chaque jour, notamment à La Havane, destinée à mettre à bas le régime de Fulgencio Batista, qui a mis en place une dictature violente et répressive qui fait de très nombreux morts parmi les opposants et la population.

Batista sait que sa répression implique de diffuser une image différente aux yeux du monde. Ainsi, son gouvernement a décidé d’organiser en février 1957 une course à La Havane dans le but de booster le tourisme et de véhiculer une image moins rugueuse. Même si la course n’est pas inscrite au calendrier du championnat du monde de Formule 1, l’événement a attiré des pilotes de renom qui ont été séduits par l’opportunité de profiter de la vie nocturne de La Havane et par l’opération lucrative qui leur était proposée. Le circuit, empruntant l’avenue du Malecón, le long du front de mer, a également été une arme de séduction (Jim Weeks, octobre 2015 pour sports.vice.com)

La première édition du Grand Prix de Cuba, remportée par la plus grande star de ce sport, Juan-Manuel Fangio, quatre fois champion du monde, a été un succès, si bien qu’une deuxième édition a été planifiée.

Les organisateurs n’étaient pas les seuls à planifier.

Depuis plusieurs semaines, un groupe de clandestins du Mouvement du 26 Juillet avait entrepris diverses actions et quelques préparatifs pour enlever Fangio.

L’Argentin, croit-on, ne sut jamais, en cette année 1957, que dès son arrivée à l’aéroport de la capitale, venant de Buenos Aires, ses déplacements, ses occupations et ses rencontres avaient fait l’objet de filatures.

Comme les essais précèdent une course de Formule 1, le kidnapping de Fangio (23-25 février 1958) connut ainsi un premier tour de chauffe en février 1957.

Dès cette date-là en effet, l’objectif de s’emparer de Fangio, de le soustraire à la compétition du Grand Prix automobile de Cuba faisait en effet partie des plans des clandestins. Mais cette tentative n’eut pas de suite, ne dépassant pas le stade d’une préparation pourtant avancée. Manifestement les conditions n’étaient pas réunies pour une action d’une telle envergure.

L’idée du kidnapping du –à l’époque- quadruple champion du monde était venue tardivement et les préparatifs ne furent pas convaincants. A cette époque-là, le M-26-7 urbain n’était pas suffisamment important et organisé.

Par ailleurs des évènements extérieurs à la préparation du rapt firent qu’il fut abandonné et « suspendu »… jusqu’à la prochaine fois.

À cette date, le 24 février 1957, le jour de la compétition, il ne s’était pas passé trois mois depuis l’arrivée (2/12/1956) sur la côte orientale de Cuba du yacht Granma, venant du Mexique, et des 82 expéditionnaires menés par Fidel Castro et Che Guevara.

Faustino Pérez

Faustino Pérez, « el médico » (qui allait être le stratège de la « Operación Fangio » de 1958) n’était arrivé à La Havane que le 28 décembre 1956, venant de la Sierra Maestra, pour organiser le M-26-7 dans la capitale. Avec la mission de Fidel Castro de faire connaitre la lutte révolutionnaire et ses hommes, la guérilla de la montagne et la toute jeune Armée rebelle.

Si vous lisez l’espagnol, voici un texte de Armando Hart sur Faustino Pérez :

http://www.juventudrebelde.cu/opinion/2010-02-12/faustino-perez-paradigma-de-revolucionario/

L’évènement qui n’allait pas favoriser –au même moment ou presque- un kidnapping de Fangio à La Havane fut la rencontre qu’eut, à l’autre bout de l’Ile, le journaliste du New York Times Herbert Matthews avec Fidel Castro, quelque part dans la Sierra. Après le reportage, le quotidien newyorkais publia une photo de l’entretien pour démentir catégoriquement les allégations que faisaient circuler à la demande de Batista, des membres du gouvernement, comme Santiago Verdeja, ministre de la Défense, selon lesquelles ce reportage était apocryphe, Fidel Castro ayant été tué peu de temps après l’arrivée du Granma.

L‘homme qui rendit possible cette rencontre fut Faustino Pérez lui-même. Il alla jusqu’à accompagner le journaliste du NYT dans la Sierra Maestra.

L’entretien que publia le NYT eut un grand retentissement international, en priorité aux Etats Unis et dans le monde anglophone, mais c’est le kidnapping de Fangio, un an plus tard, qui eut sur le plan médiatique comme on ne le disait pas à cette époque-là, le retentissement mondial décisif, du fait de l’énorme célébrité planétaire du coureur automobile et du fait qu’au bout de quelque 26 heures, Fangio fut libéré sain et sauf.

