Le kidnapping de Fangio à Cuba (suite) : Faustino Pérez, Fangio, Raúl Lynch… sans ce casting parfait…

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Pour réussir un kidnapping dans la catégorie « patriotique », et au-delà de toutes les espérances, bien sûr terminé pour tout le monde par un happy end achevé, le casting doit être plus que parfait…outre une préparation méticuleuse, un timing respecté sans faille, une pincée de bonne fortune et quelques attentions assurés comme un petit déjeuner complet au réveil, après une nuit de roi dans une chambre particulière, journaux, radio et TV à disposition, des interlocuteurs discrets, un déjeuner appétissant (*)…

Pour réussir un kidnapping , comme fut réussi de A à Z, celui de Fangio, à La Havane, entre le dimanche 23 et le lundi 24 février 1958, un modèle du genre, faut-il le rappeler, une erreur de casting aurait pu être fatale, qu’un seul des protagonistes sorte de son rôle et une terrible catastrophe aurait pu survenir (la face de la Révolution cubaine en marche aurait-elle changé pour autant ?) : les ravisseurs savaient tout du pilote argentin, cinq fois champion du monde des conducteurs, sauf qu’il était un gentleman, Fangio ignorait tout bien sûr de ses ravisseurs-rebelles, sauf qu’ils étaient des gentlemen (et des gentlewomen). Quant à l’ambassadeur argentin à Cuba à qui fut remis Fangio, sain et sauf, totalement inconnu des ravisseurs et du kidnappé, il eut une conduite de gentleman, au-delà de ses devoirs diplomatiques. Il s’appelait Raúl Lynch, que nous sortons d’un certain oubli. Pure coïncidence, il était le cousin germain d’Ernesto Guevara Lynch, le père de Che Guevara…

*Le menu a encore plus de saveur en espagnol de Cuba :
“Nos sirvieron arroz con pollo, ensalada de espárragos, tomate y lechuga, plátanos fritos —a los que Fangio decía bananos— y yuca con mojo. Además, había dos postres : melocotón en almíbar y guayaba con queso. El campeón prefirió los melocotones a los que llamó duraznos y comió hasta reventar, según confesó Fangio ”.

Voici un nouveau n° (le quatrième depuis le 13 janvier) de notre feuilleton Fangio, avec le M26-7, Faustino Pérez, Arnol Rodriguez…et Raúl Lynch, entre autres. Rendez-vous est pris pour de nouvelles aventures…

Avant Ernesto Che Guevara et le pape François, il y eut Fangio, également Argentin…

Par Michel Porcheron

L’un n’avait ni voiture ni permis, le deuxième roule debout à bord d’une automobile blindée et le troisième a passé sa vie au volant de Maserati, Ferrari, Mercedes, Alfa Romeo…

Si on vous dit que l’un portait un béret noir, que le deuxième se sépare rarement de sa calotte blanche et que le troisième était, dans son baquet, affublé d’un casque règlementaire ?

Nos trois hommes, réunis pour la (bonne) cause, ont compté dans la vie de la révolution cubaine, joué même un rôle majeur. Leur point commun, ils sont tous les trois Argentins. De la même génération. Vingt-cinq ans à peine séparent le plus jeune de l’aîné.

Ces trois héros de notre podium argentin ?

Ernesto Guevara de la Serna, plus connu sous le nom de « Che », né à Rosario en 1928, le pape François, né Jorge Mario Bergoglio à Buenos Aires (1936) et Juan Manuel Fangio, de Balcarce (1911), on l’appelait Fangio, le plus souvent on ignorait son prénom. Moss, c’était Sterling Moss, Senna, Ayrton Senna…Pour toute la planète (ou presque) il fut le premier grand champion de l’histoire de la course automobile. Il remporta cinq fois le titre de champion du monde des conducteurs de F1, entre 1951 et 1957. Il remporta le Premier Grand Prix de Cuba en 1957.

Il est le seul à avoir formidablement aidé la révolution… à son insu… Il n’y mit jamais de bâtons dans les roues.

