Le Chant des partisans cubain. Récit(s)

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Vouloir aborder un quelconque épisode du déroulement de l’histoire de l’attaque de la caserne Moncada à Santiago de Cuba le 26 juillet 1953, conduit fatalement à relire une fois encore et en premier lieu, la minutieuse enquête inédite de 354 pages, menée à Cuba par l’écrivain Robert Merle et publiée en 1965. « Aucun récit suivi et cohérent de cette journée n’avait été tenté à Cuba »

Si « Moncada, premier combat de Fidel Castro » (Ed. Robert Laffont) fait toujours autorité c’est que l’auteur s’avisa que « les acteurs du drame » étaient ses « contemporains ». Ils étaient soixante-et-un. « Je les interviewais tous et je consacrai autant de temps [entre quatre et cinq heures] aux simples combattants qu’à leurs chefs » A ces 61 rescapés, Robert Merle ajouta dans sa liste « sept témoins de la Moncada », dont la journaliste Marta Rojas (qu’il faut lire) « Naty » Revuelta et le « capitan » Sarria.

« La Révolution avait triomphé. Ils avaient repris leur métier sans rien demander à personne et sans se considérer comme des héros ».

Il a pu interviewer deux fois Fidel Castro et deux fois aussi Raul Castro qui « a découvert pour moi les adresses des « moncadistas » dispersés aux quatre coins de l’Ile et organisé les rencontres par l’intermédiaire d’une équipe très efficace »

Un des (innombrables) épisodes de la (caserne) « Moncada » concerne Agustín Diaz Cartaya, figure centrale de notre sujet, un des interviewés de R. Merle.

Pourquoi cet Agustín ? Il se trouve — il y a peu— que Gilberto Aldanas, chanteur et ami, aujourd’hui nonagénaire, a eu l’occasion de parler assez longuement d’Agustín Diaz Cartaya, surnommé « El Negro Thompson »… qui fut le compositeur en juillet 1953, avant l’attaque, de « La Marcha de la Libertad », un chant de partisans – les fidélistes - qui allait devenir quelque temps plus tard « El Himno del 26 de Julio », encore et toujours au hit-parade cubain.

Gilberto Aldanas sait de quoi il parle : avec dix autres collègues (ils n’étaient pas tous membres du M26-7 dans la capitale), il enregistra pour la première fois le 15 février 57, clandestinement, dans un studio de la capitale, l’Hymne du 26 juillet d’Agustín D.C, sur disque d’acétate.

A.D. Cartaya — toujours de ce monde — devint un « moncadista », échappa aux balles de l’Ejército de Batista, parvint à s’enfuir, mais finit par être arrêté à La Havane, déporté à Santiago, jugé et condamné à 10 ans de réclusion au pénitencier de l’Ile des Pins où le 15 février 54, il fut laissé pour mort, après un violent passage à tabac. Dans la capitale, Cartaya, 24 ans, avait été un des membres de la cellule clandestine de Marianao, du Movimiento (alors sans autre nom) de Fidel Castro. Son chef de cellule Hugo Camejo Valdés trouva la mort étranglé par un gradé de l’Ejército de Batista, le jour même du 26 juillet 1953. C’est cette cellule qui fut la plus décimée dans les combats.
RECIT(S)

(autres sources consultées : Mario Mencia, ecurd.cu) –mp

« L‘attaque dirigée par Fidel Castro contre la caserne Moncada, le 26 juillet 1953, à Santiago de Cuba a la même signification pour la Révolution cubaine que la prise de la Bastille pour la Révolution française » (Herbert L. Matthews, 1968)

Ce jour du 15 février 1957, un chef d’orchestre, pianiste et arrangeur, quatre chanteurs et chanteuses, quatre musiciens et deux techniciens, onze Cubains, ne s’étaient pas donné rendez-vous dans un studio parfaitement insonorisé de Radio Cadena Habana, dans la capitale, pour enregistrer le dernier rythme à la mode.

Ce jour-là, ils s’étaient enfermés dans le studio avec une mission bien particulière : faire le premier enregistrement, forcément clandestin, de l’hymne du Mouvement du 26 Juillet (M26-7)

[Le M26-7 a été officiellement créé le 12 juin 1955 dans la clandestinité, soit moins d’un mois avant l’exil de Fidel Castro au Mexique et près de deux ans après l’attaque de la caserne Moncada, à Santiago, le (dimanche) 26/07/1953)].