L’attitude conciliante de Fangio et la qualité de ses propos, dès sa libération, aidèrent beaucoup au succès de l’Opération Fangio. L’Argentin ne coupa pas les ponts avec ses ravisseurs qui gardèrent le contact avec lui jusqu’à son décès en 1995. Le tout très normalement. Il n’y eut jamais le moindre sous-entendu dans cette histoire hors du commun.

Un an auparavant, le M-26-7 avait placé la barre trop haut en envisageant deux actions spectaculaires. Le coup « médiatique » Matthews-Fidel Castro avait parfaitement réussi car, entre autres arguments, la police de Batista n’avait pas d’implantation réelle dans le sud du pays, a fortiori dans les zones proches de la Sierra Maestra.

Mais sa force de répression à La Havane était une réalité quotidienne.

Le 22 février 1957, soit deux jours avant le Grand Prix de Cuba, tombait un groupe de clandestins du M-26-7, lors d’une opération du SIM de Batista (Servicio de Inteligencia Militar) dans un appartement du Vedado, Quinta y A. Un nombre important d’armes et explosifs est saisi et les occupants sont arrêtés et détenus. Ce fut le coup de grâce pour ceux qui préparaient l’action contre Fangio.

Marcelo Salado

Jusque-là, un des chefs d’action et sabotage du M-26-7 de La Havane, Marcelo Salado Lastra, 29 ans, s’était chargé de réunir toutes les informations possibles sur les mouvements de l’Argentin, dès son arrivée à l’aéroport, venant de Buenos-Aires, quelques jours avant la course. Dans cette tâche, il était secondé par Ramona Barber Gutiérrez, 23 ans.

Fangio, qui était (déjà) descendu à l’Hôtel Lincoln, devait notamment inspecter le circuit du Grand Prix sur le Malecón. Avec son manager Giambertone, il assista à un combat de boxe, au Palais des sports. Selon certains, il aurait été au cinéma…

Bien avant le départ de la course, Ramona fit une première inspection dans le hall de l’Hôtel Lincoln en un moment où Fangio était en train de converser avec diverses personnes. Marcelo l’attendait dans une voiture stationnée près de l’hôtel.

Auparavant, les deux jeunes gens avaient acheté au  Ten Cents  de 23 y 10, au Vedado, un petit livre d’autographes, que Ramona pensait utiliser comme prétexte pour s’approcher de Fangio, au moment où serait décidé de procéder à l’enlèvement.

Elle sortit du Lincoln et considérant qu’elle avait l’information qu’elle cherchait, partit rejoindre son complice, avant de retrouver les autres membres de leur groupe pour mettre au point les conditions du rapt du coureur automobile. Mais rapidement leur parvint la directive impérative de suspendre toute action au sujet de Fangio, à la suite de l’affaire de l’appartement de Quinta y A (d’après le témoignage de Arnold Rodriguez) .

La course eut lieu, comme prévu, à l’heure prévue, sur le circuit du Malecón, Non seulement elle eut lieu, mais, comme on l’a vu, c’est Fangio au volant de sa Maserati qui franchit le premier la ligne d’arrivée.

Si vous lisez l’anglais (avec une quarantaine d’illustrations et de nombreux commentaires. On y trouve une curiosité : le fac-similé du n° du 15 mars 58 de l’hebdomadaire humoristique cubain Zig-Zag ) :

http://havana5060.blogspot.fr/2007/02/gran-premio-de-cuba-1957_25.html

La presse cubaine fit un triomphe à Fangio. Dans d’autres colonnes, mais sans faire de lien avec l’Argentin, on pouvait y voir les photos et les noms des clandestins de Quinta y A. Une « publicité » qui révéla une nouvelle fois à la population l’existence de rebelles dans la capitale et le degré de répression des forces de Batista.

L’objectif d’enlever Fangio fit donc son chemin durant une année, au sein des clandestins. Armando Hart Dávalos, entre autres militants, appuya fortement cette action. Par ailleurs, on va retrouver, par exemple, Marcelo Salado dans le commando de 1958 de « l’Opération Fangio ».

En espagnol :

https://www.ecured.cu/Marcelo_Salado

https://www.ecured.cu/Ramona_Barber_Gutiérrez

Les services de Batista de toute évidence n’ouvrirent pas une enquête « M-26-7 /Fangio/1957 ». Le fait qu’ils aient été totalement dépassés par les évènements entre les 23 et 25 février de l’année suivante le confirme.

De leur côté, les rebelles se réclamant du Mouvement s’étaient préparés pendant plusieurs mois. Leur « Operación Fangio » de 1958 fut une réussite, au-delà de leurs espérances. Ils avaient inventé à la perfection « l’enlèvement politique à but médiatique ». A visages découverts, sans rançon, sans négociations, sans marchandage. Pas d’échanges de coups de feu, pas la moindre goutte de sang versée. Les seules victimes sur le coup furent le régime de Batista, Batista lui-même ainsi que le général Roberto Fernández y Miranda, directeur des Sports et beau-frère de Batista.