Ce préambule [« Au lieu d’en venir au fait, il errait, s’embarrassait dans un interminable préambule », Michelet] n’est en réalité qu’un tour de chauffe pour ouvrir la piste à Fangio, Juan Manuel Fangio (1911-1995) qui est, parmi nos trois Argentins, celui dont la contribution à la révolution cubaine est la moins connue, et pour beaucoup inconnue.

Contribution certes à son insu, car quand on est kidnappé c’est à votre insu, quand vous êtes retenu pendant 26 heures, loin du monde et du bruit, par des rebelles, même animés des meilleures intentions, c’est à votre insu. Quand les journaux du monde entier, y compris notre PQR ! (Presse Quotidienne Régionale) dès le 25 février 1958, couvrent sur plusieurs colonnes à la une (1) votre enlèvement, vous n’y êtes pour rien, sauf que vous vous appelez Fangio. Vous n’avez pas choisi vos ravisseurs, ils sont des hommes de la clandestinité, du Mouvement du 26 Juillet, des combattants engagés dans la lutte de Fidel Castro, alors dans la montagne, quelque part dans la Sierra Maestra. Vous avez dû laisser votre Maserati au stand, à votre insu, vous avez été un simple passager à l’arrière d’une Plymouth de couleur verte ou d’une Cadillac noire…Kidnapping oblige.

Mais Fangio fut un « séquestré » exemplaire. Il accepta de jouer le jeu, avait-il les moyens de faire autrement ? Oui.

Dans ses « Courses Souvenirs », livre publié en 1995, Fangio ne changea rien à la phrase qui figure dans la première édition de cette autobiographie, en 1961 : « Oh, après tout, je peux vous le dire : je ne regrette pas du tout de l’avoir vécue cette petite aventure ». S’il le répète 34 ans plus tard…

Si ce kidnapping entre « gentlemen » (eh oui…) fut « le premier enlèvement politique à but médiatique de l’histoire  » comme l’a écrit en 2006 Ignacio Ramonet, il fut aussi, comme c’est connu, un succès d’organisation, une opération à visages découverts, sans demande de rançon, sans le moindre marchandage, sans que le kidnappé ait les yeux bandés, le tout pendant quelque 26 heures à la barbe (ah,ah) des meutes de policiers de Batista lancés à la recherche des ravisseurs, de Fangio, de complices, de caches éventuelles…

Comme l’ambassadeur d’Argentine à qui fut « remis » Fangio, en toute sécurité, le coureur argentin une fois libéré et rendu à la vie publique, ne lâcha jamais le moindre mot qui aurait pu nuire à « ses amis les ravisseurs », qui regagnèrent la clandestinité sans être inquiétés.

Dès 1961, Fangio consacra, dans ses mémoires, une dizaine de pages à sa « petite aventure ».

Sa version en tant que témoin privilégié (!) et les récits de ravisseurs, comme celui du Cubain Arnol Rodriguez, ne comportent aucune contradiction qui aurait pu apporter une note équivoque ou obscure dans le déroulement de l’enlèvement et de la libération.

http://www.britishpathe.com/video/disaster-at-cuban-grand-prix-after-fangio-kidnappi

Juan Manuel Fangio « El Maestro », « El Chueco » est décédé –dans son lit- en 1995, à l’âge de 84 ans. Il fut inhumé au cimetière de Balcarce, ville où il est né, au sud-est de la province de Buenos Aires.

En 2007, fut créée à Cuba l’association « Amigos de Fangio ». On n’a pas la confirmation de la part de son bureau, mais le nom de Eusebio Leal, Historiador de la Ciudad, figure comme l’un d’entre eux.

(1)_Un petit jeu (en apparence) consisterait à comparer les ondes « médiatiques » hors de Cuba que provoquèrent à un an d’intervalle les deux opérations particulièrement réussies que furent l’Opération Herbert Matthews (février 57) et l’Opération Fangio (février 58), lesquelles ont eu au moins deux points communs : un même génial stratège, Faustino Pérez, et une même victime sur l’autel du ridicule, le régime de Batista.