Ce chant de guerre, de résistance à la tyrannie de Fulgencio Batista, de nouveau au pouvoir depuis son coup d’Etat de 1952, avait été composé, paroles et musique, par un tout jeune chanteur autodidacte Agustín Diaz Cartaya (25 septembre 1929, Marianao, La Havane), quelques jours à peine avant l’attaque de la caserne Moncada. {}

En effet, une semaine avant l’assaut, Fidel Castro ayant appris qu’un des hommes de la cellule de Marianao de son Movimiento (clandestin, qui n’avait pas encore de nom, mais une quinzaine de cellules fidélistes sans attaches entre elles et un chef, Fidel Castro, avocat, 27 ans, qui, lui, menait une vie publique d’activiste, assisté de Abel Santamaría et Raul Martinez Ararás), chantait et écrivait des chansons, entre deux parties de baseball, avait demandé à « Thompson », surnom de A. D. Cartaya, de composer une musique de style épique. Qui allait devenir un chant de ralliement des partisans de Fidel Castro.

« La rencontre avec Fidel eut lieu lors d’un entraînement de tir à la ferme « Los Palos » dans la province de la Havane, a eu l’occasion de préciser Agustín Diaz Cartaya. « Je me suis mis aussitôt au travail. En peu de temps, j’avais terminé ce qui s’est d’abord appelé la Marche de la Liberté. Un jour, Fidel s’est rendu à Marianao, chez Mercedes Valdés, la mère de Hugo Camejo, et m’a demandé où j’en étais. Je la lui ai chantée. Elle lui a plu et il l’a adoptée »

« Un remarquable chant de guerre, certainement le meilleur en son genre à Cuba » (Tad Szulc, 1986)

Agustín Diaz Cartaya — toujours de ce monde. Lui qui ne connut jamais son père, il est père de six enfants, il a douze petits-enfants et trois arrière-petits-enfants — ne fut pas seulement le compositeur d’un jour, un militant de l’ombre, il devint un homme d’action, faisant partie des quelque 150 « moncadistas », des hommes triés sur le volet (en même temps que deux jeunes femmes Haydée Yéyé Santamaría et Melba Hernández, photo )issus d’un groupe de 1200 fidélistes préparés et entraînés (on appellera « moncadistas » ceux qui ont combattu au même moment à Santiago et à Bayamo)

Voir en espagnol la liste de 152 participantes : https://www.ecured.cu/Participantes_en_el_Movimiento_26_-_7

« Les femmes n’étaient qu’en nombre limité dans le Movimiento. A ma connaissance, elles n’y furent jamais plus de six : outre Haydée et Melba, Elda Pérez, Elita Dubois, épouse du courageux moncadista José Luis Tasende, Josefa, une vieille révolutionnaire espagnole et Natalia « Naty » Revuelta » (Robert Merle, voir plus bas).

Arrêté après l’échec de l’attaque funeste à Bayamo, Agustín Diaz Cartaya fut détenu puis condamné à 10 ans de réclusion au pénitencier de l’Ile des Pins.

[En 1953, à Marianao, Agustín Diaz Cartaya, 24 ans, était un des membres de la cellule Coco Solo du Mouvement, dans le quartier de Pocito, que dirigeait Hugo Camejo Valdés (7 mai 1918), ouvrier du bâtiment.

En espagnol : https://www.ecured.cu/Hugo_Camejo_Vald%C3%A9s

En faisaient également partie :

José Testa Zaragoza, Rolando San Roman de las Llamas, Rafael Freyre Torres, Pedro Véliz Hernández, Ángelo de la Guardia Guerra Díaz, Pablo Agüero Guedes, Luciano Gonzalez Camejo, Lazaro Hernández Arroyo, Andrés García Díaz, Enrique Cámara Pérez et Adalberto Ruanes. Ils participèrent tous à l’attaque de la caserne de Bayamo, à 100 km au nord de Santiago. On les cite volontiers, car tous - à l’exception de Cartaya, Garcia, Cámara et A. Ruanes qui survécurent- furent capturés et torturés jusqu’à la mort, le jour même du 26 Juillet ou les jours suivants.

Orestes Abad survécut également mais très vite « traiciono » (« il a trahi ») en intégrant les troupes de Batista.

De toutes les cellules du Movimiento qui participèrent à l’assaut simultané des casernes de Santiago ( El cuartel Moncada) et de Bayamo (cuartel Carlos Manuel de Céspedes), celle de Hugo Camejo et Cartaya fut la plus décimée].