A gauche, le général Fernandez Miranda, au centre F. Batista

« La séquestration du champion mondial de course automobile Juan Manuel Fangio (…) eut un impact mondial. Il fut enlevé, traité avec courtoisie et libéré après que le régime (de Batista) se soit couvert de ridicule. Pour la première fois en Europe, et dans le monde, les grands moyens d’information, parlèrent de la lutte du peuple cubain, de la tyrannie de Batista et du Mouvement du 26 Juillet. Fangio déclara ultérieurement qu’il avait été traité correctement. L’audacieux coup de main ne put être passé sous silence par la presse cubaine et fut un scandale national qui discrédita sérieusement le régime » (Carlos Franqui, 1976)

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L’Operación Fangio fut unique en son genre. Elle n’eut pas d’équivalent, ni à Cuba, ni ailleurs. A la rigueur on citera l’enlèvement de Di Stéfano au Venezuela. Un autre argentin. Selon le journaliste Alfredo Relaño (17 mars 2013), « en Espagne, tout le monde se souvient du rapt de Di Stéfano à Caracas. Mais moins nombreux sont ceux qui savent que cette opération fut inspirée par celui, cinq ans plus tôt, de Juan Manuel Fangio ».

Le 26 août 1963, Alfredo Di Stéfano, alors âgé de 37 ans, est enlevé par des membres du FNLV (Front national de libération du Venezuela). Alors que le Real de Madrid est à Caracas pour disputer la Petite coupe du monde des clubs, de faux policiers interpellent le célèbre footballeur dans sa chambre d’hôtel pour « une histoire de trafic de drogues ». C’est dans la voiture qu’ils lui annoncent qu’ils sont membres de la FALN, une organisation clandestine se réclamant du castrisme.

Ils lui signifient son enlèvement, lui bandent les yeux et parcourent une quarantaine de kilomètres, selon le quotidien sportif Marca

(http://estaticos.archivo.marca.com/futbol/cuatro_reyes/distefano.pdf) (PDF en espagnol).

Il est relâché trois jours plus tard près de l’Ambassade d’Espagne au Venezuela, où il manque de s’évanouir, assailli par les journalistes alors qu’il n’a pas fermé l’œil depuis trois jours, assis sur un inconfortable canapé, la peur au ventre.

http://www.toutlemondesenfoot.fr/blog/2015/08/24/ca-sest-passe-le-24-aout-1963-le-kidnapping-dalfredo-di-stefano/

En espagnol :

{{}}http://www.infobae.com/2005/08/25/206248-despues-42-anos-di-stefano-se-vera-su-secuestrador/

BONUS- De fil en aiguille

Dans son autobiographie, Ernesto Che Guevara mentionne deux ou trois fois le nom de Di Stéfano. Il le rencontre à Bogota, début juillet 1952. Le footballeur argentin joue alors pour le club colombien Millonarios qui rencontre …le Real Madrid à deux reprises (Le Real Madrid est en tournée en Amérique latine depuis le 28 juin 52. Après la Colombie et le Venezuela, il sera …à Cuba, pour deux matchs amicaux. Le 31 juillet, au Stadium de la Habana, contre le CD Marianao qui est battu 2 à 3,, puis le 4 août le Real écrase la Juventud Asturiana 8 à 2, au Stadium del Cerro de la capitale)

Le 8 juillet 52, à Bogota « nous sommes restés toute la matinée avec Di Stéfano à parler football, médecine et des montagnes de Cordoba. Il nous a offert du maté ainsi que deux tickets pour le match du lendemain  » a raconté Alberto Granado, le compagnon de voyage du Che.

« C’est la seule fois que vous l’avez vu ? » a demandé la revue So Foot à Di Stéfano

  • « Je l’ai revu à New-York quelques années plus tard (décembre 1964). Nous étions aux États-Unis pour disputer des matchs amicaux avec le Real Madrid. On décide un jour de sortir faire une promenade avec deux autres joueurs du Real Madrid, et on tombe sur une rue remplie de militaires. On s’approche pour voir ce qui se passe : Che Guevara était là-bas pour faire un discours. On a échangé des politesses, on a discuté un peu de tout et de rien.

Qu’est-ce que vous pensiez de lui ?- À l’époque, on ne savait pas vraiment ce que Fidel Castro et lui faisaient ni ce qu’ils voulaient. Comme je ne connaissais personne à Cuba, je ne m’intéressais pas vraiment à son action. Malgré tout, je garde le souvenir d’un homme passionné et sympathique ».MP/mp