Ces deux opérations n’ont pas changé les bases de la Révolution, elles ont peut-être accéléré quelque peu le cours des choses… Si la première –en fait une affaire cubano-américaine éminemment politique avec Batista en plein milieu - a eu une grande répercussion dans les medias, en premier lieu dans le continent américain et les rubriques politiques, logiquement, la seconde, par la célébrité planétaire du kidnappé, a eu un retentissement mondial, tout aussi logiquement. L’épisode Matthews étant un coup politique, les publications pouvaient en faire l’impasse.

http://cubacoop.org/spip.php?page=article&id_article=3146

Question sur un champion

Dans une étude comparée inédite, il s’agirait de voir en premier lieu comment les agences de presse US de cette époque, UPI et AP ont « couvert » l’affaire Matthews-Castro puis dans quelles publications, hors continent américain, ces dépêches, datées de New York ou de La Havane (de Batista), auraient été reproduites, à partir de fin février 1957. Quant aux photos, il n’en existait que… deux, les deux que publia le New York Times. De fait, l’écho ne pouvait être que réduit, surtout après avoir souligné que la presse européenne d’alors ne parlait pas de Cuba, pays que (presque) personne ne pouvait même situer sur une mappemonde. Cuba n’avait aucune place dans les préoccupations internationales des journaux, logiquement puisque l’Ile n’était jamais qu’une colonie des Etats Unis.

Dans le cas du rapt de Fangio, en 1958, l’affaire est bien plus simple (en apparence).

Des journalistes étrangers étaient arrivés à La Havane quelques jours avant la compétition, le 2e Grand Prix de Cuba, qui devait se courir le 24 février, avec la participation de Fangio, Stirling Moss… D‘autres journalistes et photographes allaient arriver, une fois confirmé le rapt du pilote argentin. De plus, un grave accident, au sixième tour de circuit, faisant parmi les spectateurs, six morts et des dizaines de blessés, devait être un thème de plus dans la couverture de la presse nationale et étrangère. La course fut immédiatement interrompue.

Le retentissement du rapt fut considérable. Du fait que le kidnappé d’un jour était une « star » mondiale, quintuple champion du monde des conducteurs… Mais qui étaient donc ces audacieux ravisseurs ? Pour la première fois, le Mouvement du 26 Juillet, des rebelles cubains se réclamant de Fidel Castro, faisait irruption dans l’actualité internationale.

L’épisode Fangio, relevant des rubriques sportives et faits-divers, les publications avaient l’obligation journalistique d’en faire état. Faire l’impasse était impensable pour un chef d’information de presse écrite, TV ou radio du monde entier.

S’il fallait trouver un exemple majeur (et en France), on citera « l’exclusivité photo » de Paris-Match dans son n° 465 du samedi 8 mars 1958. L‘hebdomadaire consacre 13 pages aux rebelles castristes (13 photos de Enrique Meneses et texte de Marc Heimer). Le photo-reportage fut acheté par de nombreuses publications, comme Time, Stern (Allemagne), Epoca (Italie)…mais aussi à Cuba, par l’hebdomadaire Bohemia, qui fit un tirage exceptionnel de 500.000 exemplaires.

« On peut affirmer, sans nul doute, que jamais auparavant [avant le rapt de Fangio du 23 février 1958] n’avaient été autant mentionnés, dans un aussi grand nombre de pays, et en si peu de temps, les noms de La Havane, de Fidel Castro et du Mouvement révolutionnaire du 26 Juillet » a écrit justement le Cubain Arnol Rodriguez (1931-2011), bien placé pour en parler, puisqu’il fut l’un des ravisseurs, et militant de longue date du M-26-7.

Voir ici notre :

http://cubacoop.org/spip.php?page=article&id_article=3156

Où il est maintenant question encore et toujours de notre héros Fangio, de Fidel Castro, mais aussi d’un certain Raúl Aureliano Lynch Frias, dit Raúl Lynch et des deux Ernesto Guevara, le père (Guevara Lynch) et le fils (Guevara de La Serna), on verra pourquoi.

Quand Marcelino Giambertone, le manager de Fangio, lança un appel à la télévision cubaine CMQ dans la soirée du lundi 24 février 1958, destiné au chef du Mouvement du 26 Juillet de Fidel Castro, afin qu’il donne des nouvelles rassurantes publiquement de « notre cher champion » kidnappé depuis la veille au soir, Giamba ignorait que les ravisseurs avaient déjà établi des contacts avec l’Ambassade d’Argentine.