Hugo Camejo fut étranglé, traîné sur le sol, une corde au cou, le 27 juillet, à minuit, sur la route Manzanillo-Bayamo, au km 39, par le capitaine responsable de la garnison de Manzanillo. Le maçon Pedro Véliz connut le même sort. Andrés Garcia Diaz est revenu à lui quelques heures plus tard, parvint à prendre la fuite, mais finit entre les mains des autorités, sans danger pour sa vie grâce à Mgr Pérez Serantes, avant d’être condamné et emprisonné (voir PDF plus bas).

[Des 120 « moncadistas » de Santiago (chiffre rond, probablement arrondi), sept sont morts au combat, d’après l’historien Mario Mencía …

Renato Guitart, Carmelo Noa Gil, Pedro Marrero Aizpurúa, Flores Betancourt Rodríguez, Gildo Fleites Lopez , Guillermo Granados Lara et José de Jesús Madera Fernández, tués dès le début de l’action par des tirs de mitrailleuse. Un huitième ne fut jamais identifié).

…et 56 capturés, torturés et achevés après les combats. Selon Mario Mencía ce n’est que plusieurs années après la victoire de la Révolution, que la liste exacte des combattants qui ont perdu la vie (à Santiago et à Bayamo) put être établie, portant soixante et onze noms. Cela quand on put prouver que certains passés pour morts avaient pu fuir, tout en restant à Cuba, d’autres avaient pris le chemin de l’exil et qu’il fut prouvé que neuf des personnes assassinées n’avaient rien à voir avec les évènements.]

SUR LA ROUTE

Sur la route, Carretera Central : le samedi 25 juillet Agustín Diaz Cartaya, Hugo Camejo, Andrés Garcia, San Roman, Pablo Agüero, 17 ans, avaient pris place dans une Chevrolet que conduisait Raul Martinez Ararás, le chef de groupe, qui allait être un des chefs de l’assaut de la caserne de Bayamo.

[Chacune des quinze voitures (ou plus) partant de La Havane en direction de Santiago ou Bayamo, un long voyage de plus de 900 km et au moins d’une douzaine d’heures, était occupée la plupart du temps par six membres du Movimiento, qui parfois ne se connaissaient pas ou peu. Tous ces véhicules, généralement loués, étaient nécessaires pour transporter le 26 juillet à l‘aube les combattants jusqu’aux abords de la caserne Moncada. Les voitures, sans la moindre arme, avaient toutes quitté la Havane à des heures différentes, celle de Fidel Castro, une Buick 52, conduite par Teodulio Mitchell Barban (avril 1924) prend la route la dernière à 2H40 du matin, le samedi 25. La première voiture avait quitté la capitale le vendredi 24 au soir.

Les autres combattants, une soixantaine, étaient venus de La Havane en train ou en autobus (omnibus) de lignes régulières. Raul Castro voyagea par le train. Un seul était de Santiago, Renato Guitart

Le rendez-vous était pour tous la Finca Siboney, à courte distance de Santiago, là où avaient été réunies toutes les armes. A une heure du matin du dimanche 26, tout le monde répondait présent, il ne manquait personne. Comme l’attaque devait avoir lieu à 5H15 , le convoi de voitures sortit de la Finca à 4H45 ].

Sur la route, la Carretera Central : « A Victoria de las Tunas, en Oriente, après dix heures de route, Raul Martinez Ararás somnola, et mit l’auto dans un fossé plein d’eau. Malgré la violence du choc, tous s’en sortirent indemnes, mais l’auto était immobilisée, et Raul Martinez, trop humilié pour dominer la situation. « Je vais chercher du secours », dit finalement A.D. Cartaya. De son pas nonchalant, il partit dans la campagne, et quelques instants plus tard, il revint, en effet, dans une jeep avec un guajiro (un paysan)qu’il avait décidé à le suivre. La jeep arriva à remettre l’auto sur la route »

« On remontait déjà dans la Chevrolet quand on s’aperçut qu’Andrés Garcia avait perdu ses chaussures. Il s’était déchaussé dans la nuit pour dormir plus à l’aise, et quand il avait ouvert la portière après l’accident, elles avaient roulé dans l’eau du fossé. Il lui fallut une demi-heure d’efforts pour les retrouver, et il fit le reste du voyage dans des souliers trempés. Sur le moment, il en fut vivement contrarié, mais dans la journée du 26, la nuit qui suivit, et dans la journée du 27, il traversa de telles épreuves que cette petite incommodité, quand il se la rappela par la suite, lui parut dérisoire » (Robert Merle) .

