Il y a 60 ans

Un immense drapeau castriste déployé au 1er étage de la Tour Eiffel…

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Ce jour-là, en fin de matinée, un 10 mars, bravant une température proche de 0 °, les (quelques) badauds au pied de la tour Eiffel, les (rares) flâneurs du Jardin du Trocadéro ou de l’Esplanade de Chaillot, ne pouvaient manquer de voir, déployé au 1er étage de la tour, un immense drapeau rouge et noir portant en lettres claires le chiffre 26, suivi, en français de « Liberté pour Cuba »…

Avant d’être décroché quelque temps plus tard par les autorités compétentes.

[Une anecdote pour le personnel de la Tour et les curieux, un grand pas mémorable pour les manifestants. Certains d’une génération en parlent encore aujourd’hui à Cuba. Sans mettre de noms sur les activistes].

Des étudiants cubains, se réclamant du Mouvement du 26 Juillet, voulaient ainsi dénoncer, ce lundi 10 mars 1958, la dictature féroce de Fulgencio Batista, au pouvoir à Cuba depuis son coup d’Etat du 10 mars 1952, soit six ans auparavant. Ce qui leur valut un écho favorable dans au moins deux quotidiens, des quotidiens nationaux, mais pas de photo pour immortaliser l’évènement.

Le « Mouvement du 26 Juillet » avait été officiellement créé le 12 juin 1955, dans la clandestinité, près de deux ans après l’attaque (manquée) de la caserne Moncada (26/7/1953), à Santiago par Fidel Castro à la tête de 165 hommes.

Le 10 mars 1952 est la date du second coup d’Etat du général Fulgencio Batista, trois mois avant les élections générales qui prévoyaient la victoire du Parti Orthodoxe (ou Parti du Peuple cubain, où milita Fidel Castro).Il renverse le président Carlos Prio Socarras et instaure une dictature. Le 14 janvier 1934, l’ex sergent promu chef d’état-major de l’armée, avait déjà renversé un président élu, Ramon Grau San Martin, noyant le pays dans un bain de sang, et faisant alors élire des présidents fantoches jusqu’en 1940, date à laquelle il se fait lui-même élire président (1940-1944)


Un immense drapeau castriste déployé au 1er étage de la Tour Eiffel…

Par Michel Porcheron

CE MATIN-LA, à 11H30, à Paris, un 10 mars…

« CE MATIN, à 11 h 30, apparaissait, sous l’œil indifférent des agents de la force publique, une mystérieuse bannière noir et rouge au premier étage de la tour Eiffel. Pendant un bon moment, la bandera du Mouvement révolutionnaire cubain du 26 juillet, qui s’est rendu célèbre dans le monde entier en enlevant Fangio il y a quinze jours, en plein centre de La Havane, a flotté sur le monument qui symbolise à lui seul aux yeux des Latino-Américains la France... et la liberté.

C’est celle-ci que réclamait pour Cuba, en lettres d’argent sur quelque six mètres de long, l’enseigne frappée du chiffre 26, accrochée par de jeunes Cubains. L’inscription était même rédigée en français... Ce lundi 10 mars marque en effet le sixième anniversaire du coup d’Etat qui a ramené au pouvoir en 1952 le « sergent » Batista grâce au soulèvement des troupes stationnées dans le camp militaire de Colombia. Depuis, l’habile dictateur, après s’être fait plébisciter au cours d’élections bien organisées, a su se maintenir à la tête du pays malgré de nombreux complots, attentats et révoltes.

Cette fois, les élections promises pour le 1er juin prochain s’annoncent malaisées. La province d’Oriente se trouve pratiquement contrôlée par les rebelles de l’avocat Fidel Castro, réfugié dans la sierra Maestra, tandis que l’opposition au régime de Batista grandit dans l’ensemble du territoire. La « commission de concorde nationale », qui vient de se constituer sous l’égide de l’Eglise cubaine pour ramener la paix dans le pays, paraît déjà se heurter à de sérieuses difficultés sur le contrôle de la régularité du futur scrutin » (11 mars 1958)


Ces trois paragraphes composent un entrefilet, titré « La tour Eiffel et la liberté », que publia le quotidien Le Monde daté du 11 mars 2008 (en circulation dès la veille), page 31, dans la rubrique « ll y a 50 ans dans « Le Monde ».

Le lundi 11 mars, sur le même sujet, le Figaro publiait une brève en page 3, consacrée aux « Nouvelles de l’étranger »

Le Figaro ne mentionne pas l’enlèvement de Fangio, mais donne plus de détails : le drapeau est immense, 30 mètres carrés, les militants du Mouvement du 26 Juillet sont au nombre de deux. Il n’est pas précisé si ces deux jeunes cubains résidaient à la Maison de Cuba de la Cité Internationale Universitaire du Boulevard Jourdan. Ce qui est possible.

Ces deux entrefilets confirment l’existence à cette époque d’une représentation du Mouvement du 26 Juillet à Paris, parmi la colonie de Cubains (exilés ou non) vivant dans la capitale. Jusqu’ici, nos recherches n’ont pas permis d’apporter de nouvelles indications sur cette insolite manifestation, sur laquelle il n’existe pas de photo.

Selon une recherche numérique (en espagnol), l’historien et documentaliste argentin Lois Pérez Leira rapporte des propos de la Cubaine Anisia Miranda (1932-2009), exilée en 1953 à Buenos Aires, puis membre du Comité du 26-7 dans la capitale argentine, signalant que de « grands » drapeaux du M26-7 furent déployés à Buenos Aires (sur le gratte-ciel Kavanagh) à Paris, sur la Tour Eiffel, ainsi « que dans d’autres villes du monde. »

[A Buenos Aires, les réunions du 26-7 se tenaient au domicile du père du Che, Ernesto Guevara Lynch]

Dans nos recherches numériques en français, nous n’avons trouvé qu’une seule autre mention de ce drapeau du M-26-7 déployé au 1er étage de la Tour Eiffel (dans le n° du 27 mars de l’hebdomadaire Justice, organe du PC Martiniquais)

Une étude de l’historien Gilbert Pago, mise en ligne le 2/12/2016, s’intitule « La révolution cubaine à ses débuts et l’opinion publique en Martinique » Pour ce faire, Gilbert Pago, a dépouillé les éditions de 1958 à 1960 de trois publications : outre Justice, Le Progressiste (du Parti Progressiste d’Aimé Césaire) et le journal quadrihebdomadaire L’Information, de tendance centro-libérale.

Dans le premier des quatre articles consacrés à Cuba durant l’année 1958 par Justice (n° du 27 mars) « le rédacteur relate l’enlèvement datant du 23 février du célèbre coureur automobile argentin Fangio à la Havane.

Le même article parle du déploiement le 10 mars, d’un immense drapeau cubain à Paris sur la tour Eiffel proclamant « Liberté pour Cuba » Pour ces deux événements réalisés par le « Mouvement du 26 juillet », le rédacteur de Justice ne parle ni de Fidel Castro, ni du Che, ni même du « Mouvement du 26 juillet ».

Or, considère Gilbert Pago, « il s’agissait pour les rebelles de populariser la lutte révolutionnaire cubaine et ces actions ont eu un retentissement mondial ».

Lire l’intégralité de cette étude de Gilbert Pago :

http://politiques-publiques.com/martinique/revolution-cubaine-ses-debuts-lopinion-publique-en-martinique/

Gilbert Pago est professeur agrégé, historien spécialiste de la Martinique, de la Caraïbe, des Amériques, conférencier, ex-enseignant.

(mp)