Quelques heures auparavant, Ada Kouri, médecin-cardiologue, épouse de Raúl Roa (1907-1982), avait proposé d’expliquer la situation à un diplomate de l’Ambassade, Ricardo Cueto, qui vivait à La Havane dans le même pâté de maisons (cuadra) que sa sœur Marta Beba Kouri. La rencontre put se faire, au domicile de cette dernière. Ada Kouri indiqua à l’Argentin que le seul moyen de garantir la vie de Fangio était sa remise auprès de la représentation diplomatique de son pays.

Parlant au nom du M-26-7, Ada Kouri fit part en effet à Ricardo Cueto du danger qui pesait sur la vie du pilote du fait d’une éventuelle action de la Police de Batista, qui n’hésiterait pas à l’assassiner si elle le découvrait, rendant le M-26-7 responsable de sa mort.

Pour ceux (peu nombreux) qui auraient manqué les chapitres précédents, voir nos :

https://cubacoop.org/spip.php?page=article&id_article=3098

http://cubacoop.org/spip.php?page=article&id_article=3132

Dans les plans du groupe (ou commando) de rebelles, un réseau sociable de rebelles, il avait toujours été question de rendre sa liberté à Fangio, une fois terminée la course du 2e Grand Prix de Cuba, sur le circuit du Malecón. Ce qui était le cas, à ce moment-là. D’autant plus que la course avait été arrêtée au sixième tour…

[On lit sur racingsportscars.com :

Did not start

N°DriverCarReason

2 Juan Manuel FangioMaserati 300Skidnapped ]

L’ensemble des résultats :

http://www.racingsportscars.com/results/Havana-1958-02-24-4666.html

Le temps pressait. Les clandestins - depuis le moment de l’enlèvement de l’Argentin à l’Hôtel Lincoln, la veille, en début de soirée- avaient jusqu’ici parfaitement réussi leur coup. Ils avaient bien à l’esprit qu’ils ne pouvaient pas échouer à ce stade de leur Operación. Pour la première fois ils s’en remettaient à des tierces personnes dont les bonnes et réelles dispositions leur étaient inconnues.

[Les ravisseurs non seulement jouaient le coup de leur vie de combattants, mais aussi et surtout la vie même de leur M-26-7. Ils n’avaient plus beaucoup de temps pour éviter n’importe quel type d’échec, qui ne manquerait pas d’atteindre durement et durablement Fidel Castro. Dans les scénarios-catastrophe, le pire serait la mort de Fangio, telle que la craignait Ada Kouri ]

Le diplomate Ricardo Cueto informa son ambassadeur qui se mit immédiatement à la recherche du meilleur lieu possible pour la libération de Fangio, préparant dans la plus grande discrétion toutes les conditions pour sa remise, ce qui incluait la protection maximale des ravisseurs, pendant et après l’opération qui ne pouvait se faire qu’à la nuit tombée.

Le lieu choisi fut un appartement du Vedado, rue 12 n° 20, 11ème étage, entre la Première et la Troisième Avenue (entre 1ra y 3 ra). C’était le domicile de l’attaché militaire de l’Ambassade, Mario Zaballe, qui était alors absent, en déplacement hors de Cuba. De ce fait, la surveillance policière avait été levée.

Contacté le Cubain Faustino Pérez Hernandez (FP), responsable et stratège de la « Operación Fangio » donna son accord.

Fangio, tenu au courant, dans sa « résidence surveillée », relativement proche de la rue 12 du Vedado, manifesta pour la première fois une certaine nervosité.

Il était autour de onze heures du soir de ce lundi 24 février.

-FP : Bon, on y va, Arnol tu es le responsable de la remise (entrega), je n’ai plus rien à te dire, partez avec la voiture d’Emmita, et que Flavia vous accompagne, toi Piniella conduis doucement.

On trouva un chapeau pour Fangio. Trop petit. On lui trouva une paire de lunettes foncées.

La voiture, une Nash Rambler, sort du garage du n°42 de la rue « Norte », Nuevo Vedado, va jusqu’à 26 et prend la 17 cherchant la 12. Au coin de la 12 et Linea, la voiture marque un arrêt au feu rouge, tout près d’un véhicule de la Police.