Portrait de Agustín Diaz Cartaya

Aujourd’hui-------Hier

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En espagnol :

https://www.ecured.cu/Agust%C3%ADn_D%C3%ADaz_Cartaya

Selon le portrait qu’en fit Robert Merle, Agustín Diaz Cartaya « était un Noir de haute taille, mince, large d’épaules, souple et détendu dans ses attitudes. Son visage présentait un ovale très allongé (…)

Son sourire grinçant se changeait en un grand rire sonore, quand il oubliait l’amertume de sa condition. Son visage paraissait modelé pour exprimer la fierté, et il était fier, en effet. Il trouvait intolérable la discrimination dont les Noirs étaient victimes à Cuba. Il était employé dans une bodega — épicerie — et le soir, il chantait des españolerías — chansons espagnoles sentimentales — sous le nom de Thompson

Il méprisait ces chansons qu’il jugeait ineptes, il méprisait son public parce que son public les aimait, et il se méprisait lui-même parce que les Blancs pensaient que les Noirs n’étaient bons qu’à faire des chanteurs, et qu’en chantant pour eux, il leur donnait raison. Cependant, il y avait quelque chose de profond en lui, qui aimait le chant et la poésie, et dont les españolerías n’étaient que la caricature. Et lui-même, il aspirait à vivre autre chose qu’une caricature de vie au milieu de ces Blancs méprisants qui ne lui reconnaissaient aucun droit dans son propre pays »

(de Robert Merle, in « Moncada, premier combat de Fidel Castro », Ed Robert Laffont, 1965, 354 pages, photos (manque un Index des noms propres…)

Sa description détaillée de l’attaque de la Moncada est considérée jusqu’à aujourd’hui, comme l’une des plus précises. Lire également du même auteur « Moncada ! » in « Amérique Latine rebelle », Manière de voir, n°90, novembre-décembre 2006.

Dans « Fidel Castro, Biographie à deux voix » d’Ignacio Ramonet (2006), Fidel Castro parlant de la Moncada pose la question à Ramonet : « Comment s’appelait cet excellent écrivain qui a raconté cette histoire ? Il l’a reconstruite parce qu’il a interrogé tous les survivants et tous les témoins. Comment s’appelait-il ? C’était un Français.

I.Ramonet : - Robert Merle. Il a écrit un livre magnifique. Mais c’est votre version qui m’intéresse

Fidel Castro : - Oui, je n’ai jamais eu l’occasion de livrer personnellement à Robert Merle tous les détails de cette histoire]

L’un jouait de la guitare, l’autre de l’harmonica

Sur la Carretera Central : Mario, le frère de Raul Martinez Ararás, conduisait lui à Bayamo quatre hommes dans une Buick 48 : Adalberto Ruanes (de la cellule de Marianao), Armando Arencibia, et deux compagnons qui ne se quittaient guère, « el largo y el negrito » : Ñico López, dit Siete Pisos, Sept Etages — et Calixto Garcia. Ñico avait apporté sa guitare, et chaque fois que l’auto était arrêtée pour un contrôle routier, il chantait une espanoleria en s’accompagnant sur son instrument :

« No te puedo querer, chantait-il en regardant le policier, ¡ porque no sientes lo que yo siento !”...

En espagnol : https://www.ecured.cu/%C3%91ico_L%C3%B3pez

« Adalberto Ruanes était un jeune homme doux aux yeux tristes et sérieux. Il jouait très bien de l’harmonica, et quand Ñico consentait à se taire, il modulait des airs mexicains. Grâce, en grande partie, à la bonne humeur de Ñico, le voyage fut excellent, mais il faillit aussi se gâter par son impulsivité. Après Santa Clara, il y eut sur la carretera central un grave embouteillage provoqué par des réparations à la chaussée, et aussi par le caprice d’un guajiro qui réglait la circulation, et qui la réglait mal. Ñico sortit de l’auto, se prit de querelle avec lui, et les choses s’envenimèrent. Le guajiro, exaspéré, saisit la machete qui pendait à son côté. Les compagnons de Ñico intervinrent, on apaisa le guajiro, et l’auto put passer. Tout retomba sur le pauvre Adalberto Ruanes. Comme il se reprenait, après l’incident, à jouer sur l’harmonica des airs mexicains, Nico se tourna vers lui et lui dit d’une voix furieuse : « laisse-moi derrière chico, ou on va te balancer ton harmonica par la portière » (Robert Merle)

