Investissement étranger à Cuba : Les menaces de la lenteur

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Malgré la volonté politique exprimée par le gouvernement cubain d’assumer les investissements étrangers en tant que composant logique du développement économique en cours, le capital des compagnies étrangères qui pourraient investir à Cuba entre dans l’île avec une lenteur qui contredit l’urgence de ce développement économique.
C’est ce qu’écrit Ariel Terrero dans cet article du 6 novembre dernier paru dans Cubadebate et que nous reproduisons ici traduit par notre amie Juanita Sanchez.
Paula Lecomte

Le capital étranger rentre à Cuba avec une lenteur qui contredit les urgences de notre économie. C’est une contradiction y compris avec la volonté politique exprimée d’assumer ces investissements non pas comme une transfusion médicale, mais en tant que poumon, composant logique du modèle économique en développement.

Photo : Mariel, Zone Spéciale du Développement, prise sur le site officiel.

Le Parlement a convoqué au mois d’avril 2014 par un geste concret, une séance extraordinaire pour faire voter une Loi de l’Investissement Étranger qui traduit une nouveauté en terme de prise de position politique à Cuba. Pourtant, la réaction qui s’en est découlée n’a pas montré tout le dynamisme qu’on pourrait attendre de cette hâte législative et dont l’économie cubaine a un besoin urgent pour pouvoir démarrer. L’intention apparaît beaucoup plus claire écrite -législation, politique et documents connexes du Sixième Congrès du Parti- que dans le savoir-faire de ces années.

Quoique l’on ait signé des investissements étrangers prometteurs dans des domaines comme l’énergie, le tourisme et les mines, le montant du capital accordé n’est pas encore important. À en juger par les données préliminaires communiquées par le Ministre de l’Économie, Ricardo Cabrisas, dans le Programme National de l’Économie de cette année, au terme du premier semestre les compagnies étrangères couvrent à peine le 6,5% de toute l’activité prévue pour l’investissement, ce qui est légèrement supérieur à 7.800 millions de dollars.

Dans ce cas cette année les compagnies étrangères auraient financé environ 510 millions de dollars d’investissement, montant qui est encore très loin de l’idéal des 2.000 millions ou 2.500 millions que le gouvernement avait estimés pour la participation étrangère nécessaire pour que l’économie cubaine grandisse d’un bon pas.

En plus, l’expérience d’autres pays signale que tout rêve de développement a besoin des investissements équivalents à 20% du produit interne brut (PIB) ou plus, entre les nationaux et les étrangers. À Cuba ce taux oscille encore autour de 10% du PIB.

Cabrisas a envoyé un signal d’encouragement en juillet dernier quand il a informé les députés que dans les premiers six mois de 2017 le gouvernement avait donné le feu vert à 11 nouveaux projets d’investissement étranger indirect et à des réinvestissements dans deux autres affaires conclues. Le total du budget accordé pour leur exécution dans les prochaines années dépasse les 1 millard 346 millions de dollars.

Des accords avaient déjà été signés entre le pays et des entreprises étrangères pour une telle somme dans les deux années et demie préalables à l’entrée en vigueur de la Loi 118 sur l’Investissement Étranger. Et quoique la vitesse augmente, les capitaux étrangers ne rentrent que lentement.

Pourquoi ne décollent-ils pas avec un solde plus tangible ?

Parmi les obstacles, le blocus économique des États Unis contre Cuba menace de s’établir presque éternellement à en juger par la marche en arrière de la normalisation des relations entre les deux pays décidée par le président Donald Trump.

Méconnaître les coûts du blocus serait ingénu, voire hypocrite, comme l’a dit une fois l’ex-président équatorien et économiste, Rafael Correa.

Pourtant les affaires de Cuba avec des compagnies étrangères ont atteint une nette expansion à la fin des années 90, avec un record d’entreprises mixtes et des contrats d’investissements en 2002, à l’époque où le harcèlement financier et commercial des États Unis était aussi acharné que dans le présent. Même en étant plus coûteuses, il existe des formes pour éviter les pièges et les croche-pieds de Washington.

D’autres obstacles internes qui ralentissent les démarches administratives à tout investissement méritent une pareille attention ou plus. Malgré des dispositions légales prises en vue de réduire les délais des négociations, des complications bureaucratiques existent, entrecroisées avec des déformations du système bancaire et financier national, telle que la nocive dualité de monnaie et d’échange, ce qui peut retarder les gestions et décourager non seulement les entrepreneurs étrangers. Souvent les entreprises cubaines manquent de connaissance, de savoir faire et de motivation pour s’impliquer dans des affaires qui peuvent exiger plus de responsabilité que de bénéfice immédiat pour l’organisation des entreprises et leurs employés.

Les facilités fiscales aux investisseurs, d’autres initiatives proactives telle que la Zone Spéciale du Développement de Mariel, la création de conditions logistiques et de l’infrastructure confirment le compromis cubain dans cette alternative et promettent d’adoucir les conséquences des blocages externes et internes.

On devine des doutes, des craintes du fantasme du marché, et des résistances intérieures sourdes dans l’allongement du temps pour conclure des affaires et dans les obstacles à surmonter par les entrepreneurs étrangers pour engager du personnel et des services cubains.

La « mentalité obsolète remplie de préjugés contre l’investissement étranger, critiquée par le Général d’Armée Raul Castro, perdra de sa profondeur dans la mesure où les investissements étrangers confirmeront leur mérite en tant que pilier clé -et pas un simple complément- dans des branches fondamentales pour le développement.

Le sentier socialiste que quelques-uns craignaient de perdre par l’alliance avec le capital étranger prend le risque réel de l’échec si Cuba ne construit pas, n’administre pas, seule avec de la souveraineté, les voies vers un développement économique qui sera le soutien des valeurs morales et de justice sociale propres du système.

Sans prospérité, le socialisme restera à jamais une utopie.