La voiture se gare lentement devant l’immeuble, ses occupants en sortent. Un des ravisseurs sonne à la porte, et tous prennent l’ascenseur jusqu’au 11ème étage. Où une porte s’entrebâille. Trois hommes attendent les « visiteurs ». Qui allait prendre la parole ? Immédiatement Fangio, souhaitant manifestement briser la glace, dit, avec un sourire : « Ce sont mes aimables ravisseurs (secuestradores), mes amis ravisseurs ». Fangio était libéré, sain et sauf. Il était environ 23h45 de ce lundi 24 février. Une lettre fut remise à l’attention de l’Ambassadeur d’Argentine. Mission accomplie, les ravisseurs rebroussèrent chemin et reprirent leur vie clandestine.

Raúl Lynch (à gauche) qui ne s’appelle pas Guevara Lynch

Généralement les ravisseurs dans leurs premiers témoignages parlent de « el embajador ». Cet ambassadeur était Raúl Lynch, 52 ans, en poste à La Havane depuis 1955. Pure coïncidence, il était le cousin germain d’Ernesto Guevara Lynch, le père d’Ernesto Che Guevara (Ernesto Guevara de la Serna). Le père de Raúl, Benjamin Lynch, eut cinq frères et sœurs, l’une était en effet Ana Isabel Lynch, grand-mère paternelle du Che. Elle était l’épouse de Roberto Guevara (Vous suivez ?)

En Argentine, le pouvoir était entre les mains du général Pedro Aramburu, président de facto, pour ne pas dire dictateur.

Raúl Lynch n’avait pas fait carrière dans la diplomatie, il avait été contre-amiral et chef d’état-major de l’infanterie de marine, après avoir été marin. Il fut un homme de confiance de l’amiral Isaac Rojas et participa au soulèvement militaire anti-péroniste du 16 septembre 1955, alors qu’il était à la retraite.

Il n’était plus en poste à La Havane quand triompha la Révolution en janvier 59. On ignore la date précise de son départ.

Raúl Lynch (1906-1986), époux de Fanny Senesi, père de trois enfants, ne laissa, à notre connaissance, aucun témoignage postérieurement sur cette affaire Fangio. Lequel Lynch n’ignorait pas que dans les montagnes du sud de Cuba, le fils de son cousin germain, faisait partie des hommes de la guérilla de Fidel Castro depuis le 2 décembre 1956.

Le fils de son cousin germain ? Bien sûr. Seulement cela ? Si l’on déchiffre l’extrait de l’acte de naissance (14 juin 1928) de Ernesto Guevara, le Che, qui, établi à Rosario, porte la date du 1er juillet 1928, les deux témoins cités sont un chauffeur, José Beltrán, 30 ans, de nationalité brésilienne et un certain… don Raúl Lynch, 22 ans, célibataire, profession marin, de nationalité argentine, ce qui coïncide avec le CV du futur ambassadeur d’Argentine à Cuba…

http://guevara54.skyrock.com/2020485429-Acte-de-naissance-du-CHE-en-espagnol.html

[L’extrait d’acte de naissance de Che Guevara porte la date du 14 juin 1928. Un de ses biographes, Jon Lee Anderson, affirme que sa mère Celia, 20 ans, a retardé la déclaration de sa naissance, survenue en fait le 14 mai 1928, afin de masquer qu’elle était enceinte avant la date de son mariage avec Ernesto Guevara Lynch, 26 ans, le 10 décembre 1927.]

De même Raúl Lynch ne témoigna jamais publiquement sur ses contacts épistolaires directs avec Ernesto Guevara Lynch quand celui-ci lui fit part, à plusieurs reprises, en 1956, de sa vive préoccupation de père à l’annonce de la détention de son fils Ernesto –qui n’était pas encore « El Che » pour ses parents- dans la prison Miguel-Schultz au Mexique où il était arrivé en septembre 1954, venant du Guatemala. L’Argentin Ernesto Guevara de la Serna fit la connaissance de Fidel Castro en juillet 1955, chez Maria Antonia.