Robert Merle

Sur la route : Ils arrivèrent trop tôt à Bayamo, selon Robert Merle. Ils décidèrent de dîner (un congri avec de la viande) à Cauto Cristo, dans une fondita campestre, petit restaurant campagnard. Après le repas Ñico joua de la guitare et Ruanes de l’harmonica, avant d’aller se promener jusqu’au Rio Cauto. Ils bavardèrent quelques instants avec le soldat qui gardait un pont, qui était un de ceux que les combattants de Bayamo devaient faire sauter après la prise de la caserne de Bayamo.

Des 27 (?) combattants de Bayamo, à peine dix ont survécu : Cartaya, Adalberto le joueur d’harmonica, Andrés Garcia « le mort vivant » (voir plus bas) Pedro Celestino Aguilera un dentiste de Palma Soriano, Calixto Garcia, Antonio Ñico López, Antonio Dario López, un plombier de La Havane, Enrique Cámara Pérez, qui travaillait à Marianao dans une fabrique de chaussures et Teodulio Mitchell, le chauffeur de Fidel Castro. Le chef Raul Martinez Ararás, qui avait donné l’ordre de la retraite, survécut également mais prit la décision d’émigrer.

[Calixto Garcia et Ñico López (photo), réussirent à s’expatrier au Mexique où Fidel Castro allait les rejoindre en juillet 1955. Antonio Dario López, pour sa part gagna le Guatemala et fut un des 82 expéditionnaires du Granma

A.Ñico López, également expéditionnaire, fut assassiné le 7 décembre 1956, cinq jours après le débarquement, par le teniente Julio Laurent.

Des 87 moncadistas qui ont survécu, dix-neuf allaient être des expéditionnaires du Granma]

Cartaya, ainsi que cinq autres combattants de Bayamo parvinrent à s’enfuir et à atteindre La Havane le 26 ou le 27 au soir. Cartaya, en compagnie de P.C. Aguilera à bord d’un autobus. Mais dans la capitale, tous furent arrêtés dans les jours qui suivirent et seuls furent relachés ceux qui ayant prévu leur arrestation, avaient pris soin de se créer un alibi.

Selon Robert Merle (page 206), Cartaya fut arrêté à La Havane le 27, mais au cuartel il fut reconnu par le teniente Julio Sed, qui l’avait entendu chanter des espanolerias sous un pseudonyme. — Mais c’est Thompson ! s’écria Julio Sed. — C’est un révolutionnaire, dit un des agents du S.I.M. qui avaient arrêté Cartaya. — Impossible, dit Julio Sed. C’est un chanteur noir ! Il chante sous le nom de Thompson. Je l’ai entendu chanter. L’agent du S.I.M. considéra Cartaya d’un air perplexe. Qu’un Noir dansât ou chantât, rien de plus naturel. Qu’un Noir prît part à un mouvement révolutionnaire, c’était déjà beaucoup plus étonnant. Mais qu’un chanteur noir pût être en même temps un révolutionnaire, cela n’entrait pas dans ses catégories. — Eh bien, si c’est Thompson, il n’a qu’à chanter, dit-il. — Chante, Thompson », dit Julio Sed. Cartaya se leva avec lenteur, et son regard hautain, insondable, fixé sur les Blancs qui l’écoutaient, il se mit à chanter une de ces espanolerias qu’il trouvait ineptes, et qui avaient tant de succès à Cuba, en 1953. — C’est bien Thompson, dit l’agent du S.I.M. Et il le relâcha.

Mais trois jours plus tard, il l’arrêta de nouveau. Le militaire Agustin Lavastida, membre du SIM (Servicio de Inteligencia Militar) à Santiago, avait établi que Cartaya était l’auteur de l’hymne du Movimiento. Pendant sept heures d’affilée, Cartaya fut soumis à d’affreuses tortures. Outre la souffrance des coups, il était tenaillé par l’angoisse. Il pensait qu’on allait l’assassiner. Mais en apparence du moins, il conservait à l’égard de ses bourreaux cette attitude hautaine qui allait si bien avec son physique : « Terror dentro. Orgullo afuera » Il fut déporté à Santiago pour y être jugé et condamné

Et Andrés Garcia ? « le mort-vivant »

En espagnol :

https://www.ecured.cu/Andr%C3%A9s_Garc%C3%ADa_D%C3%ADaz

(Sur Andrés Garcia d’après Robert Merle, voir le PDF en bas de texte. Dans son introduction, l’auteur a expliqué pourquoi les récits recueillis sont « bouleversants » : « Seuls les détails sont pathétiques et les récits de ces hommes abondaient en détails frappants et inattendus ». Les pages ici reproduites, écrites à partir du témoignage d’Andrés Garcia en sont le meilleur exemple. Andrés Garcia (1928-1988) fut le seul survivant de tous les combattants prisonniers dans la zone de Bayamo. Après la Révolution, il termina sa carrière dans un département du Conseil d’Etat)

Retour au « rendez-vous musical » du 15 février 1957

à Radio Cadena Habana

Le rendez-vous « musical » du 15 février 1957 avait été parfaitement organisé. Les onze de l’enregistrement n’étaient pas tous des membres clandestins du M26-7, tout en poursuivant leurs carrières publiques. Leur mission avait été fixée par leur responsable dans la capitale, Faustino Pérez qui put joindre en priorité deux de ses hommes sûrs ad hoc, Carlos Faxas, 36 ans, le chef d’orchestre et Gilberto Aldanas (2 mars 1926, Matanzas) l’un des chanteurs (l’ami Gilberto vient de célébrer, chez lui à Guanabo, en famille et en musique, ses 91 ans).

Carlos Faxas


Gilberto Aldanas


Aucun d’entre eux n’avait prévu qu’au moment où ils pénétraient, l’un après l’autre, au rez-de-chaussée de l’immeuble Centro Gallego, au 104 rue San José, que « la primera dama » la señora Marta Fernandez Miranda de Batista était l’invitée d’honneur d’une fête entre amies dans un étage supérieur. Un dispositif policier particulièrement renforcé avait été mis en place tout autour de l’immeuble. La police politique ignorait tout de la présence –au rez-de-chaussée- des onze téméraires et vice- versa.

[Radio Cadena Habana, existe toujours, avec une nouvelle adresse, elle est l’une des émissions de radio de la capitale]

Tout porte à croire que les onze n’eurent pas le temps de faire plus d’une prise. Mais plusieurs copies sur disque d’acétate avaient été faites. Quelque temps plus tard, il fut décidé, comme mesure de précaution, de n’en garder que deux, les autres devant être détruites. En effet Carlos Faxas (1921, Manzanillo-21 septembre 2014, La Havane) venait d’être arrêté, avait subi des tortures, accusé d’avoir participé à un sabotage à Rancho Boyeros. Une fois libéré, Faxas s’exila aux Etats Unis. (Miami)

C’est Gilberto Aldins Gutiérrez qui fut chargé de conserver les deux disques restants, avant de les faire parvenir à Carlos Faxas par l’intermédiaire de Irma del Rio, autre clandestine du M26-7, qui à son tour partit pour l’exil aux Etats Unis. 

Puis Faxas envoya ces deux disques au Venezuela. De là ils furent envoyés aux rebelles de la Sierra Maestra. Rapidement, Che Guevara fit de cet enregistrement de l’hymne du 26-7 le thème musical de présentation de Radio Rebelde qui venait d’être installée et lancée le 24 février 1958 quelque part dans la Sierra Maestra.

Gilberto Aldanas fut dénoncé. Tous ses contrats furent annulés. Persona non grata sur les scènes cubaines, Il s’exila au Venezuela avec son quartette. Il rentrera à La Havane le 9 janvier 1959 [le Venezuela était alors un pays dit « démocratique » où pouvaient se réfugier les opposants cubains à Batista, où ceux du M26-7 étaient présents et relativement organisés]

Carlos Faxas après plus de deux ans d’exil, rentra lui aussi à Cuba après la victoire de la Révolution, il occupa le poste de Secretario General de la Unión de Músicos de Cuba, jusqu’en 1961, avant de revenir au piano et de reprendre sa carrière de direction d’orchestre.