Dans son livre, son premier récit autobiographique, « Mon frère le Che  » (Calmann-Lévy, 2016), Juan Martin Guevara de la Serna, 72 ans, petit frère du Che, quinze ans les séparent, écrit : « Nous fûmes informés de sa détention dans la prison pour immigrés Miguel Schultz au cours de l’été 1956. La cellule cubaine du Mouvement du 26 juillet avait été repérée par la direction fédérale de la Sécurité mexicaine. Il ne faisait aucun doute pour elle que ce groupe s’apprêtait à frapper à Cuba (…).

Sans nouvelles depuis un bon moment, inquiet, mon père avait remué ciel et terre pour savoir ce qui avait bien pu arriver à son fils. Son cousin germain, l’amiral à la retraite Raúl Lynch, était ambassadeur argentin à Cuba. Il avait la possibilité de se renseigner par voie diplomatique. Au Mexique, il y avait Ulyses Petit de Murat, auteur et scénariste argentin et l’ambassadeur argentin au Mexique Fernando Lezica, qui était l’oncle de la femme de Roberto (autre frère du Che). Mon père avait alerté tous ces gens pour obtenir des informations fiables. C’est ainsi que nous apprîmes l’existence de Fidel Castro ».

C’est bien sûr dans le livre du père du Che, Ernesto Guevara Lynch, « …Aquí va un soldado de América » (Argentina, 1987) paru en France en 2000 (Michel-Lafon, traduit par Olivier Malthet) et sous-titré : «  L’itinéraire politique et humain du « Che », à travers sa correspondance », qu’on peut retrouver les mentions faites nommément de Raúl Lynch. Dans son premier livre « Mi Hijo el Che  », écrit quelques années auparavant, don Ernesto ne cite pas nommément l’ambassadeur.

Ainsi notre ambassadeur argentin, cousin germain de don Ernesto, « grand ami de la famille » fut celui qui informa, à leur demande, les parents du Che, vivant en Argentine, sur la situation à Cuba, à partir de 1955. Ce qui permit à Guevara père de comprendre peu à peu les choix politiques et personnels, l’engagement de son fils Ernesto au service de la révolution cubaine dès son séjour au Mexique.

Raúl Lynch qui était loin de partager les idées de Che Guevara, « se comporta bien, de loin » indiqua le Che dans une de ses lettres. Probablement la seule fois où le Che parle de Raúl Lynch.

Manifestement agacé par toutes les démarches faites, au Mexique et à Cuba, par ses parents pour lui venir en aide, Che Guevara écrit en effet dans une de ses lettres envoyée de Mexico : « Je vous préviens aussi que la série de S.O.S. que vous avez lancés ne sert à rien ; Ulises Petit a la trouille, Lezica s’est défilé et a fait à Hilda, qui l’a rencontré malgré mes recommandations, un sermon sur les obligations de l’asile politique. Raúl Lynch de loin, s’est bien comporté »

Plus tard après le débarquement du Granma, à Los Cayuelos, qui n’était pas le lieu exactement choisi, le 2 décembre 56, qui n’était pas la date exactement choisie, le père du Che remua ciel et terre pour avoir des nouvelles de son fils, donné pour mort, quand il n’était pas prisonnier, grièvement blessé, etc… dès le premier contact face à l’armée de Batista le 5/12/1956 à Alegria de Pio. Il multiplia ses démarches à Buenos Aires auprès du ministère des affaires étrangères du gouvernement du général Aramburu, demandant à ce dernier d’intervenir auprès des autorités cubaines le cas échéant.

L’interlocuteur à Cuba du ministère et du gouvernement argentins était bien sûr Raúl Lynch.

La famille Guevara attendait. Jusqu’au jour où un beau matin un appel téléphonique de la chancellerie argentine demandait à Ernesto Guevara Lynch de se présenter au ministère. Le secrétaire de la chancellerie lui dit : « Je viens de recevoir un câble de notre ambassade à Cuba, où il écrit : « Le Dr Ernesto Guevara de la Serna, selon les informations de cette Ambassade, ne se trouve ni parmi les morts, les blessés, ni non plus parmi les prisonniers faits par les forces de Batista ». Le cousin germain était vivement remercié ! (dans la tête de don Ernesto).