Un autre 15 février, trois ans auparavant

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Le matin du 12 février 1954, selon un récit de Mario Mencia, au pénitencier de l’Ile des Pins, le caporal Ramos, surnommé Pistolette (Pistolita), annonce aux prisonniers « moncadistas » qu’ils ne sont pas autorisés à sortir dans la cour et qu’ils doivent rester dans le dortoir. Cette mesure alerte les détenus. L’un d’eux, juché sur les épaules d’un autre, peut jeter un regard à travers une des neuf fenêtres grillagées. Dehors, venu assister à l’installation d’un nouvel équipement pour les groupes électrogènes, trônant au milieu de courtisans à la claque facile et aux galons gagnés sans gloire,... Fulgencio Batista en personne.

La nouvelle se répand dans le dortoir. De ses grandes enjambées, Fidel Castro fait quelques tours, s’arrête brusquement, appelle tous ses camarades autour de lui et leur fait part d’une idée, qu’ils acceptent à l’unanimité après une brève conversation.

Juan Almeida, qui, perché à une des fenêtres, surveille le moment précis où Batista sortira, une fois la pompeuse cérémonie terminée, s’écrit enfin : « Maintenant ! » et… vingt-six voix (dont celle de Agustin Diaz Cartaya) entonnèrent à l’unisson, le plus fort possible, en cette matinée du 12 février 1954, l’hymne de leur combat : La Marche de la Liberté. « Marchando vamos hacia un ideal… (…) ..limpiando con fuego que arrase con esa plaga infernal de gobernantes indeseables y de tiranos insaciables…”

« Jamais, sans doute, un chant de guerre ne s’est fait entendre en de telles circonstances : face à face, l’avant-garde d’une révolution temporairement incarcérée et un tyran oppresseur, qui reçoit le soufflet en plein visage »

« C’est à la prison de Boniato où furent d’abord détenus les « moncadistas » que ces derniers apprirent à chanter la Marche devant des gardiens furieux, et ils l’entonnaient publiquement quand on les conduisait au tribunal. »

On raconte, selon Mario Mencía, qu’en entendant ce chœur, Batista se met à sourire, car il pense sans doute qu’il s’agit d’une nouvelle flatterie de la part de la direction de la prison. Mais, à mesure qu’il prête l’oreille et capte clairement les paroles, son visage se transforme, le sourire disparaît de ses lèvres serrées, qui ne s’ouvrent que pour demander qui sont ceux qui chantent, puis il part en trombe, suivi d’une cohorte furieuse.

« Je m’en vais les tuer ! Je m’en vais les tuer ! » vocifère Pistolette, fou de rage, dans le pavillon. Mais à ce moment-là, cette exhibition de bravade n’ira pas plus loin.

Dans la prison, le reste de la journée se passe dans la tension pour les « moncadistes », car ils s’attendent à des représailles, ainsi que toute la matinée du lendemain, jusqu’à l’heure du déjeuner où le lieutenant Perruche entre et lit une liste de meneurs : « Ramiro Valdés, Oscar Alcalde, Ernesto Tizol, Israël Tâpanes. »

Comme on est dimanche et que c’est là le procédé suivi habituellement pour les visites, ils ne soupçonnent rien. Le groupe suit l’officier. Une fois à l’extérieur, alors qu’ils vont comme de coutume tourner à droite, vers l’édifice de la direction de la prison, le lieutenant leur signale, de l’autre côté de la rue, l’entrée du pavillon numéro deux.

Le pavillon deux (celui des malades mentaux) jouxte le pavillon un (l’hôpital), avec ses onze cellules disciplinaires individuelles : de véritables niches en forme de cubes, de deux mètres de long sur un mètre de large et un mètre et demi de haut, où l’on ne tient que courbé ; une plaque de métal en guise de porte, percée d’une seule ouverture, au ras du sol, de la dimension exacte de l’assiette pour la pâtée quotidienne ; une immonde litière de métal rouillé, sans rien, que l’on peut rabattre au mur ; un trou puant pour y faire ses besoins, ouvert dans un sol toujours humide et couvert de crasse ; de la vermine et des bestioles dégoûtantes qui rivalisent de laideur avec le farouche Oignon, un crétin condamné à plus de cent ans pour des assassinats commis à l’intérieur et hors de la prison, chef de ce pavillon de cauchemar, de ce cercle de l’enfer où l’on pourrait à la rigueur dormir s’il n’y avait les hurlements des déments, soignés à grand renfort de seaux d’eau froide et de rossées bestiales .

C’est là que sont enfermés Ramiro, Oscar, Ernesto et Israël. Le lieutenant revient dans la salle collective et appelle : « Fidel Castro » (sur ses 22 mois de prison, il en passa 19 en isolement (Accusé, Fidel Castro, en tant qu’avocat fut aussi et surtout accusateur. Cf L’Histoire m’acquittera)

Ce jour-là aucun d’eux ne revient au dortoir.