« Si à ce moment-là, un tremblement de terre m’avait propulsé dans les airs, il ne l’aurait pas fait avec la même puissance que cette nouvelle-là. »

Et le 31 décembre 1956, vers dix heures du soir, une enveloppe fut glissée sous la porte principale du domicile des parents du Che qui ne surent jamais quel fut le facteur (?) qui la déposa. L‘enveloppe par avion portait comme destinataire Celia de la Serna, la mère du Che, et le cachet de la poste indiquait « Manzanillo, Cuba »… Sur un petit bout de papier, une feuille d’un petit carnet de notes, non datée, les parents purent lire ces quelques lignes :

« Chers Vieux, Je suis parfaitement, ai dépensé seulement 2 et me restent 5, je travaille dans la même chose, les nouvelles sont sporadiques et elles seront désormais ainsi (…). Un gran abrazo para todo, « Teté »

Le père du Che ajoute, avec beaucoup d’émotion, que tout le monde retrouva son âme (Nos volvió el alma al cuerpo).

A ce stade notre homme Raúl Lynch sort de nos radars. Plus de nouvelles. Longtemps l’année de son décès est restée inconnue… Selon le site geni.com il est décédé le 19 juillet 1986.

Lynch, Raúl, un homme discret. Mystérieux ? Là n’est plus la question.

A sa place, Raúl Lynch, se comporta très bien, de près, dans le dernier épisode de l’heureux dénouement de l’affaire Fangio.

Que l’on fasse son éloge, que soit soulignée la qualité de tous les ravisseurs, à commencer par Faustino Pérez, Oscar Lucero, Manuel Uziel, Arnol Rodriguez, Blanca Niubo…rien de moins compromettant puisque l’Opération Fangio s’est terminée par un happy end achevé.

Mais la valeur de l’Opération Fangio se mesure aussi à l’étendue des risques considérables encourus. De furieuses névralgies ont vrillé sans cesse les tempes des ravisseurs. Car ils étaient à la merci d’un mauvais grain de sable, d’une imprudence, d’un aléa*, d’un imprévu, d’une rencontre fortuite avec une patrouille de Batista, d’un chivato (« une balance », denrée alors en abondance, pour une poignée de pesos)

A la place de « Fangio enlevé puis libéré sain et sauf par des rebelles castristes », la presse du monde entier aurait d’abord titré, sous la dictée de Batista : « Fangio découvert assassiné à Cuba. Il avait été enlevé par des hommes de main de Fidel Castro »…

*- Un alea, parmi quelques autres, celui-là dès l’enlèvement, aurait pu tourner mal, un vulgaire accident de la circulation. A la sortie de l’Hôtel Lincoln, trois voitures étaient prévues pour rejoindre la première maison des ravisseurs, celle de Manuel Uziel, la première, une Plymouth de couleur verte, où était Fangio, conduite par Primitivo Aguilera (El Pibe) et où avaient pris place Uziel et Reinaldo Rodriguez, la deuxième avec Oscar Lucero (El Monje Negro) au volant, qu’accompagnait son épouse, Blanquita et la troisième, une Buick de couleur grise, conduite par Carlos Garcia (Cara Palida) entouré de Angel Paya, Manolo Nuñez et Angel Luis Güiu…

Quelques centaines de mètres plus loin la Buick eut un net accrochage avec un véhicule qui sortait d’une piquera (parking), d’un quartier populeux. Au lieu de fuir, Garcia décida de descendre de sa voiture et de se rendre au poste de police le plus proche pour les déclarations d’usage…non sans avoir glissé auparavant son revolver dans la poche de Paya, lequel avec Nuñez réussirent à escamoter toutes les armes camouflées dans la Buick. Ils purent s’engouffrer au dernier moment dans la voiture d’Oscar Lucero… Dans la foule proche, personne ne se doutait de tout ce que cachait cette banale collision. Qui pouvait penser que Fangio venait de leur passer sous le nez..

La foule allait l’apprendre plus tard par la radio, puis le 25 février au matin en lisant, entre autres, le Diario de la Marina, El Mundo, El Crisol…

A suivre.

(mp)

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Avant le Che le pape François, Juan Manuel Fangio