Le lendemain, lundi, Agustin Diaz Cartaya est conduit à son tour au pavillon des malades mentaux. Il se souvient :

« Ils m’ont dit : “Alors, comme ça, c’est toi l’auteur de cette saloperie. Eh bien, maintenant tu vas nous la chanter à nous !” Il y avait là à ce moment Montesinos, (Luis Montesinos Alfonso, lieutenant), Perruche (Pedro Rodriguez Coto, lieutenant) et Oignon. Evidemment, j’ai refusé, et Oignon me dit : “Ah ! on joue au crâneur !”, et il s’approche. En prison, j’étais très agressif et je lui ai répondu : “Si tu approches, je te rentre dedans !” Oignon a reculé. Peu après minuit, Montesinos, Perruche et Oignon sont revenus, accompagnés du sergent Rojas et de deux autres types. Ils étaient six en tout. Ils ont ouvert la porte du cachot et se sont lancés sur moi. Ils m’ont déshabillé, tout en me tabassant à coups de pied, de poing et de nerf de bœuf. »

Et l’auteur de la Marche est abandonné, blessé et sans connaissance, sur le sol du cachot numéro neuf, à l’aube du 15 février 1954. Lors de ce passage à tabac, il est laissé pour mort.

Agustín Diaz Cartaya et les quatre autres détenus passent quinze jours dans ces cachots.

Dans une lettre qu’il réussit à faire parvenir aux compagnon de La Havane, Fidel Castro écrit notamment : « Quant aux gens d’ici, une des erreurs les plus graves qu’ils ont commise a été de passer Cartaya à tabac à l’aube du 15 février, une action à laquelle ont pris part le lieutenant Perruche, le sergent Rojas, un chef de cellules appelé Oignon et d’autres encore sur l’ordre du commandant Capote ; c’est sur ce point qu’il faut attaquer sans cesse ; je le considère de la plus grande importance »

(Source de ce qui précède : »La prison féconde » de Mario Mencía, Editora política, 1982, traduction : ESTI, 92 photos, Index)

Le 6 mai 1955, avec l’accord des deux chambres du Congrès et sous la pression populaire, Batista signa la loi d’amnistie. Tous les prisonniers politiques, incluant les « moncadistas » détenus au pénitencier de l’Ile des Pins recouvraient la liberté, après 19 mois d’enfermement.

Le 15 mai, à bord de « El Pinero », ferry-boat qui les transportait, libres, de l’Ile des Pins au port de Batabano (avant de gagner La Havane par le train), les moncadistas entonnèrent une fois encore La Marcha de la Libertad. Selon Haydée Santamaría et Melba Hernández (Bohemia, 9 septembre 1966), le baptême du Mouvement, sa fondation, eut lieu sur cette embarcation. On discuta de savoir si on devait l’appeler le Movimiento del Moncada ou du 26 Juillet. Un vote décida en faveur de la seconde appellation.

La Marcha de la Libertad devint la Marcha puis el Himno del 26 de Julio. En “concurrence” amicale avec l’Hymne national. Quelle est la date de la Fête nationale à Cuba ? C’est le 26 Juillet.

Les onze Cubains et Cubaines qui, au risque de leur vie, ont participé le 15 février 1957 à l’enregistrement clandestin de l’Hymne du 26 Juillet furent :

- Carlos Faxas, pianiste, arrangeur, et directeur

-Les chanteuses Manon D’Asper et Sonia Aragon

- Les chanteurs Enrique Herrera et Gilberto Aldanas

- Les musiciens José Ramon Urbay (trompette), Eduardo Martinez (trompette), José Manuel Orovio (trombone) et Jesús Suárez Castellanos (percussionniste) ainsi que les techniciens Antonio Garcia y Francisco Vilalta.

* Agustín Diaz Cartaya composa également entre 1963 et 2007 d’autres marches révolutionnaires, notamment La Marcha de América Latina (1963), celle de La Tricontinental (1966) des CDR (1980) et des FAR (2006)

NOTE :

Pour ceux qui lisent l’espagnol, (re) lire sans tarder Marta Rojas, Mario Mencia et le site cubain : ecured.cu

Et

http://www.latinamericanstudies.org/moncada.htm

(mp)

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Le chant des partisans cubain
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Andrés Garcia